Le Bouddha : une figure spirituelle éminente
Le Bouddhisme représente l'attitude spirituelle la plus haute que l'homme puisse atteindre hors d'une révélation. Rejetant toute passion comme toute superstition, le Bouddha a peut-être laissé vide la place de Dieu, mais il a eu aussi le mérite eminent de ne pas remplir ce vide par des illusions commodes.
Il n'y a qu'un personnage qui pourrait donner l'idée de le rapprocher de Jésus, c'est Bouddha. Cet homme constitue un grand mystère. Il vit dans une liberté effrayante, presque surhumaine, cependant il est d'une bonté puissante, comme une force cosmique. Peut-être, Bouddha est-il le dernier génie religieux avec lequel le Christianisme aura à s'expliquer. Personne n'a encore dégagé sa signification chrétienne.
Peut-être le Christ n'a-t-il pas eu seulement un précurseur dans l'Ancien Testament, Jean le dernier des prophètes, mais un autre au cœur de la civilisation antique, Socrate, et un troisième qui a dit le dernier mot de la philosophie et de l'ascétisme religieux orientaux, Bouddha.
Il est libre, mais sa liberté n'est pas celle du Christ. Peut-être n'est-elle que la connaissance ultime et terriblement libératrice de la vanité du monde déchu. La liberté du Christ, elle, vient de ce qu'il se tient entièrement dans l'amour de Dieu, sa disposition intérieure, c'est la volonté, grave comme celle de Dieu, de sauver le monde (...)
Demandons-nous: que peut produire un homme dans un autre? Sa méchanceté peut détruire, sa peur empoisonner, sa convoitise violenter et asservir. Son cœur peut délivrer, secourir, susciter de la vie. Son esprit peut construire, créer des communautés et des œuvres. Tout cela est vrai et il serait folie de vouloir sous-estimer l'une quelconque de ces réalités.
Néanmoins, ce que l'homme peut produire ne sort pas du monde. Il peut développer des possibilités données, modifier et transformer ce qui est ; il est incapable de toucher au monde considéré comme un tout puisqu'il en fait partie. Sa manière d'être sur la terre est une illustration. Il peut y faire des choses innombrables mais elle échappe elle-même à son pouvoir.
Un seul a essayé sérieusement de mettre la main sur l'être lui-même et c'est Bouddha. Il n'a pas voulu seulement devenir meilleur ni trouver la paix à partir du monde. Il a entrepris cette chose incompréhensible de mettre hors de ses gonds l'existence humaine tout en y demeurant ; ce qu'il entend par nirvana, par le réveil suprême n'a pas encore été compris et apprécié chrétiennement par personne.
Celui qui voudrait le faire devrait avoir été parfaitement affranchi par l'amour du Christ et en même temps être uni très respectueusement à cet homme mystérieux du VIe siècle avant Jésus Christ.
R. Guardini, Le Seigneur, t. I, éd. Alsatia, pp. 346-347.
Charité chrétienne et bienveillance bouddhiste
La foi en la réalité de la personne humaine distingue radicalement le Christianisme et le Bouddhisme. Le prochain est aimé pour lui-même alors que la bienveillance qui mène la même lutte contre la détresse humaine ne peut aller jusqu'à l'amour de l'autre. Il est vrai que cette différence apparaît plus clairement dans le Bouddhisme ancien que dans le Grand Véhicule. Mais la vacuité de la personne est affirmée dans les deux cas. Là encore, le Bouddhisme laisse un vide là où l'évangile voit une plénitude.
Si le Bouddha attache à l'amour une valeur positive, c'est uniquement parce qu'il est une «rédemption du cœur», et non une source d'inspiration positive, et parce que, tout en ayant pour effet « accidentel » des actes secourables et charitables, il représente une technique qui permet à l'homme de surmonter son Moi individuel enfermé en lui-même, et, au degré d'absorption le plus élevé, de s'affranchir de son individualité et de sa personne en général.
Ce que le Bouddha apprécie dans l'amour et dans les techniques qui s'y attachent, c'est le point de départ qu'il fournit ; non le but vers lequel il conduit. Autrement dit, il n'apprécie dans l'amour que le détachement de soi-même qu'il comporte ; la négation de soi-même : autant de manifestations auxquelles les autres modes d'être fournissent seulement des « prétextes » exemplaires.
M. Scheler, Natures et formes de la Sympathie, Aubier-Montaigne, p. 121.
Renoncement chrétien et renoncement bouddhiste
Certains lecteurs seront sans doute frappés par des ressemblances qui se manifestent entre la pauvreté bouddhique et celle des ordres mendiants chrétiens, notamment des franciscains. Les auteurs bouddhiques eux-mêmes, quand ils connaissent quelque peu les institutions chrétiennes, ont assez souvent souligné cette similitude. Elle est, de fait, réelle en plusieurs points, notamment dans la décision libre de tout quitter, dans la réduction systématique des nécessités et des facilités de la vie, dans le recours à la quête dans une certaine « joie » d'être pauvre et donc libre.
Ces ressemblances au niveau des comportements et des sentiments humains ne peuvent faire oublier une différence essentielle des motivations. Certes, de part et d'autre, il y a bien volonté et réalisation d'un renoncement pour un contentement. Mais c'est une fois ce vide obtenu que diffèrent en profondeur Bouddhisme et Christianisme. Pour le Bouddhisme, ce vide est final et, en tant qu'il représente la suppression du désir par la suppression des objets, il est en soi béatifiant, mais d'un bonheur qui paraît négatif.
Dans le Christianisme, au contraire, le vide n'est réalisé que dans et pour une plénitude ; la conviction d'une divine présence et protection qui « emplit de bien les affamés ». L'exclamation, universellement chrétienne, mais spécialement attribuée à saint François, nous donne ici la note différentielle : Mon Dieu est mon Tout. Dieu est le Tout du chrétien ; plus il en est persuadé, moins il ressent le désir de recourir aux objets extérieurs et satisfactions extérieures.
Le chrétien ne tue pas le désir radicalement comme le bouddhiste ; il ne nie pas que ce désir ait un objet mais cet objet, but de son amour comme de son aspiration, est Dieu même. Dans cette perspective, au lieu de déprécier la réalité créée, il la valorise car, s'il faut s'en déposséder comme le Christ jusqu'à la mort en croix, on est sûr de revivre en toute la richesse de la Résurrection.
J. Masson, Le Bouddhisme, Desclée de Brouwer, p. 127.
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