7 septembre 2008
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Lorsqu'il croule sous le travail et les responsabilités familiales, associatives ou ecclésiales, un de mes amis a coutume de lancer, mi-bougon, mi-goguenard : « J'aurais dû me faire moine ! » A chaque rentrée de septembre, sa rengaine se fait plus lancinante. Je lui tape alors affectueusement sur l'épaule et lui rétorque, tout à trac : « Toi, dans un monastère ? Tu ne tiendrais pas huit jours ! »
En confessant à la cantonade ses rêves de désert, de solitude et de paix, cet ami - qui n'a rien d'un Chartreux ! - ne révèle pas autre chose que l'inévitable tension qui taraude toute expérience chrétienne. Difficile position, en effet, que celle du croyant. Comment être « au monde » sans se laisser dévorer par les scintillements factices de la modernité ? Comment s'engager au plus vrai des réalités et des solidarités dont est tissée une vie d'homme et de femme, tout en gardant les yeux rivés au ciel ?
« Tout homme en qui a germé la Parole est en exil, écrivait Jean Sulivan. Présent, absent à toutes opinions ou idéologies, en toutes activités ou engagements. Occupé à survivre comme tout le monde avec des passions, des espoirs, des déceptions, tenant sa place dans la caravane...» Cortège du quotidien des jours, du métier à accomplir, du salaire à gagner, du rôle social à habiter, de l'engagement à tenir...
Cortège auquel on rêve parfois de fausser compagnie pour se tourner enfin sérieusement vers l'Absolu. Comme si la « vraie vie » était à côté de celle que nous menons ! Tentation bien connue : « Plantons trois tentes ! » lance à Jésus un Pierre un instant tenté de demeurer sur les hauteurs de la montagne.
Si les moines fascinent tant aujourd'hui, c'est parce qu'ils semblent avoir choisi le sentier escarpé des cimes. Si nous les envions parfois, c'est parce que leur choix nous semble plus cohérent, plus clair parce que plus radical, tout entier libéré pour l'aventure intérieure.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette vision idyllique de la vie monastique. Lorsqu'on prend le temps d'écouter les vieux moines, il nous disent les longues années d'obscurité où les escales furtives de lumière sont plus rares qu'on le pense. Et puis, la vie communautaire connaît aussi, comme dans n'importe quelle famille humaine, ses limites et sa rugosité. C'est notre condition : nous ne pouvons pas demeurer sur la montagne. Suivre le Christ, c'est affronter l'inévitable tension entre intériorité et engagement, lutte et contemplation. Et sans doute est-ce de cette tension même, de ce va-et-vient permanent entre prière et action que peut jaillir la fécondité spirituelle.
« Où est ta montagne ? »
Question que tout croyant « engagé » doit régulièrement laisser retentir. Sur tout en ces temps compulsifs où tout semble fait pour lui éviter les salutaires ascensions.« La vie spirituelle se nourrit de ses propres fruits» disait Marcel Légaut, berger et prophète du XXe siècle. Mais encore faut-il sauvegarder dans nos vies la terre où planter le fruitier.
Bertrand Révillon
Panorama Septembre 2008
En confessant à la cantonade ses rêves de désert, de solitude et de paix, cet ami - qui n'a rien d'un Chartreux ! - ne révèle pas autre chose que l'inévitable tension qui taraude toute expérience chrétienne. Difficile position, en effet, que celle du croyant. Comment être « au monde » sans se laisser dévorer par les scintillements factices de la modernité ? Comment s'engager au plus vrai des réalités et des solidarités dont est tissée une vie d'homme et de femme, tout en gardant les yeux rivés au ciel ?
« Tout homme en qui a germé la Parole est en exil, écrivait Jean Sulivan. Présent, absent à toutes opinions ou idéologies, en toutes activités ou engagements. Occupé à survivre comme tout le monde avec des passions, des espoirs, des déceptions, tenant sa place dans la caravane...» Cortège du quotidien des jours, du métier à accomplir, du salaire à gagner, du rôle social à habiter, de l'engagement à tenir...
Cortège auquel on rêve parfois de fausser compagnie pour se tourner enfin sérieusement vers l'Absolu. Comme si la « vraie vie » était à côté de celle que nous menons ! Tentation bien connue : « Plantons trois tentes ! » lance à Jésus un Pierre un instant tenté de demeurer sur les hauteurs de la montagne.
Si les moines fascinent tant aujourd'hui, c'est parce qu'ils semblent avoir choisi le sentier escarpé des cimes. Si nous les envions parfois, c'est parce que leur choix nous semble plus cohérent, plus clair parce que plus radical, tout entier libéré pour l'aventure intérieure.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette vision idyllique de la vie monastique. Lorsqu'on prend le temps d'écouter les vieux moines, il nous disent les longues années d'obscurité où les escales furtives de lumière sont plus rares qu'on le pense. Et puis, la vie communautaire connaît aussi, comme dans n'importe quelle famille humaine, ses limites et sa rugosité. C'est notre condition : nous ne pouvons pas demeurer sur la montagne. Suivre le Christ, c'est affronter l'inévitable tension entre intériorité et engagement, lutte et contemplation. Et sans doute est-ce de cette tension même, de ce va-et-vient permanent entre prière et action que peut jaillir la fécondité spirituelle.
« Où est ta montagne ? »
Question que tout croyant « engagé » doit régulièrement laisser retentir. Sur tout en ces temps compulsifs où tout semble fait pour lui éviter les salutaires ascensions.« La vie spirituelle se nourrit de ses propres fruits» disait Marcel Légaut, berger et prophète du XXe siècle. Mais encore faut-il sauvegarder dans nos vies la terre où planter le fruitier.
Bertrand Révillon
Panorama Septembre 2008