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8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 23:53

De la mort et de la resurrection

 

Notre existence humaine peut être comparée à un livre. La plupart des gens considèrent leur vie ici-bas comme le texte réel, l’histoire principale ; ils voient la vie future – pour autant, bien sûr, qu’ils croient à sa réalité – comme un simple appendice. L’attitude chrétienne authentique est exactement l’inverse. Notre vie présente n’est en réalité pas plus que la préface, l’introduction du livre ; la vie future constitue en revanche l’histoire principale. Le moment de la mort n’est pas la conclusion du livre, mais le commencement du premier chapitre.

Sur ce point final, qui est en réalité un départ, il convient de rappeler deux choses, si évidentes qu’on les oublie facilement. D’abord, la mort est un fait inévitable et certain. Ensuite, la mort est un mystère. Il nous faut donc la voir avec des sentiments opposés ; avec sobriété et réalisme d’un côté, crainte et émerveillement de l’autre.

Dans cette vie, il n’y a qu’une seule chose dont nous pouvons être sûrs : nous allons tous mourir – à moins que le second avènement du Christ ne survienne avant. La mort est le seul événement déterminé, inévitable, auquel l’homme doit s’attendre. Et si j’essaie de l’oublier, de me cacher son caractère inéluctable, je ne peux être que perdant. Le vrai humanisme est inséparable de la conscience de la mort ; c’est seulement en affrontant et en acceptant la réalité de ma mort à venir que je peux devenir authentiquement vivant. Comme l’a observé D. H. Lawrence : " Sans le chant de la mort, le chant de la vie est fade et ridicule. " En ignorant la dimension de la mort, nous privons la vie de sa vraie grandeur.

Le métropolite Antoine de Souroge l’a dit avec force : " La mort est la pierre d’angle de notre attitude envers la vie. Ceux qui ont peur de la mort ont peur de la vie. Il est impossible de ne pas avoir peur de la vie avec toute sa complexité et tous ses dangers si on a peur de la mort. (...) Si nous avons peur de la mort, nous ne serons jamais prêts à prendre le risque ultime ; nous passerons notre vie d’une manière lâche, prudente et timide. Ce n’est qu’en regardant la mort en face, en lui donnant un sens, en déterminant la place qui lui revient et la nôtre par rapport à elle, que nous serons capables de vivre sans crainte et jusqu’au bout de nos possibilités " (1).

Cependant, notre réalisme et notre détermination à donner un sens à la mort ne devraient pas nous amener à réduire la seconde vérité : le caractère mystérieux de la mort. Malgré tout ce que peuvent nous dire nos différentes traditions religieuses, nous ne comprenons quasiment rien de " ce pays inconnu dont ne revient aucun voyageur... " Il est vrai, comme le fait remarquer Hamlet, que la crainte de la mort " embarrasse la volonté " . Nous devons résister à la tentation de chercher trop loin et d’en dire trop. Il ne faut pas banaliser la mort. C’est un fait inéluctable et certain, mais c’est aussi la grande inconnue. […]

Sur la place de la mort dans notre vie et notre position face à elle, il convient de bien garder à l’esprit trois choses. D’abord, la mort est plus proche de nous que nous ne l’imaginons. Ensuite, elle est profondément non naturelle, contraire au plan divin tout en étant, cependant, un don de Dieu. Enfin, elle est une séparation qui n’est pas séparation.

La mort n’est pas simplement un événement lointain qui viendrait conclure notre existence terrestre ; c’est une réalité bien présente, qui se poursuit sans cesse autour de nous et en nous. " Chaque jour je suis à la mort " , dit saint Paul (1 Co 15,31) ; " Le temps de la mort est chaque instant " , renchérit T.S. Eliot. Tout ce qui vit est une forme de mort ; nous mourons tout le temps. Mais dans cette expérience quotidienne de la mort, chaque mort est suivie d’une nouvelle naissance : toute mort est aussi une forme de vie. La vie et la mort ne sont pas contraires ; elles ne s’excluent pas mutuellement, mais elles s’entrelacent. Toute notre existence humaine est un mélange de mort et de résurrection. " Pour gens qui vont mourir, et nous voilà vivants " (2 Co 6,9). Notre voyage sur cette terre est une pâque incessante, une traversée continuelle de la mort vers une nouvelle vie. Entre notre naissance initiale et notre mort finale, tout le cours de notre existence est constitué d’une série de " petites " morts et naissances.

