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4 juillet 2014 5 04 /07 /juillet /2014 22:34

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Entretien avec le Professeur Didier Sicard sur la fin de vie

Didier Sicard né en 1938, est un médecin français et ancien président du Comité consultatif national d'éthique de 1999 à 2008. Il est professeur de médecine à l'université Paris Descartes et a été chef de service de médecine interne à l'hôpital Cochin, à Paris.

 

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brice-couturier.jpgChronique de Brice Couturier du 25 juin 2014

Cachez cette agonie que je ne saurais voir

Pourquoi la mort est-elle devenue obscène dans notre société ?

Plutôt que de se prononcer sur le fond, qui doit être réservé au philosophe, je vous propose d’interroger la question elle-même du point de vue de l’histoire des sensibilités. Pourquoi nos ancêtres acceptaient-ils l’agonie et la vivaient comme le point culminant d’une vie et pourquoi cette ultime étape apparaît-elle à la plupart d’entre nous comme superflue ? Tel un épisode inutile qu’il est préférable de zaper ? La mort d’autrefois était inscrite dans un rituel et elle prenait sens. La mort, aujourd’hui, est ressentie comme vaguement obscène. Pourquoi ?

Quelques pistes.

La plus évidente, c’est que l’esprit du temps valorise le bien-être, le plaisir, la jeunesse et la santé ; tout ce qui est susceptible de provoquer la souffrance mérite d’être combattu. Les anciennes morales sont progressivement remplacées par des techniques de bien-être. Au JT, l’éternel reportage sur les plages de l’été : il fait beau, « on en profite ».

Trahison : le beau slogan subversif des situationnstes « jouissez sans entraves » a été décliné en mille slogans par l’industrie publicitaire au profit de la société marchande. La vie mérite d’être vécue pour autant que notre appétit de consommation et notre capacité à le satisfaire demeure intacts. Dans le cas contraire, nous devenons une gêne pour le système. Un non-consommateur est un mauvais citoyen. De même que le chômeur donne mauvaise conscience à ceux qui ont pu se maintenir à flot, l’agonisant dérange parce qu’il nous renvoie à l’absurdité de notre existence.

Notre société ne croit ni à l’existence du Mal – c’est pourquoi elle refuse de reconnaître un ennemi en celui qui lui déclare la guerre, ni à la valeur de la souffrance. L’agonisant a honte d’enfreindre la loi de l’époque. Sa souffrance est de mauvais goût et elle incommode ses proches. Autrefois, on mourait chez soi, entouré des siens, comme dans les tableaux de Greuze. Cela faisait partie du cycle accepté. Aujourd’hui, on devrait faire ça en cachette, dans un lieu sous-terrain et aseptisé, secondé par quelques professionnels en blanc. Le plus vite sera le mieux. La mort n’a simplement plus de place dans nos vies.

Mais il y a aussi l’actuel triomphe de la volonté. Nous vivons avec l’illusion de notre absolue liberté. On choisit son genre, on peut acquérir des bébés-éprouvettes et se refaire un visage de vingt ans à soixante… La nécessité de devoir mourir comme les autres constitue un cruel rappel à l’ordre ; une limite inacceptable à notre liberté totale d’être, à tout moment, tout ce que nous voulons être. La mort vient nous rappeler certaine fatalité biologique que nous faisons tout pour oublier. C’est l’une des causes majeures de son refoulement. Elle apparaît comme une rupture scandaleuse de contrat.

Enfin, il y a cette manie d’encadrer tout comportement possible par des lois. De légiférer à propos des cas les plus exceptionnels. Pourquoi voulons-nous à ce point limiter le comportement des acteurs ? Quelle liberté redoutons-nous ? Demain une loi viendra-t-elle encadrer les conditions dans lesquelles peut se pratiquer ou non une césarienne ? Cela fait des générations que le médecin de famille veille sur la sérénité des départs sans en référer aux codes, ni aux juges, mais avec l’accord unanime des présents. Pourquoi redoutons-nous les « vides juridiques » ? Et s’ils étaient un gage de liberté ?

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