Pour les ascètes, l'Église se comprend d'abord comme l'«arche du salut».
Pour les missionnaires, l'Église est vécue comme le « Corps du Christ ».
Tandis que, pour les spirituels, l'Église s'expérimente d'abord comme le «Temple de l'Esprit Saint ».
Ces trois types de piété chrétienne orthodoxe et ces trois ecclésiologies s'expriment également dans leur rapport au monde, dans leurs pratiques, dans leurs styles. Paul Evdokimov écrivait dans son «Message aux Églises» en 1950 :
Le roi Midas transformait tout ce qu'il touchait en or. Un chrétien par son attitude intérieure peut rendre toutes choses légères, les transformer en icônes, images de leur vérité. Le style, une fois devenu authentiquement catégorie spirituelle, agira à lui seul plus efficacement que les sermons.
Plutôt que de chercher des différences confessionnelles structurelles et indépassables entre chrétiens de différentes appartenances, comme on le fait parfois entre papo-césaristes ou césaro-papistes, on prendra l'exemple de la doctrine chrétienne orthodoxe de la paix et de la guerre pour montrer que les différences entre les chrétiens sont plus de l'ordre du contexte géo-historique et du niveau de conscience anthropologique que de la théologie confessionnelle.
Les fruits de ces différents types de conscience spirituelle peuvent être très différents.
On peut considérer que, selon les contextes (société traditionnelle / société moderne ; ville / campagne), les périodes (avant le conflit, pendant le conflit, après le conflit) et les profils spirituels, il existe trois rapports fondamentaux à la violence.
Ces trois rapports peuvent être; tous trois à la fois légitimes et complémentaires s'ils aboutissent à faire progresser la paix et donc, dans une perspective religieuse, à faire advenir le rayonnement divin (shalom) et l'harmonie cosmique.
Pour les «ascètes», le combat contre le mal est nécessaire. On peut donc avoir recours à la violence physique. Car la lutte contre les passions réclame un engagement total de l'âme et du corps tournés vers l'Esprit.
Saint Silouane de l'Athos répétait les paroles du Christ : « Etroite est la porte et resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent» (Matt., 7, 1454).
Les ascètes savent, qui plus est, que le mal est une réalité angélique disposant d'une conscience de soi. Leur combat contre le malin se mène avec des armes différentes s'il s'agit d'une période de suggestion de la tentation ou d'emprise totale.
Pour les «missionnaires», le combat contre le mal ne peut être vécu seulement au plan individuel. C'est pourquoi l'institution ecclésiale peut soutenir une guerre défensive.
L'Église Orthodoxe dispose même d'un rituel de bénédiction des armes. Mais la guerre est toujours un mal, c'est pourquoi elle est strictement interdite aux prêtres par les canons. Et si l'Église Orthodoxe a refusé de s'opposer par la force aux Tatars au XIIIe siècle, saint Serge de Radonège a donné sa bénédiction à Dimitri Donskoï.
Pour les «spirituels» enfin, la violence n'est vaincue que si on accepte de prendre sur soi les agressions, c'est-à-dire de saisir sa part de responsabilité dans le déchaînement de la violence.
Cette prise sur soi de la violence, dont les saints princes Boris et Gleb furent les exemples dans la Rus' médiévale, s'apparente à la recommandation de se « tenir contre » le mal de saint Paul.
Le refus de toute violence au nom du Christ est possible grâce au pouvoir de la liberté, de la vérité. Cette prise sur soi revêt différentes formes selon les contextes. Certains exégètes considèrent que l'expérience de tendre sa joue gauche à celui qui a frappé la joue droite, loin d'être une forme de faiblesse, peut être considérée comme une forme d'humour et de dérision à l'égard de l'expression d'une pseudo-puissance.
Le pardon est la capacité à rétablir la paix par effacement de tout ressentiment.
Le martyre signifie le témoignage de sa foi, la vision de Dieu expérimentée par Etienne telle qu'elle est rapportée par les Actes des Apôtres.
Le pouvoir du glaive dans la doctrine chrétienne est donc d'ordre spirituel.Il est la capacité à discerner entre le vrai et le faux et à trancher entre le juste et l'injuste.
Ainsi pour l'orthodoxie chrétienne la paix est une expérience d'harmonie et de confiance qui se reçoit du Christ. Elle demande un combat intérieur de transfiguration du mal par la vérité, elle implique un engagement collectif pour le triomphe de la justice et de la réconciliation, et elle se traduit par une prise sur soi de la violence par participation à l'œuvre eschatologique de Jésus-Christ.
Antoine Arjakovsky
Qu'est-ce que l'orthodoxie
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