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23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 22:14

martin_luther.jpg

 

Je recevais chaque jour plus de quarante coups de fil, menaçant ma vie, celle de ma famille ou de mes enfants. Pendant quelque temps, je pris la chose avec courage.

 

Mais une nuit, je ne l'oublierai jamais, il était tard, aux environs de minuit - et l'on peut faire d'étranges expériences à minuit - j'avais été retenu par le Comité d'organisation. Quand je rentrai, ma femme était couchée, et je tombai de fatigue dans mon lit, pensant prendre un peu de repos avant de reprendre le travail le lendemain. Et c'est alors que le téléphone sonna. Je pris l'appareil, et j'entendis une horrible voix qui disait en substance : « Ecoute, sale Nègre, on en a marre de toi et de ton merdier. Si dans trois jours tu n'as pas quitté cette ville, on te fait sauter la cervelle, et ta maison avec ». J'avais souvent entendu cela avant, mais je ne sais pourquoi, cette fois-ci ces paroles m'atteignirent. Je me retournai et j'essayai de dormir, mais en vain. J'étais atterré, égaré. Je me levai pour aller à la cuisine me faire un peu de café, pensant que cela me calmerait un peu.

Je me mis alors à réfléchir à beaucoup de choses. A la théologie et à la philosophie que je venais d'étudier à l'Université, en essayant de trouver des raisons philosophiques et théologiques à l'existence et à la réalité du mal et du péché, mais la réponse ne vint pas tout à fait de ce côté-là. Assis à cette table, je pensais à la belle petite fille née un mois auparavant. Nous avons quatre enfants maintenant, mais à l'époque nous n'en avions qu'un. Soir après soir, j'accourais à la maison pour admirer son doux petit sourire. Maintenant assis à cette table, je pensais à cette petite fille, et je me disais qu’elle pouvait m'être enlevée d'un instant à l'autre. Je pensais à ma femme aussi, si dévouée, si consacrée, qui dormait là, à côté. Elle aussi pouvait m'être enlevée, ou peut-être est-ce moi qui allais lui être enlevé; et tout cela, maintenant, je ne pouvais plus le supporter. J'étais au bout du rouleau.

 

Et quelque chose alors me dit: « Tu ne peux pas appeler ton père ce soir; il est à Atlanta, à 175 kilomètres d'ici. Tu ne peux même pas appeler ta mère. Tu ne peux plus qu'en appeler à ce quelque chose, à cette personne dont ton père t'a maintes fois parlé. Cette force qui peut ouvrir un chemin là où il n'y a pas d'issue. Je me rendis compte alors qu'il fallait que la religion devienne pour moi une réalité, et que je connaisse Dieu pour moi-même. J'inclinais la tête devant cette tasse de café - ça, je ne l'oublierai jamais !

 

Et je me mis à prier. Je priai à haute voix cette nuit-là, et je dis : «Seigneur, me voici - essayant de faire ce qu'il faut faire. Je pense que j'ai raison. Je pense que la cause que nous représentons est juste. Mais, Seigneur, je dois avouer qu'aujourd'hui je suis faible, je suis en train de craquer, de perdre courage. Je ne peux pourtant pas laisser les gens me voir ainsi, parce que s'ils me voient faible et découragé, eux aussi vont commencer à faiblir. Interviens, Seigneur, et donne-moi la force nécessaire pour que je puisse demain matin me présenter devant le Comité exécutif avec le sourire. »

 

A cet instant j'entends une voix intérieure me dire: « Martin Luther, lève-toi. Lève-toi pour le droit, lève-toi pour la justice, lève-toi pour la vérité. Et je serai avec toi. Même jusqu'à la fin du monde ». Oui, je vous le dis, j'ai vu l'éclair. J'ai entendu le grondement du tonnerre. J'ai entendu les forces du mal se jeter sur moi, essayant de s'emparer de mon âme. Mais j'ai entendu la voix de Jésus me disant de poursuivre le combat. Il promit de ne jamais m'abandonner, de ne jamais me laisser seul. Non, jamais seul. Jamais seul. Il a promis de ne jamais m'abandonner, de ne jamais me laisser seul. Et maintenant je marche, en croyant en lui.

 

Vous aussi, il vous faut le connaître, connaître son nom. Et savoir l'appeler par son nom. Vous ne connaissez peut-être pas la philosophie. Vous ne pouvez peut-être pas dire avec Alfred North Whitehead qu'il est le « principe de concrétude », ou avec Hegel et Spinoza qu'il est le « Tout absolu ». Vous ne savez peut­-être pas dire avec Platon qu'il est « le bien architectonique » ou avec Aristote qu'il est « le premier moteur immobile ».

 

Mais si vous le connaissez, vous allez pouvoir en parler en poètes. Vous commencerez à comprendre que nos frères et nos sœurs du passé avaient raison. Parce qu'ils le connaissaient comme un rocher au milieu d'une contrée déserte. Comme un refuge au temps de la famine. Comme ma source d'eau quand je suis assoiffé. Comme mon pain au sein de la disette. Et alors, même si vous ne pouvez pas dire cela, vous allez parfois avoir à dire: il est tout pour moi.

Si vous croyez cela, si vous le savez, vous n'aurez plus jamais à marcher dans les ténèbres. Ne soyez pas insensés. Ne sois pas fou ! Reconnais plutôt que tu es dépendant de Dieu. Quand les jours deviennent sombres et les nuit lugubres, dis-toi bien qu'il y a là-haut un Dieu qui règne. Ainsi, je ne m'inquiète pas pour demain. Je suis parfois las et fatigué, le futur m'apparaît difficile et troublé, mais je ne suis pas fondamentalement inquiet, parce que j'ai foi en Dieu.

 

Prédication sur Luc 12, 13-21 de Martin Luther King à l'Eglise baptiste de Mont Pisgah, Chicago, le 27 août 1967 *

In : Bulletin du Centre protestant d’Etudes, sept. 1988
Traduction de Janine Philibert

 

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