Chaque fois que nous nous endormons, la nuit venue, c’est un avant-goût de la mort ; chaque fois que nous nous réveillons, le matin suivant, c’est comme si nous ressuscitions d’entre les morts. Une bénédiction juive dit : " Béni sois-tu, ô Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers, qui recrée ton monde chaque matin. " Il en va de même pour nous : chaque matin, quand nous nous réveillons, nous sommes comme recréés. Peut-être notre mort ultime sera-t-elle, de la même manière, une " re-création, " un endormissement suivi d’un réveil. Nous n’avons pas peur de nous endormir chaque nuit, parce que nous savons que nous allons nous réveiller une fois de plus le lendemain matin. Ne pouvons-nous pas avoir la même confiance envers notre ultime endormissement dans la mort ? Ne pourrions-nous pas nous attendre à nous réveiller, recréés, dans l’éternité ?

Ce modèle vie-mort apparaît aussi, un peu différemment, dans le processus de notre croissance. À chaque étape, quelque chose en nous doit mourir pour que nous puissions passer à l’étape suivante de la vie. Le passage du nourrisson à l’enfant, de l’enfant à l’adolescent, de l’adolescent à l’adulte mûr, implique à chaque fois une mort intérieure pour permettre la naissance de quelque chose de nouveau. Et ces transitions, en particulier celle de l’enfance à l’adolescence, peuvent être sources de crise, parfois même très douloureuses. Mais si, à un point ou à un autre, nous refusons cette nécessité de mourir, alors nous ne pouvons nous développer et devenir de vraies personnes. Comme l’écrit George MacDonald dans son roman Lilith, " Vous serez mort tant que vous refuserez de mourir. " C’est justement la mort du vieux qui rend possible l’émergence du neuf en nous ; sans la mort, il ne saurait y avoir de vie nouvelle.

Si devenir adulte est une forme de mort, il en va de même pour le départ, la séparation d’avec un lieu ou une personne que nous avons aimés. Ces séparations sont nécessaires dans notre croissance continue vers la maturité. À moins d’avoir un jour le courage de quitter notre environnement familier, de nous séparer de nos amis actuels et de forger de nouveaux liens, nous ne réaliserons jamais tout ce que nous avons en nous, notre véritable potentiel. En nous accrochant trop longtemps à l’ancien, nous refusons l’invitation à découvrir ce qui est neuf. […]

Pour nombre de croyants, la mort de la foi – la perte de nos certitudes (du moins apparentes) les plus profondes sur Dieu et le sens de l’existence – est presque aussi traumatisante que la perte d’un ami ou d’un conjoint. Mais cela aussi est une expérience de mort-vie par laquelle nous devons passer pour que notre foi mûrisse. La foi authentique est un dialogue permanent avec le doute. Dieu dépasse infiniment tout ce que nous pouvons dire de lui ; nos concepts mentaux sont des idoles qui doivent être brisées. Pour être pleinement vivante, notre foi doit continuellement mourir.

Dans tous ces cas, il se trouve que la mort n’a pas un caractère destructif, mais créatif. C’est de la mort que vient la résurrection. Une chose qui meurt est une chose qui naît à la vie. La mort qui survient à la fin de notre vie terrestre n’est-elle pas du même ordre ? N’est-elle pas la plus ultime et la plus formidable mort-résurrection parmi toutes celles que nous avons connues depuis notre naissance ? Loin d’en être totalement coupée, la mort est l’expression plus vaste et plus complète de tout ce que nous avons vécu au cours de notre vie. Si les petites morts par lesquelles nous avons dû passer nous ont conduits à chaque fois au-delà, vers une résurrection, pourquoi cela ne serait-il pas vrai aussi du grand moment de la mort, lorsqu’il est temps pour nous de quitter ce monde ?

Mais ce n’est pas tout. Pour les chrétiens, ce modèle de mort-résurrection répété à l’infini dans notre vie, prend son sens le plus profond dans la vie, la mort et la résurrection de notre Sauveur Jésus Christ. Notre propre histoire doit être comprise à la lumière de son histoire, que nous célébrons chaque année pendant la Semaine sainte, mais aussi chaque dimanche dans la Liturgie eucharistique. Toutes nos petites morts et résurrections sont unies, à travers l’histoire, à sa mort et résurrection définitives, nos petites pâques sont élevées et réaffirmées dans sa grande Pâque. La mort du Christ, selon la liturgie de saint Basile, est une " mort créatrice de vie " . Sûrs de son exemple, nous croyons que notre propre mort peut aussi être " créatrice de vie " . Le Christ est notre précurseur et nos prémices. Ainsi que l’Église orthodoxe l’affirme la nuit de Pâques, dans l’homélie attribuée à saint Jean Chrysostome (IVe s.) : " Que nul ne craigne la mort, car celle du Sauveur nous en a délivrés ; il l’a fait disparaître après l’avoir subie. (...) Le Christ est ressuscité, et voici que règne la vie. Le Christ est ressuscité, et il n’est plus de mort au tombeau " (3).

