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31 mai 2014 6 31 /05 /mai /2014 22:05

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P. François Buet, médecin, prêtre de l’institut Notre Dame de Vie

Entretien P. François Buet, médecin, prêtre de l’Institut Notre-Dame-de-Vie « Nous ne sommes pas faits pour la mort, mais pour vivre »

Recueilli par Martine de Sauto Prêtre et médecin, le P. François Buet accompagne les malades en fin de vie dans une approche holistique de la médecine, « qui prend en compte le corps, l’âme et l’intelligence ». F. BUET 

Confronté au mystère de la vie et de la mort, le P. François Buet témoigne au quotidien de son espérance en la résurrection. Il est prêtre de l’Institut Notre-Dame-de-Vie et médecin en soins palliatifs. Il a par ailleurs fondé un dispensaire au service des plus pauvres.

Vous accompagnez en tant que médecin des personnesen fin de vie. Comment les aidez-vous à vivre paisiblement ce dernier temps de leur existence ?

François Buet : Les anti-douleurs sont le premier moyen d’aider le malade en fin de vie à être le plus paisible possible. Mais, à côté des souffrances physiques, il y a les souffrances morales. Chaque être humain est appelé à faire des choix fondamentaux. Des choix d’éternité. Parfois, c’est seulement lorsque les personnes arrivent en soins palliatifs où le temps presse que les choses qui n’ont pu l’être dans l’ordinaire des jours se dénouent. D’une certaine manière, nous sommes alors, à leur chevet, des artisans de paix.

À ma place, en restant très attentif à ce que la personne dit d’elle, je peux l’aider à faire un pas vers la vérité, l’amour, la vie. Se libérer de tout ce qui est de l’ordre du mensonge ou du non-dit, laisser derrière soi tout ce qui est de l’ordre de la haine pour se réconcilier, est toujours source d’apaisement et permet de consentir à vivre jusqu’au bout. Je pense à cette maman qui était fâchée avec son fils, qui, d’ailleurs, ne venait pas la visiter. Elle m’a demandé de lui envoyer un mail dans lequel elle lui disait simplement : « Je veux faire la paix avec toi. » Son fils n’a pas répondu. Mais elle a fait un choix d’amour, de consolation et de réconciliation. Elle est morte peu après, en paix.

L’approche de la mort demeure pourtant une épreuve. Est-il possible de lui donner un sens ?

F. B. : Nous ne sommes pas faits pour la mort, mais pour vivre. Il est donc normal que nous exprimions, croyants ou non, notre tristesse, voire notre colère devant ce mystère. Au creuset de la souffrance, un chrétien peut néanmoins renouveler son acte de foi en l’amour de Dieu qui est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14, 6), et vivre dans une profonde sérénité ses derniers jours, sûr d’être aimé de toute éternité et pour l’éternité par Dieu. Dans sa foi, le chrétien croit en effet que la mort n’est qu’un passage. Un passage vers l’Amour et même, depuis la résurrection du Christ, vers une nouvelle vie, la vraie Vie où il verra Dieu. Le Christ lui-même a vécu ce grand passage et, comme le dit le concile Vatican II dans Gaudium et spes (22, 5) : « Nous devons tenir que (…) tout homme est associé au mystère pascal. »

Le vide du tombeau au matin de Pâques reste pourtant un défi lancé à notre raison. La résurrection de la chair et la vie éternelle le sont tout autant. Comment y croire ?

F. B. : C’est un acte de foi. La chair nous fait faire l’expérience douloureuse d’une limite. Elle est pourtant le lieu de rencontre avec le Christ. C’est par le corps que nous ressusciterons, un corps spirituel, glorieux, qui gardera la marque de nos blessures que nous aurons portées avec le Christ. Si le Christ est ressuscité et si nous ne ressuscitons pas à sa suite, la foi est vaine.

La mort met le médecin face à son impuissance. Comment le vivez-vous ?

F. B. : À terme, ce peut être trop lourd. Dans le domaine des soins palliatifs, je constate que les soignants les plus fragiles sont ceux qui ne se sont pas posé les questions existentielles du sens de la vie, de la vie au-delà de la mort, de la vérité dans leurs choix d’amour. Exercer dans l’unité de soins palliatifs serait pour moi bien plus difficile si je ne croyais pas que la mort n’a pas le dernier mot, que mourir, c’est aussi entrer dans cette autre Vie à laquelle nous sommes appelés. Je veille par ailleurs à avoir des temps pour déposer tout ce que j’ai reçu, vécu dans le cœur du Christ, et pour me ressourcer.

