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La promesse d’être « définitivement sauvé », propre au christianisme, apparaît difficile à comprendre aujourd’hui. Les évêques ont choisi de réfléchir sur cette notion essentielle du salut, lors de leur session doctrinale, du 24 au 26 février à Paray-le-Monial
Que signifie théologiquement le mot « salut » ?
« Le salut, c’est le bonheur, le vrai bonheur qui dure, un bonheur exigeant, capable de nous combler, un bonheur dont Dieu a le secret », affirme d’emblée le théologien jésuite Bernard Sesboüé. « Unum necessarium » : le seul bien désirable, écrivait déjà au XVIIe siècle le théologien tchèque Jan Amos Comenius à propos du salut. Pourtant, cette notion théologique essentielle du salut n’intéresse plus guère aujourd’hui. Alors qu’elle a donné lieu à de très diverses compréhensions au fil des siècles (lire ci-contre), d’où la place centrale de la sotériologie (étude des doctrines du salut) dans la théologie chrétienne.
« Le salut est de l’ordre de l’espérance, pas de la certitude, rappelle Béatrice de Boissieu, enseignante de théologie à la Catho de Paris. Nous espérons tous éviter la maladie, l’accident, les catastrophes climatiques… tout en sachant que nul ne peut échapper à la mort. Nous aimerions ainsi être sauvés dans la durée, de manière absolue, non seulement pour cette vie sur terre, mais aussi après la mort. » « Le salut chrétien engage le définitif », résume le P. Sesboüé, en ajoutant aussitôt qu’il faut « lutter contre un salut qui ne concernerait que l’après-mort car nous sommes déjà sauvés dans la foi ». Ce que Paul résumait ainsi : « Ni la détresse, ni l’angoisse, ni la persécution, ni la faim, rien ne nous séparera de l’amour du Christ » (Rm 8, 35).
Comment est-il envisagé dans la Bible ?
Dans le judaïsme ancien, le concept central était déjà le salut, notamment pour dire l’attente du Sauveur annoncé, le Messie (l’oint, ou le« christ », en grec). Le peuple élu était certes distingué des autres, mais parce qu’il était appelé à une mission : « Agir selon la justice de Dieu et annoncer la lumière aux nations », comme le dit le « chant du Serviteur » (Is 42, 1). Cette mission ne lui garantissait aucun salut automatique. Le salut occupe aussi une place centrale dans le Nouveau Testament, à commencer par le nom de Jésus qui signifie en hébreu « le Seigneur sauve ». Ainsi, Jean affirme : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17). Pour dire le salut, les Écritures utilisent surtout deux thèmes : la libération – de l’esclavage (Ex 20, 2), de l’oppression (2 S 22, 18 ; Ps 71, 4), de la maladie (Mc 5, 28), du mal en général (Mt 6, 13), du péché (Rm 8, 2) et de la mort (2 Co 1, 10) – et le rachat puisque, selon Paul, « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi » (Ga 3, 13).
En quoi la mort de Jésus est-elle un événement du salut ?
« La portée salvifique de la mort de Jésus n’a jamais fait l’objet d’une déclaration dogmatique, parce qu’elle n’a jamais fait problème », énonce Béatrice de Boissieu. En effet, la certitude que Jésus « a été crucifié sous Ponce Pilate pour nous et pour notre salut », comme le proclame le Symbole de Nicée-Constantinople, est le cœur de la foi chrétienne. Cette certitude a donné naissance à diverses interprétations, qui sont dites « descendantes » ou « ascendantes », selon que c’est Dieu ou l’homme qui est à l’origine du processus de ce salut.
En quoi Dieu est-il seul à pouvoir sauver l’homme ?
Selon la tradition scripturaire, à dominante « descendante », Dieu accomplit le salut de l’homme en « livrant » son Fils. Ce terme de « livraison » – repris de Marc : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes » (Mc 9, 31) – dit à la fois celle du Père et celle de Jésus, qui se livre lui-même par amour. Ce qui fait dire à l’exégète Jean-Noël Aletti : « Parlant rigoureusement, Dieu n’a livré son Fils bien-aimé ni aux juges ni aux bourreaux ni à la mort, mais il a accepté cette mort scandaleuse parce qu’elle exprimait l’extrême d’un amour, d’une solidarité de l’humanité blessée et que, par elle, sa miséricorde se manifestait comme illimitée. » En s’abandonnant au dessein de son Père, le Christ a révélé aux hommes cet amour sauveur. Les Pères de l’Église ont développé la notion de « divinisation » : le salut réalisé par la filiation adoptive dans le Christ par le Père permet à l’homme de participer à la vie trinitaire. « Finalement le salut qui nous est donné, c’est de vivre de l’Esprit de Jésus, c’est-à-dire de vivre notre vie comme la sienne selon la modalité du don libre et gratuit aux autres », explique Béatrice de Boissieu.
Dans quelle mesure l’homme participe-t-il à son salut ?
Face au jeune homme riche qui lui demande « que faire pour obtenir la vie éternelle » (Lc 18, 18), Jésus répond que nul ne peut gagner son salut par lui-même mais que chacun n’en est pas moins appelé à œuvrer sans cesse pour faire advenir le Royaume de Dieu. Autrement dit, la foi est indispensable au salut mais pas suffisante. C’est ce que développe la théologie médiévale catholique, à dominante « ascendante ». Luther, également marqué par la pensée augustinienne, développera la théologie de la « justification par la grâce moyennant la foi », dans laquelle l’homme reste avant tout passif, bien que sa liberté ne soit pas niée. Par la suite, d’autres écoles théologiques mettront en valeur le modèle de la « substitution », dans lequel Jésus prend la place de l’homme pour lui épargner la colère divine méritée. Cette notion de substitution ne doit toutefois pas être comprise au sens d’une substitution pénale : Jésus, victime innocente, ne paye pas pour les coupables.
Les non-croyants peuvent-ils être sauvés ?
Certes, on ne peut être sauvé que dans et par la foi. Mais « celui qui ne connaît pas le Christ sera sauvé selon sa réponse aux expressions de la Révélation dont il aura pu être l’objet », rappelle le P. Sesboüé, en citant la fameuse parole de Jésus à propos du Jugement dernier :« Ce que vous avez fait aux plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Vatican II, dans la constitution pastorale Gaudium et spes (n° 22), affirme clairement : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » En ce sens, poursuit Bernard Sesboüé, « les chrétiens sont dans le monde pour être témoins du salut ».
CLAIRE LESEGRETAIN
Le terme d’« économie » (selon le premier usage du grec oikonomia désignant la gestion domestique) a été utilisé en théologie pour désigner le projet de Dieu qui, pour bien gérer « sa maison », c’est-à-dire pour sauver le monde, a décidé de l’habiter. Comme le dit l’Évangile de Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique (…) non pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 16). On parle donc d’« économie de salut » pour signifier la manière dont Dieu, en s’incarnant dans la personne de Jésus, accomplit tout au long de l’histoire son plan de salut. Son « économie de salut » correspond à son « plan d’incarnation ». En théologie, le terme d’économie reste donc lié aux relations entre Dieu et l’histoire humaine, entre son plan de salut et son efficacité historique.
La croix
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