La mort est donc notre compagne tout au long de notre vie, comme une expérience quotidienne permanente, répétée à l’infini. Pourtant, aussi familière qu’elle soit, elle reste profondément non naturelle. La mort n’appartient pas au dessein pré-éternel de Dieu pour sa création. Dieu nous a créés, non pas pour que nous mourions, mais pour que nous vivions. Plus encore, il nous a créés comme une unité indivisible. D’un point de vue juif et chrétien, la personne humaine doit être vue en termes complètement holistiques : nous ne sommes pas une âme emprisonnée temporairement dans un corps et qui aspire à s’en échapper, mais une totalité intégrée qui embrasse le corps et l’âme. Carl Gustav Jung avait raison d’insister sur ce qu’il appelle la " vérité mystérieuse " : " L’esprit est le corps vivant vu de l’intérieur, et le corps est la manifestation extérieure de l’esprit vivant – les deux étant vraiment un. " En tant que séparation du corps et de l’âme, la mort est par conséquent une violente atteinte à l’unité de notre nature humaine.

Si la mort est quelque chose qui nous attend tous, elle est aussi profondément a-normale. Elle est monstrueuse et tragique. Devant la mort de nos proches et notre propre mort, quel que soit notre réalisme, nos sentiments de désolation, d’horreur et même d’indignation sont justifiés : " N’entrez pas doucement dans cette bonne nuit-là. Ragez, tempêtez contre l’agonie de la lumière " , dit le poète Dylan Thomas. Jésus lui-même a pleuré devant le tombeau de son ami Lazare (Jn 11,35) ; et au jardin de Gethsémani, il était rempli d’angoisse devant la perspective, imminente, de sa propre mort (Mt 26,38). Saint Paul considère la mort comme un " ennemi à détruire " (1 Co 15,26) et il la lie étroitement au péché : " L’aiguillon de la mort, c’est le péché " (1 Co 15,56). C’est parce que nous vivons tous dans un monde déchu —un monde distordu, désuni, fou, écrasé – que nous allons mourir.

Pourtant, si la mort est tragique, elle est aussi, en même temps, une bénédiction. Bien qu’elle ne fasse pas partie du plan divin, elle n’en est pas moins un don de Dieu, une expression de sa miséricorde et de sa compassion. Pour nous humains, vivre sans fin dans ce monde déchu, captif à jamais du cercle vicieux de l’ennui et du péché, eût été un destin terrible et insupportable. C’est pourquoi Dieu nous a offert une échappatoire. Il défait l’union de l’âme et du corps, afin de pouvoir ensuite les recréer, les réunir lors de la résurrection des corps au dernier jour, et les ramener ainsi à la plénitude de la vie. Il est comme le potier qu’observait le prophète Jérémie : " Je descendis chez le potier, et voici qu’il travaillait au tour. Mais le vase qu’il fabriquait fut manqué, comme cela arrive à l’argile dans la main du potier. Il recommença et fit un autre vase, ainsi qu’il paraissait bon au potier " (Jr 18,4-5). Le potier divin pose sa main sur le vase de notre humanité, abîmé par le péché, et il le brise pour pouvoir le refaçonner sur son tour et lui rendre sa gloire initiale. La mort, en ce sens, est ainsi l’instrument de notre restauration. Comme le chante l’Église orthodoxe dans son service funèbre : " Jadis tu m’as tiré du néant pour me former à l’image de Dieu, mais j’ai transgressé ta loi et tu m’as fait retourner à la glaise dont tu m’avais créé ; vers ta ressemblance fais-moi revenir maintenant et restaure ma première beauté " (4). […]

