Gorze, novembre 2010
Chers Amis,
A la fin de l’Année liturgique, avec la fête de la Toussaint, l’Eglise nous remet tous et chacun, encore une fois, devant notre ultime vocation : la sainteté. L’homme n’est homme qu’en devenant dieu. C’est cet incessant devenir de divinisation qui le définit et donne sens, l’unique sens à sa vie, où l’homme est co-créateur avec Dieu de sa propre destinée. Le saint n’est pas une statue de plâtre élevée sur les autels, mais l’Homme en voie d’accomplissement !
Tous les saints, de quelque tradition qu’ils soient, ont soulevé le voile d’une toute autre manière d’être. Sortir de l’enfer existentiel est possible ; seulement le chemin est étroit, les portes difficiles à forcer, et la peur, le doute, le scepticisme sont là, tout nous aimante vers le bas et nous rive à l’horizontalité animale. Mais si les hommes entrevoyaient les joies infinies, les forces parfaites, les horizons lumineux de connaissance spontanée, les calmes étendues de notre être qui nous attendent, ils quitteraient tout et n’auraient de cesse qu’ils n’aient gagné ces trésors !
( Sri Aurobindo ).
Mais justement, on ne les gagne pas à la force de ses poignets et si le chemin est difficile, c’est parce que nous baissons les bras devant notre héroïsme impossible. Ce que les saints ont fait, pourquoi ne le ferais-je pas ? Pourquoi eux et pas moi ? s’écriait saint Augustin. Tant que ce cri n’est pas le mien, je m’englue dans l’ornière des médiocres satisfaits. Cependant, aussi longtemps que l’homme compte sur ses propres forces, il rivalise avec Dieu, Le maintient à distance et résiste à Sa volonté. Le constat d’échec devant nos efforts inutiles nous jette au contraire dans les bras de Dieu. Par l’épreuve répétée de notre orgueil blessé, nous apprenons à Lui remettre les rênes à travers tout et à chaque moment. Dieu seul est la Vie, nous ne vivons que par participation à la sienne.
Alors, laisser à Dieu seul le gouvernail et lui confier tous les leviers de commande, là est le secret. Cela signifie un abandon confiant de ma volonté à la volonté de Dieu. En d’autres mots : ne plus jamais rien décider par soi-même. La décision, jusque dans les plus petits détails, faire ceci plutôt que cela, se lever à telle heure, se coucher à telle autre, prononcer une parole ou dialoguer avec une pensée, et un jour même le moindre mouvement intérieur, c’est le lieu où s’exerce constamment ma liberté, donc où mon être profond s’engage et forge une direction, celle de mon devenir. A chaque seconde la Vie me suscite à la vie, mais pour qu’elle vive pleinement il faut l’écouter et s’y abandonner. Je peux l’accueillir avec reconnaissance à chaque inspir et m’offrir à elle dans l’abandon à chaque expir. C’est une merveilleuse méditation. Les premiers chrétiens ont forgé cette admirable phrase : L’Esprit Saint et nous-même avons décidé ( Ac 15, 28 ). Pour eux, faire quoi que ce soit sans l’impulsion de l’Esprit était une trahison.
Si Jésus est vraiment « Seigneur » pour moi, c’est que ma vie est son Royaume où Il peut exercer sa seigneurie, c’est-à-dire où Il a tous les droits. En moi, rien donc qui ne Lui soit étranger, tout en moi est de Lui, par Lui et en Lui (Rm 11, 36), je veux me recevoir de Lui comme d’une Source ou comme l’air que je respire. C’est dans cette grande cohérence biblique que Dieu dit à Josaphat paniqué devant le tragique des événements : Ne t’effraye pas…ce combat n’est pas le tien mais celui de Dieu ( 2 Ch 20, 15). Il n’y a plus alors qu’à Lui faire confiance, à obéir dans la foi ( Rm 1, 5 et 16, 26 ) : donner à Dieu carte blanche ! Quelle libération !
Une vieille ermite sur une petite île grecque nous disait un jour : Vous savez, ma spiritualité, après soixante-dix ans de vie ascétique est très simple : tous les matins je prends une feuille blanche et je la signe en bas en disant à Dieu : écris dessus ce que Tu veux, à tout je dis « oui », c’est signé d’avance !
Avec toute notre affection, à bientôt !
Père Alphonse et Rachel