« Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits...»
(Évangile de Jean 4, 6)
Midi l'heure où l'ombre n'est plus que l'ombre d'elle-même. L'heure de la plus haute clarté. Celle des révélations. J'aurais dû m'en douter à l'instant où je l'ai aperçu au bord du puits, couleur de terre, assis sur la fatigue du voyage.
Il ne m'avait pas entendue arriver. Sur le sable, les pieds chuchotaient.
Mais quand il a plongé ses yeux dans les miens, j'ai compris qu'il venait de très loin. Que sa fatigue était ancienne, vieille comme le monde. Comme si le de hors, avec son collier de malheurs, lui était entré dans le corps.
C'est l'âme chez lui qui était empoussiérée, car c'est au-dedans qu'il avait marché, que les cailloux du chemin l'avaient blessé. On étouffait sous la chaleur de cette sixième heure, mais lui avait du brouillard à l'intérieur. « Donne-moi à boire ! »
Il avait beaucoup marché, à travers collines et villages. Il avait parlé, mais aussi écouté le vent sur les visages. Il avait voulu partager la braise, raconter le sel et la lumière, laisser une parole plus haute que la guerre. Mais il avait vu comment l'ombre s'y prend pour découdre la vie, ternir les yeux et boucher les oreilles. Il aurait aimé élargir les coeurs, mais la pierre roulait à l'envers et refermait les tombeaux.
« Donne-moi à boire I » J'ai fait mine de ne pas entendre. Je n'étais pas venue pour désaltérer un inconnu. Puiser l'eau pour les miens m'était déjà assez épuisant. Je rêvais aussi de m'asseoir et qu'on me donne à boire. J'ai fini par m'étonner. Fallait-il qu'il ait soif cet homme-là pour me demander de l'eau à moi, la mal vivante, la mal aimante !
Je n'ai pas compris tout ce qu'il me disait, mais ses paroles ont fait une chanson dans ma tête. Il me disait de descendre dans mon propre puits, d'aller dessous mes eaux dormantes chercher la source jaillissante. Je pouvais laisser ma peur de me perdre dans mes profondeurs, car plus profond encore l'amour me recueillait. Il m'apprenait l'eau claire d'une vie que je ne soupçonnais pas.
Il me racontait Dieu assoiffé sur la margelle de mon humanité et l'appel à le désaltérer. Je l'ai laissé en sachant que je ne le quittais pas. Peut-on se séparer de ce qui ne passe pas ?
Depuis ce midi-là, ma cruche est restée au bord du puits. Vous l'apercevrez si vous passez par là. Mais je vous en prie, ne l'utilisez pas ! Vous avez en vous de quoi puiser l'eau vive où Dieu lui-même reprend vie.
Francine Carrillo
Pasteure et théologienne à Genève, écrivain et poète. A publié Saisons spirituelles », coll. - Les guides de Panorama » (hors-série n° 71)