Le Repas à Emmaüs, vers 1629, huile sur papier marouflé sur bois, Paris
Rembrandt (Rembrandt Hermensz. van Rijn, dit) (1606 – 1669) Vers 1629 Huile sur papier marouflé sur bois – 39 cm x 42 cm Monogrammé en bas à droite – Paris, Institut de France, musée Jacquemart-André
Deux pèlerins font route vers le village d’Emmaüs, à quelques heures de marche de Jérusalem. Un troisième se joint à eux : c’est Jésus ressuscité, « mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». Les pèlerins informent leur nouveau compagnon de route de la Crucifixion, de la prétendue résurrection et font part de leurs doutes ; et Jésus de répondre : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire ce qu’ont déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Le soir approchant, les pèlerins convient leur compagnon à leur table : « Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. Et ils se dirent l’un à l’autre : notre coeur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? »
A 23 ans Rembrandt peint son premier « Pèlerins d’Emmaüs », une œuvre étonnante et belle.
« Reste avec nous car le soir vient », les deux apôtres qui ont fait halte à l’auberge invitent cet inconnu à dîner avec eux et soudain, l’un d’eux comprend : sa chaise est renversée sur la gauche, il s’est précipité aux pieds de Celui qu’il vient de reconnaitre. Le profil qui se détache en ombre profonde, nimbé d’une lumière surnaturelle, nous arrête aussi, saisis, et révèle la nature divine de cet inconnu, alors que le quotidien semblait être la seule dimension palpable de cette scène ténébreuse.
L'essayiste et critique littéraire Max Milner s'exclame en voyant ce tableau : « Choc d’assister à un événement spirituel ; choc d’être mis en présence, par les moyens propres à la peinture, de quelque chose qui advient. »
La toile est en effet saisissante : la scène est située dans l’espace resserré d’une humble auberge, le Christ rompant le pain est situé devant la principale source de lumière, et sa silhouette se découpe à contre-jour sur le mur : « Seule une vision « en négatif » avait la puissance nécessaire pour suggérer l’irreprésentable » écrit M. Milner. Le Christ est presque réduit à une forme noire, seuls une lueur dans les yeux et le geste de fraction du pain sont visibles, et la source de lumière qu’il cache, une bougie certainement, projette sur le mur une lumière qui lui fait une aura.
L’usage du clair-obscur exacerbe la présence étrange et mystérieuse du Christ, forme noire qui appelle la foi à s’engouffrer en elle, à la rejoindre et se fondre en elle comme fait le disciple qui s’est jeté aux pieds du Christ et qu’on voit à peine, tandis que le second pèlerin, derrière la table, se recule, saisi d’effroi devant un spectacle incroyable :
Le disciple appeuré a vu, cela est certain, mais qu’a-t-il vu ? Le tour de force de Rembrandt est de nous obliger à nous le demander. Est-ce seulement de la terreur qui se peint dans son regard ? de la méfiance ? l’attente d’une chose à laquelle on n’ose pas croire ? Très étonnant aussi ce clair-obscur, qui met en lumière le doute et enfouit la foi dans l’ombre, symbolisant peut-être ce que les mystiques qualifient de « foi obscure ».
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