Gorze, juin 2010
Chers Amis,
A travers toute la Bible, du début à la fin, Dieu dévoile sa passion pour son chef-d’œuvre : l’homme. En le créant, Il lui communique la surabondance de sa propre vie, le faisant à son image pour qu’il puisse Lui ressembler. A partir de là commence l’histoire d’amour la plus fabuleuse que l’humanité ait jamais connue…
Dieu amoureux de l’homme, tel un fiancé éperdu de sa bien-aimée, jusqu’à en « perdre le sens », comme le révèle le Cantique des cantiques (4,9), continuellement à l’affût de son visage, toujours à l’attendre quand il s’est détourné de Lui, bouleversé quand il revient et sans cesse en train de chercher comment Il peut le libérer, le tirer de ses mille enfers, pour qu’il vive et qu’il vive pleinement.
L’homme, lui, se livre à ses caprices, rompt avec Dieu, s’éloigne, s’en retourne, retombe, fait des scènes de ménage à Dieu et trouve aussi des moments de bon ménage avec Lui…Lors d’un de ces nombreux adultères, à l’épisode du veau d’or dans le désert, lorsque Moïse supplie Dieu de pardonner à son peuple (Ex 32,32), Dieu répond et révèle qui Il est : Seigneur, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni (Ex 34,6-7).
Dieu n’est pas victime de sa passion, comme l’homme peut l’être ; son Amour est totale liberté, non-attachement et lié à aucune condition, pure gratuité, épanchement illimité de Lui-même, car son Etre est ainsi, comme le soleil brille indifféremment sur les bons et les méchants (Mt 5,45). Dieu est don parfait : le par-don est son état. Ainsi révèle-t-Il son cœur à chaque moment de l’Alliance qu’Il veut nuptiale : Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur (Os 2,21-22).
En pardonnant, Dieu montre ce qu’Il est et transmet à l’homme cette puissance, humainement inexplicable, déroutante et irrationnelle au possible, mais miraculeuse. L’expérience du pardon marquera toute la trame de l’histoire d’Israël, comme si Dieu, par le pardon, voulait révéler son visage et en laisser l’empreinte dans le cœur de l’homme, pour que le pardon soit désormais la nouvelle Loi qui régit toute relation humaine. Là, dans cette passion folle de Dieu pour l’homme, se trouve la source de notre vie et le seul secret de toute guérison. Il suffit que l’homme se tourne vers Dieu, le moindre mouvement de notre cœur suffit, et voilà que Dieu accourt et me serre dans ses bras, fou de joie… Imagine-t-on cela ?
Dans ce visage de Dieu se révèle notre propre visage, notre chemin d’hommes. L’homme est « à l’image de Dieu », si donc Dieu est pardon infini comme Il l’a manifesté tout au long de l’histoire biblique, le seul Chemin qui permet à l’homme de devenir homme c’est le pardon. Il n’y a pas d’accomplissement possible pour l’homme, pas de guérison physique ou psychique sans le pardon. Aujourd’hui on commence à le reconnaître dans le monde des médecins et des psychothérapeutes. Mais la cause de tous les maux est spirituelle et la vraie guérison de l’homme, c’est sa déification. L’homme n’est vraiment homme que s’il devient dieu : l’image de Dieu en l’homme est destinée à s’accomplir dans la ressemblance (Gn 1,26). Ressembler à Dieu, voilà la vraie naissance de l’homme. Tant que le pardon n’est pas le pain que nous mangeons tous les jours, nous restons des avortons, nous végétons sur le plan animal, sans connaître la vie en plénitude (Jn1,16 ; Eph 3,19). Combien « d’hommes » meurent à chaque instant sans avoir vu le jour…
C’est pour accoucher l’homme à cette nouvelle naissance que le Christ est venu. Aussi dira-t-Il qu’on est ses disciples, c’est à dire sur le même Chemin que Lui et qu’on Lui ressemble, en vivant de son amour les uns pour les autres : Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres. Oui, comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres (Jn 13,24-25). Tout est dans ce petit mot « comme » et dans cette formidable insistance : aimer ! Le pardon – don-parfait- sans limites, puisqu’il va jusqu’au pardon des ennemis, est le sommet de tout amour. Dans cet amour seulement, l’homme fait l’expérience de Dieu, celui qui aime connaît Dieu, dit saint Jean (1Jn 4,7), c’est à dire il naît à Dieu et avec Lui dans un éternel engendrement, il devient fils avec le Fils né du Père.
Le pardon n’est donc pas une condition préalable d’une vie nouvelle, comme on peut le croire dans l’ignorance de tout cet arrière-plan, il est la Vie elle-même, l’Amour en acte. C’est pourquoi Jésus demande à Pierre, au-delà du pardon ponctuel, de pardonner inlassablement, c’est-à-dire d’en faire un état, une vie en permanence (Mt 18, 21s). Le pardon ponctuel est essentiel car il régit toutes nos relations, avec soi-même, avec les autres, avec Dieu, mais il traduit ce qui est au fond du cœur d’un être : Si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur, c’est ainsi que mon Père vous traitera (Mt 18,35).
La puissance d’une telle parole montre bien que pardonner n’est pas une bonne conduite morale, mais c’est entrer dans le secret divin et le partager avec les autres. Ainsi la communauté des hommes selon l’Evangile est fondée sur le pardon ; la communauté, c’est à dire toute relation. Il est impensable pour un couple de subsister sans le pardon au quotidien. Il n’y a pas un groupe qui ne soit miné par le jugement.
Le pardon introduit au sein des relations humaines les mœurs de Dieu et fait de la communauté une icône de la Divine Trinité. Mais le refus du pardon, c’est comme si le ruisseau se coupait de sa source : le lendemain il cesse d’exister…n’étant plus qu’une eau croupissante. Quand il s’agit de l’homme ceci n’est pas une métaphore ; si le pardon est source de vie nouvelle, comme nous l’avons dit, le non-pardon, lui, est mortifère.
Que l’Esprit du Christ vive en nous, alors nous sommes des êtres libres, comme Lui, dans la joie et sans ennemis…
Avec toute notre affection, à bientôt !
Père Alphonse et Rachel
Prière
Seigneur,
Tu as pitié de tous, parce que Tu peux tout, Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se repentent.
Tu aimes en effet tout ce qui existe, et Tu n’as de dégoût pour rien de ce que Tu as fait ; car si Tu avais haï quelque chose, Tu ne l’aurais pas formé.
Et comment une chose aurait-elle subsisté, si Tu ne l’avais voulue ?
Ou comment ce que Tu n’aurais pas appelé aurait-il été conservé ?
Mais Tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître, ami de la vie !
Car ton esprit incorruptible est en toutes choses !
Aussi est-ce peu à peu que Tu reprends ceux qui tombent ; tu les avertis, leur rappelant en quoi ils pèchent, pour que, débarrassés du mal, ils croient en toi, Seigneur..
(Livre de la Sagesse 11,23 – 12,2)
Texte à méditer
Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament. A qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre ; à qui t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. A quiconque te demande, donne, et à qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement. Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on? Même les pêcheurs en font autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin de recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants. Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et l’on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein, car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour.
(Evangile selon saint Luc 6, 27-38)