Il y a donc une dialectique dans notre attitude envers la mort : mais les deux approches, finalement, ne sont pas contradictoires. Nous voyons la mort comme non naturelle, a-normale, contraire au plan originel du Créateur, et nous nous révoltons contre elle avec douleur et désespoir. Mais nous la considérons aussi comme une part de la volonté divine, une bénédiction et non une punition. Elle est aussi une issue à notre impasse, un moyen de la grâce, la porte vers notre re-création. C’est notre voie de retour. Pour citer à nouveau le service funèbre orthodoxe : " Je suis la brebis perdue : rappelle-moi, ô mon Sauveur, et sauve-moi. " Nous nous approchons donc de la mort avec empressement et espoir, disant avec saint François d’Assise : "  Que mon Seigneur soit loué pour notre soeur, la mort corporelle "  ; car à travers cette mort corporelle, le Seigneur rappelle à lui l’enfant de Dieu. Au-delà de leur séparation dans la mort, l’âme et le corps seront réintégrés lors de la résurrection finale.

Cette dialectique apparaît clairement dans le déroulement des funérailles orthodoxes. Rien n’est fait pour essayer d’occulter la pénible et choquante réalité de la mort. Le cercueil reste ouvert, et c’est souvent un moment poignant quand les familles et les amis s’approchent les uns après les autres pour donner le dernier baiser au défunt. Pourtant, en même temps, en de nombreux endroits, il est d’usage de porter non pas des vêtements noirs, mais blancs, les mêmes que l’on porte pour l’office de la Résurrection pendant la nuit pascale : car le Christ, ressuscité des morts, appelle les chrétiens défunts à partager sa propre résurrection. Il n’est pas interdit de pleurer à un enterrement ; c’est même plutôt sage, car les larmes peuvent agir comme un baume et la blessure est plus profonde quand la peine est refoulée. Mais il ne faut pas nous désoler " comme les autres, qui n’ont pas d’espérance " (1 Th 4,13). Notre affliction, quelque déchirante qu’elle soit, n’est pas désespérée ; car, comme nous le confessons dans le Credo, nous attendons " la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. "

Enfin, la mort est une séparation qui n’est pas séparation. La tradition orthodoxe attache la plus grande importance à ce point. Les vivants et les défunts appartiennent à une seule famille. L’abîme de la mort n’est pas infranchissable, puisque nous pouvons tous nous retrouver autour de l’autel de Dieu. L’écrivain russe Iulia de Beausobre (1893-1977) disait : " L’Église (...) est le point de rencontre des morts, des vivants et de ceux encore à naître qui, s’aimant les uns les autres, se réunissent autour du roc de l’autel pour proclamer leur amour de Dieu " (5). C’est aussi ce que dit un autre auteur russe, le prêtre missionnaire Macaire Gloukharev (1792-1847) dans une lettre à un fidèle en deuil : " En Christ nous vivons, nous nous mouvons et nous existons. Vivants et morts, tous nous sommes en lui. Il serait plus juste de dire : nous sommes tous vivants en lui, et il n’y a pas de mort. Notre Dieu n’est pas un Dieu des morts, c’est le Dieu des vivants. C’est votre Dieu, c’est le Dieu de la défunte. Il n’y a qu’un Dieu, et vous êtes unis dans l’Unique. Seulement, vous ne pourrez pas vous voir pendant quelque temps, pour que la rencontre future soit plus joyeuse. Alors plus personne ne vous enlèvera votre joie. Mais même maintenant vous vivez ensemble ; seulement elle est allée dans une autre chambre et a fermé la porte... L’amour spirituel ignore la séparation visible " (6). […]

Reste la question, souvent posée et impossible à résoudre dans l’état de nos connaissances, de la résurrection des corps. Nous avons dit que la personne humaine avait à l’origine été créée par Dieu comme une unité indivisible du corps et de l’âme, et que nous attendions, au-delà de leur séparation par la mort physique, leur réunification ultime au dernier jour. Une anthropologie holistique nous amène à croire, non pas simplement à l’immortalité de l’âme, mais à la résurrection du corps. Puisque le corps est partie intégrante de la personne humaine totale, toute immortalité pleinement personnelle doit impliquer aussi bien le corps que l’âme. Quelle est, dans ce cas, la relation entre notre corps actuel et le corps de notre résurrection dans le siècle à venir ? Lors de la résurrection, aurons-nous le même corps que maintenant ou un corps nouveau ?

La meilleure réponse est peut-être celle-ci : le corps sera simultanément le même et un autre. Les chrétiens comprennent parfois la résurrection des corps d’une manière simpliste et étroite. Ils imaginent que les éléments matériels constitutifs du corps, qui ont été dissous et dispersés par la mort, seront d’une certaine manière rassemblés au jour du Jugement dernier, de sorte que le corps reconstitué contiendra exactement les mêmes fragments minuscules de matière qu’auparavant.

