22 août 2009
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Or, il se trouve que je sais, par extraordinaire, la vérité sur la plus disputée des causes et le plus ancien des procès : Dieu existe. Je l'ai rencontré.
Je l'ai rencontré fortuitement - je dirais : par hasard, s'il entrait du hasard dans cette sorte d'aventure - avec l'étonnement du passant qui, au détour d'une rue de Paris , verrait, au lieu de la place ou du carrefourfamiliers, une mer inattendue battre le pied des maisons et s'étendre à l'infini devant lui. Ce fut un moment de stupeur, qui dure encore. Je ne me suis jamais habitué à l'existence de Dieu.
Entré à dix-sept heures dix dans une chapelle du Quartier latin à la recherche d'un ami, j'en suis sorti à dix-sept heures quinze en compagnie d'une amitié qui n'était pas de la terre. Entré là sceptique et athée d'extrème gauche, et plus encore qu'athée, indifférent et occupé de bien autre chose que d'un Dieu que je ne songeais même plus à nier, tant il me semblait passé depuis longtemps au compte des profits et pertes de l'inquiétude et de l'ignorance humaines, je suis ressorti quelques minutes plus tard "catholique, apostolique, romain" porté, soulevé, repris et roulé par la vague d'une joie inépuisable.
J'avais vingt ans en entrant. En sortant, j'étais un enfant prêt au baptême et qui regardait autour de lui, les yeux écarquillés, ce ciel habité, cette ville qui ne se savait pas suspendue dans les airs, ces êtres en plein soleil qui semblaient marcher dans l'obscurité, sans voir l'immense déchirure qui venait de se faire dans la toile de ce monde. Mes sentiments, mes paysages intérieurs, les constructions intellectuelles dans lesquelles j'avais pris mes aises n'existaient plus; mes habitudes elles-mêmes avaient disparu, et mes goûts étaient changés.
Je ne me dissimule pas ce qu'une conversion de ce genre, par son caractère impromptu, peut avoir de choquant et même d'inadmissible pour les esprits contemporains qui préfèrent les cheminements rationnels aux coups de foudre mystiques, et qui apprécient de moins en moins les interventions du divin dans la vie quotidienne. Pourtant, si désireux que je sois de me mettre en règle avec l'esprit de mon temps, je ne peux fournir les repères d'une élaboration lente où il y a eu changement brusque; je ne peux donner les raisons psychologiques, immédiates ou lointaines, de ce changement, parce que ces raisons n'existent pas; il m'est impossible de décrire la voie qui m'a conduit à la foi, parce que je me trouvais sur un tout autre chemin et que je pensais à tout autre chose lorsque je suis tombé dans une sorte d'embuscade[...]
Je ne dis pas que le ciel s'ouvre; il ne s'ouvre pas, il s'élance, il s'élève soudain, fulguration silencieuse, de cette insoupçonnable chapelle dans laquelle il se trouvait mystérieusement inclus.
Comment le décrire [...]? C'est un cristal indestructible, d'une transparence infinie, d'une luminosité presque insoutenable (un degré de plus m'anéantirait) et plutôt bleue, un monde, un autre monde d'un éclat et d'une densité qui renvoient le nôtre aux ombres fragiles des rêves inachevés. Il est la réalité, il est la vérité, je la vois du rivage obscur où je suis encore retenu. Il y a un ordre dans l'univers, et à son sommet, pardelà ce voile de brume resplendissante, l'évidence de Dieu, l'évidence faite présence et l'évidence faite personne de celui-là même que j'aurais nié un instant auparavant, que les chrétiens appellent notre père, et de qui j'apprends qu'il est doux, d'une douceur à nulle autre pareille, qui n'est pas la qualité passive que l'on désigne parfois sous ce nom, mais une douceur active, brisante, surpassant toute violence, capable de faire éclater la pierre la plus dure et, plus dur que la pierre, le coeur humain. Son irruption déferlante, plénière, s'accompagne d'une joie, qui n'est autre que l'exultation du sauvé, la joie du naufragé recueilli à temps, avec cette différence toute fois que c'est au mome,nt où je suis hissé vers le salut que je prends conscience de la boue dans laquelle j'étais sans le savoir englouti, et je me demande, me voyant par elle encore saisi à mi-corps, comment j'ai pu vivre et y respirer. [...]
Toutes ces sensations que je peine à traduire dans le langage inadéquat des idées et des images sont simultanées, comprises les unes dans les autres, et après des années je n'en aurai pas épuisé le contenu. Tout est dominé par la présence, au-delà et à travers une immense assemblée, de celui dont je ne pourrai plus jamais écrire le nom sans que me vienne la crainte de blesser sa tendresse, devant qui j'ai le bonheur d'être un enfant pardonné, qui s'éveille pour apprendre que tout est don. [...]
Dieu existe et tout est vrai. [...]
Les débris de mes constructions intérieures jonchaient le sol. Je regardais les passants qui allaient sans voir, et je pensais à l'émerveillement qui serait le leur, quand ils feraient à leur tour la rencontre que je venais de faire. Sûr que la même aventure leur arriverait tôt ou tard, je m'amusais par avance de la surprise des incroyants, et de ceux qui doutaient sans se douter.
