Aucun récipient ne peut contenir deux boissons différentes. S'il doit contenir du vin, il faut nécessairement le vider de son eau. Il faut que le récipient soit nu et vide.
C'est pourquoi, si tu veux recevoir la joie divine et Dieu, il faut nécessairement que tu te vides des créatures.(...) tout ce qui doit accueillir et être réceptif doit nécessairement être nu et vide.
Les maîtres disent : Si l'oeil avait une quelconque couleur en soi quand il perçoit, il ne percevrait ni la couleur qui est en lui, ni celle qu'il n'a pas, mais l'oeil voit toutes les couleurs, parce qu'en lui-même il est incolore . Parce que le mur est coloré, il reste insensible à la couleur.
En fait de couleur, il ne reconnaît ni la sienne ni aucune autre : ni or, ni charbon, ni pierre précieuse. C'est justement parce qu'il est incolore que l'oeil possède véritablement la couleur : il la reconnaît avec plaisir, délice et joie.
Plus les puissances de l'âme sont transparentes et nues, plus elles reçoivent parfaitement et abondamment ce qu'elles accueillent ; plus elles reçoivent, plus leur joie est grande, plus elles font un avec ce qu'elles reçoivent, tant et si bien que la plus haute puissance de l'âme, qui est dépouillée de toute chose et n'a rien de commun avec quoi que ce soit, n'accueille rien de moins que Dieu lui-même dans l'immensité et la plénitude de l'être.
En témoignent les maîtres, qui disent que cette union, ce flux et cette félicité ne peuvent se comparer à aucune joie, ni à aucune félicité.
C'est pourquoi Notre-Seigneur dit de façon remarquable : « Bienheureux sont les pauvres en esprit. »
Pauvre est celui qui n'a rien. Pauvre en esprit, cela veut dire : de même que l'oeil, pauvre et vide de toute couleur, devient réceptif à toute couleur, de même celui qui est pauvre en esprit est réceptif à tout esprit. Or l'Esprit de tous les esprits, c'est Dieu. Le fruit de l'Esprit c'est l'amour, la paix et la joie.
Le fait d'être nu et pauvre, de ne rien avoir et d'être vide, transforme la nature.
Le vide fait monter l'eau au sommet des montagnes et opère bien d'autres merveilles dont on ne saurait parler ici.
Si tu veux donc trouver pleine consolation et plénitude de joie en Dieu, veille à être vide de toutes les créatures, de toute consolation venant des créatures. Car tout le temps que la créature te console et peut te consoler, tu ne trouveras assurément jamais de vraie consolation.
Mais lorsque rien hormis Dieu ne peut te consoler, en vérité, Dieu te consolera et en même temps que lui et en lui, tout ce qui est joie.
Si ce qui n'est pas Dieu te console, tu n'auras de consolation nulle part, mais si la créature ne te console pas et que tu n'y trouves pas de goût, tu trouveras la consolation ici et ailleurs.
S'il était possible de vider parfaitement une coupe et de la garder vide de tout ce qui peut la remplir, même de l'air, la coupe renierait et oublierait certainement sa nature et le vide l'emporterait jusqu'au ciel.
De même, être dénudé, pauvre et vide de toutes les créatures élève l'âme jusqu'à Dieu."
Maître Eckhart,
La divine consolation , Éditions Payot & Rivages © 2004, Traduction Wolfgang Wackernagel, pp. 52-54.
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