Mais ceux qui affirment une continuité entre notre corps actuel et notre corps au dernier jour n’ont pas nécessairement une vision aussi littérale des choses. Saint Grégoire de Nysse, par exemple, dans La création de l’homme et De l’âme et de la résurrection, propose une approche plus avisée et imaginative. L’âme, pour lui, confère au corps une forme distincte (eidos) ; elle marque le corps d’une empreinte ou d’un sceau particuliers, imposés non pas de l’extérieur mais de l’intérieur. C’est par cette empreinte que le corps exprime le caractère ou l’état spirituel intérieur de la personne. Au cours de notre vie ici-bas, les constituants physiques de notre corps changent plusieurs fois ; mais dans la mesure où la forme imprimée par l’âme possède une continuité qui n’est pas affectée par ces altérations physiques, on peut vraiment dire que notre corps reste le même. Il y a une authentique continuité corporelle, puisqu’il y a une continuité dans la forme donnée à l’âme. […]

Lors de la résurrection finale, poursuit saint Grégoire, l’âme va marquer notre corps ressuscité du même sceau qu’il avait durant cette vie. Il n’est pas nécessaire que les mêmes fragments soient rassemblés ; le même sceau suffit pour que le corps soit le même. Entre notre corps présent et notre corps ressuscité, il y aura, en effet, une véritable continuité, qu’il ne faut cependant pas interpréter d’une manière trop naïvement matérialiste.

Cela dit, si le corps en ce sens reste le même dans la résurrection, il sera également différent. Comme le dit saint Paul : " On est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel " (1 Co 15,44). " Spirituel " , ici, ne doit pas être pris au sens de " non matériel " . Le corps ressuscité sera toujours un corps matériel, mais, en même temps, il sera transformé par le pouvoir et la gloire de l’Esprit, et ainsi libéré de toutes les limites de la matérialité telles que nous les connaissons maintenant. Pour l’instant, nous ne connaissons le monde matériel et nos propres corps matériels que dans leur état de chute ; concevoir les caractéristiques que la matière possèdera dans un monde non déchu est largement au-delà des pouvoirs de notre imagination.

Nous ne pouvons que faiblement deviner la transparence et la vitalité, la légèreté et la sensibilité dont notre corps ressuscité, à la fois matériel et spirituel, sera revêtu dans le siècle à venir. Comme l’écrit saint Ephrem le Syrien (+ 373) : " Regarde cet individu en qui avait fait sa demeure une légion de diables : on ignorait qu’ils s’y trouvaient car leur armée était bien plus ténue et subtile que l’âme. Et tout entière, en un seul corps, cette armée a pu résider. Or, ils sont cent fois plus ténus et cent fois aussi plus subtils, les corps des justes qui se lèvent au jour de la résurrection. Et ils sont à la ressemblance d’un esprit qui serait capable de croître et grandir à sa guise, de se tasser et rétrécir. Rétréci, il est en un lieu et agrandi, il est partout. (...) Combien alors le Paradis (qu’il soit loué !) suffira-t-il plus encore à tous ces esprits, dont la substance est si subtile que même les pensées ne peuvent réussir à les percevoir " (9). C’est là peut-être la meilleure description que nous puissions espérer de la gloire de la résurrection. Laissons le reste au silence. " Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté " (1 Jn 3,2).

par Mgr Kallistos Ware

 

NOTES

1. Sobornost, " On Death " , 1:2, 1979, p. 8.

3. Pentecostaire, t.1, Collège grec de Rome, 1978, pp. 21-22.

4. Grand Euchologe et Arkhiératikon, Diaconie apostolique, 1992, p. 212.

5. Creative Suffering, Londres, 1940, p. 44.

6. 5. Tyszkiewicz et Dom Th. Belpaire, Écrits d’ascètes russes, Éditions du Soleil Levant, 1957, p. 104.

9. " La Harpe de l’Esprit " , in Sebastian Brock, L’Oeil de Lumière, Abbaye de Bellefontaine (Spiritualité orientale N° 50), pp. 222-223.

 

Extrait du livre Le royaume intérieur, Le Sel de la Terre, 1993.

Traduit de l’anglais par Lucie et Maxime Egger.

Reproduit avec l'autorisation des Éditions Le Sel de la Terre.

http://pagesorthodoxes.net/resurrection/mort-resurrection.htm

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