Médecin, vous êtes aussi prêtre. De quelle manière cela modifie-t-il votre manière d’être présent au chevet des malades ?

F. B. : En tant que chrétien et prêtre, je mets le Christ au cœur de la rencontre. Je vois son visage dans le visage et le corps parfois défigurés du malade et j’essaie d’être pour eux visage du Christ, remué jusqu’au fond de ses entrailles devant la veuve qui vient de perdre son fils (Luc 7,11-17) ou l’aveugle Bartimée (Marc 10,46 52). Pourtant, ce que je vis dans l’accompagnement des personnes en fin de vie est plutôt de l’ordre de l’expérience des compagnons d’Emmaüs. En sortant de la chambre d’un patient, mon cœur est parfois tout brûlant. C’est ce qui m’émeut le plus : le passage de Dieu dans le cœur des hommes, comme disait Frère Luc, moine et médecin de Tibhirine.

Mais Dieu se diffuse aussi par la vie sacramentelle, par l’eucharistie qui est pain et puissance de vie, le sacrement de réconciliation, qui permet d’expérimenter la miséricorde de Dieu toujours prêt à nous dire : « Je te pardonne, va et désormais ne pèche plus », ou le sacrement du malade. La prière est aussi ¬essentielle. « Toute personne est capable de Dieu », dit saint Augustin. Dans tous les cas, je ne fais que continuer la mission du Christ venu pour guérir (le mot grec therapeia signifie guérir, prendre soin). Cependant, tout soignant qui a plus le souci de l’autre que de lui-même peut, même s’il se dit non croyant, avoir une présence à l’autre qui est profondément spirituelle et vivre à son insu une forme de présence de Dieu qui arrache l’autre à sa solitude.

Quelle est vote attitude face aux malades qui professent une autre religion ?

F. B. : Je me souviens d’un patient, juif, qui ne communiquait plus avec son épouse. Un jour, j’ai récité auprès de lui le Shema Israel. Il l’a repris. C’est par tout ce qui exprimait sa foi juive que sa femme a pu à nouveau le rejoindre. Il est mort peu après, le jour du Nouvel An juif. Ce que j’ai vécu ce jour-là, comme dans d’autres cas, c’est le mystère de la Visitation. Aux approches de la mort, quelle que soit la culture, ce sont les mêmes souffrances, la même expérience de la mort et finalement la même espérance d’un Dieu miséricordieux et compatissant. Priant parmi d’autres priants, mon rôle consiste parfois à creuser la place pour celui, rabbin ou imam, qui viendra accompagner le malade dans ses derniers instants.

Vous vous occupez aussi d’un dispensaire au service des plus démunis. De quelles expériences de résurrection êtes-vous le témoin ?

F. B. : Notre priorité, en dehors des soins, est de faire en sorte que les personnes accueillies, si abîmées soient-elles par l’alcool ou la drogue, se sentent aimées mais sachent aussi que nous avons besoin d’elles. Progressivement, elles entrent dans une dynamique du don qui ouvre pour elles un chemin de libération. C’est pour elles une forme de renaissance, à la manière dont Jésus disait à Nicodème : « Il te faut renaître » (Jean 3,1-8). Dieu est venu non pour les justes et les bien portants, mais pour les malades et les pécheurs (Matthieu 9,12-13), et leur répond en abondance.

Le mystère de la mort fait depuis toujours partie de votre vie. Comment parvenez-vous à accepter cette réalité ?

F. B. : Il m’a fallu accepter cette part de vulnérabilité qui est en moi, et reconnaître que je ne suis pas blanc comme neige, que j’ai ma part de responsabilité dans le mal qui se fait dans le monde, pour faire l’expérience de Dieu tout Amour. Faire l’expérience de l’amour et du pardon de Dieu ouvre des chemins dans notre cœur : celui de la compassion et de l’espérance pour soi et pour les autres. Au chevet des patients en fin de vie comme aux côtés des personnes en situation de précarité, je suis, comme l’écrit Frère Luc, « un pauvre parmi les pauvres ».

La Parole de Dieu me rappelle aussi que le Christ n’a pas fait de théorie sur la souffrance. Il l’a traversée. Il a connu la souffrance psychologique à Gethsémani (Matthieu 26,38), la souffrance sociale au pied de la croix quand il est abandonné de tous, sauf de Jean et Marie, la souffrance physique sur la croix et la souffrance spirituelle qui lui fait dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Chrétien, je suis le disciple d’un messie humilié et crucifié, qui me rejoint dans toutes les situations de la vie, quelles que soient mes souffrances ou celles de ceux que j’accompagne.

La Croix

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