Je ne saurais parler, sans parler de l’amour ;
J’aime mieux garder le silence :
Heureuse de perdre le jour,
En vivant sous sa dépendance.
On me dit que d’amour je parle à tout moment ;
On m’en fait souvent le reproche :
Je trouve mon contentement
D’en entretenir qui m’approche.
Mon plaisir est l’amour : je veux sans fin chanter
Et mon bonheur et sa louange :
L’amour peut seul me contenter :
Sans l’amour que tout m’est étrange !
L’amour a mon esprit, il possède mon cœur :
Il est suffisant à soi-même :
Il renferme tout mon bonheur ;
Je ne puis vivre si je n’aime.
L’amour fait mon plaisir, l’amour fait ma douleur ;
Il est ma joie, et ma souffrance :
Sans l’amour je n’ai point de cœur,
Et tombe dans la défaillance.
Ô toi, divin amour, seul et souverain bien,
Voudrais-tu me fermer la bouche ?
Malgré l’homme sois mon soutien ;
Puisque toi seul : Amour, me touches.
Que l’on m’ôte l’honneur, les biens, la liberté,
Tous mes amis, même la vie ;
Contente de ta vérité,
Je serai du trouble affranchie.
Si tu le permettais, ô pur et chaste amour,
Tu pourrais par moi te transmettre :
Si d’amour je fais un discours,
C’est à toi de le faire admettre.
Je veux, ô cher Amour, t’écrire dans les cieux
Que l’amour y serve d’étoiles ;
Je veux t’écrire en tous les lieux,
Sur la nuit, sur ses sombres voiles.
J’écrirai sur la nuit l’amour avec du feu ;
Et par ce brillant caractère,
Je ferai brûler pour mon Dieu
Le Ciel aussi bien que la terre.
Je veux écrire en toi, ô fluide Océan,
Et tracer l’amour sur tes ondes :
Car l’amour est assez puissant
Pour graver sur l’eau vagabonde.
Je te veux, cher amour, écrire sur les monts ;
Je te veux graver sur la pierre :
Dans les abîmes plus profonds,
Je ferai voir ton caractère.
J’écrirai sur le cœur l’amour pur et parfait,
Le burinant à traits de flammes :
Mon esprit sera satisfait
D’imprimer l’amour dans les âmes.
J’irai dans les enfers et crierai nuit et jour :
L’amour ôterait votre peine,
Si capables de quelque amour
Vous changiez en amour la haine.
Je veux chanter, Amour, ta gloire à tout moment,
Tant qu’il me restera de vie ;
Je veux te faire voir si grand,
Qu’à te suivre on brûle d’envie.
Mais je n’ai plus de voix : tous les hommes unis
Ne travaillent qu’à te combattre ;
Je vois partout tes ennemis :
Ta force pourrait les abattre,
Je n’oserais parler, je n’oserais chanter ;
Car les hommes me font la guerre :
Chacun cherche à m’épouvanter ;
Que craindrai-je, aimant le tonnerre ?
Si l’Amour est pour moi, je me moque de tous ;
Puisque l’amour est mon partage :
Venez sur moi, troupe de loups ;
Vous me serez un badinage.
Qui saurait bien aimer, saurait si bien souffrir
Sans craindre tourment ni menace,
Qu’il viendrait à tous maux s’offrir
Par amour, et non par audace.
Ô souverain Amour, immense Vérité !
Je voudrais exhaler mon âme,
Pour me perdre en votre unité
Madame Guyon
Poésies et Cantiques, 1790
À Thonon, situé au bord sud du lac Léman, elle découvre qu'une union spirituelle vécue sous la forme de prière silencieuse transmise de cœur à cœur est possible.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_Guyon
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