Je l'ai rencontré fortuitement - je dirais : par hasard, s'il entrait du hasard dans cette sorte d'aventure - avec l'étonnement du passant qui, au détour d'une rue de Paris , verrait, au lieu de la place ou du carrefourfamiliers, une mer inattendue battre le pied des maisons et s'étendre à l'infini devant lui. Ce fut un moment de stupeur, qui dure encore. Je ne me suis jamais habitué à l'existence de Dieu.
Entré à dix-sept heures dix dans une chapelle du Quartier latin à la recherche d'un ami, j'en suis sorti à dix-sept heures quinze en compagnie d'une amitié qui n'était pas de la terre. Entré là sceptique et athée d'extrème gauche, et plus encore qu'athée, indifférent et occupé de bien autre chose que d'un Dieu que je ne songeais même plus à nier, tant il me semblait passé depuis longtemps au compte des profits et pertes de l'inquiétude et de l'ignorance humaines, je suis ressorti quelques minutes plus tard "catholique, apostolique, romain" porté, soulevé, repris et roulé par la vague d'une joie inépuisable.
J'avais vingt ans en entrant. En sortant, j'étais un enfant prêt au baptême et qui regardait autour de lui, les yeux écarquillés, ce ciel habité, cette ville qui ne se savait pas suspendue dans les airs, ces êtres en plein soleil qui semblaient marcher dans l'obscurité, sans voir l'immense déchirure qui venait de se faire dans la toile de ce monde. Mes sentiments, mes paysages intérieurs, les constructions intellectuelles dans lesquelles j'avais pris mes aises n'existaient plus; mes habitudes elles-mêmes avaient disparu, et mes goûts étaient changés.
Je ne me dissimule pas ce qu'une conversion de ce genre, par son caractère impromptu, peut avoir de choquant et même d'inadmissible pour les esprits contemporains qui préfèrent les cheminements rationnels aux coups de foudre mystiques, et qui apprécient de moins en moins les interventions du divin dans la vie quotidienne. Pourtant, si désireux que je sois de me mettre en règle avec l'esprit de mon temps, je ne peux fournir les repères d'une élaboration lente où il y a eu changement brusque; je ne peux donner les raisons psychologiques, immédiates ou lointaines, de ce changement, parce que ces raisons n'existent pas; il m'est impossible de décrire la voie qui m'a conduit à la foi, parce que je me trouvais sur un tout autre chemin et que je pensais à tout autre chose lorsque je suis tombé dans une sorte d'embuscade[...]
Je ne dis pas que le ciel s'ouvre; il ne s'ouvre pas, il s'élance, il s'élève soudain, fulguration silencieuse, de cette insoupçonnable chapelle dans laquelle il se trouvait mystérieusement inclus.
Comment le décrire [...]? C'est un cristal indestructible, d'une transparence infinie, d'une luminosité presque insoutenable (un degré de plus m'anéantirait) et plutôt bleue, un monde, un autre monde d'un éclat et d'une densité qui renvoient le nôtre aux ombres fragiles des rêves inachevés. Il est la réalité, il est la vérité, je la vois du rivage obscur où je suis encore retenu. Il y a un ordre dans l'univers, et à son sommet, pardelà ce voile de brume resplendissante, l'évidence de Dieu, l'évidence faite présence et l'évidence faite personne de celui-là même que j'aurais nié un instant auparavant, que les chrétiens appellent notre père, et de qui j'apprends qu'il est doux, d'une douceur à nulle autre pareille, qui n'est pas la qualité passive que l'on désigne parfois sous ce nom, mais une douceur active, brisante, surpassant toute violence, capable de faire éclater la pierre la plus dure et, plus dur que la pierre, le coeur humain. Son irruption déferlante, plénière, s'accompagne d'une joie, qui n'est autre que l'exultation du sauvé, la joie du naufragé recueilli à temps, avec cette différence toute fois que c'est au mome,nt où je suis hissé vers le salut que je prends conscience de la boue dans laquelle j'étais sans le savoir englouti, et je me demande, me voyant par elle encore saisi à mi-corps, comment j'ai pu vivre et y respirer. [...]
Toutes ces sensations que je peine à traduire dans le langage inadéquat des idées et des images sont simultanées, comprises les unes dans les autres, et après des années je n'en aurai pas épuisé le contenu. Tout est dominé par la présence, au-delà et à travers une immense assemblée, de celui dont je ne pourrai plus jamais écrire le nom sans que me vienne la crainte de blesser sa tendresse, devant qui j'ai le bonheur d'être un enfant pardonné, qui s'éveille pour apprendre que tout est don. [...]
Dieu existe et tout est vrai. [...]
Les débris de mes constructions intérieures jonchaient le sol. Je regardais les passants qui allaient sans voir, et je pensais à l'émerveillement qui serait le leur, quand ils feraient à leur tour la rencontre que je venais de faire. Sûr que la même aventure leur arriverait tôt ou tard, je m'amusais par avance de la surprise des incroyants, et de ceux qui doutaient sans se douter.
Dieu existe. Je L'ai rencontré.
André Frossard
http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Frossard