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16 septembre 2005 5 16 /09 /septembre /2005 23:00

Le serpent qui parle

 

PAR PHILIPPE LEFEBVRE

Dans la Bible, le serpent ne signifie pas définitivement le mal. S'il se réfère à son Créateur, il devient signe de guérison, non de meurtre ; son intelligence n'est plus ruse retorse, mais savoir-faire adapté.
 

Qui est ce mystérieux serpent dont parle la Genèse ? Un animal? Peut-être, mais il est doué de parole et connaît Dieu, ce qui le différencie de la faune ordinaire. Quel aspect a-t-il? Dieu lui infligera bientôt de marcher sur le ventre (Genèse 3, 14); faut-il penser qu'il avait auparavant des pattes ou des jambes? Le terme hébreu (hayah) traduit par bête (des champs) désigne le plus souvent les animaux, mais pas seulement: on pourrait le rendre par « être vivant ». Il est employé au premier chapitre du livre d'Ézéchiel pour évoquer les figures angéliques qui accompagnent le char divin et ont des apparences humaines et animales (verset 10).


Bref, notre serpent parlant semble aux confins de plusieurs mondes ; c'est ce qui rend ici son allure inquiétante : est-il un animal surdoué, un ange travesti, un homme inattendu? Il a en outre partie liée avec le règne végétal : c'est auprès d'un arbre qu'on le rencontre, occupé d'un certain fruit. Cette connivence du serpent avec différents registres de la Création, on la retrouve sans cesse dans la Bible. Le serpent reste ainsi proche des branches et des arbres. Dieu ordonne un jour à Moïse de jeter par terre son bâton et cette branche inoffensive se change en serpent; quand Moïse tend la main pour s'en saisir, le reptile redevient houlette (Exode 4, 2-4).


Un lointain neveu de Moïse, jean Baptiste, inaugure sa prédication en appelant les pharisiens « race de vipères», et il les exhorte aussitôt à devenir des arbres qui donnent de bons fruits (Matthieu 3, 7-10). Au chapitre 21 du livre des Nombres, on trouve une stylisation du serpent dans l'arbre. Rappelons les faits : au désert, Dieu a lancé des serpents pour mordre les Hébreux sacrilèges ; Moïse intercède et Dieu lui enjoint de fabriquer un serpent de bronze et de le placer sur une hampe: ceux qui regarderont l'effigie ne subiront aucun mal des morsures de reptiles. Ce chapitre nous rappelle que le serpent n'est pas l'instrument ou le visage d'un anti-dieu : c'est le Seigneur qui commande aux serpents d'attaquer, c'est lui aussi qui sauve par l'image arborée du serpent.

Il n'y a aucune grammaire figée des symboles dans la Bible : le serpent ne signifie pas définitivement le mal. S'il se réfère à son Créateur, il devient signe de guérison, non de meurtre ; son intelligence n'est plus ruse retorse, mais savoir-faire adapté. Jésus demande aux disciples d'avoir l'habileté du serpent (Matthieu 10, 16).

Selon l'Évangile de jean, il annonce par trois fois sa crucifixion en rappelant l'épisode du serpent de bronze : le Fils de l'homme sera élevé de terre sur le bois de la croix comme le fut le serpent sur son poteau (Jean 3,14-15). Quand Jésus est crucifié, il rejoue une « scène primitive » en lui donnant cette fois toute sa puissance de vie. Il est bien ce serpent qui profere « les paroles de la vie éternelle », un serpent bienfaisant qui guérit de la morsure cruelle de la mort. Au pied de l'arbre où il est suspendu, se tiennent des « Ève », qui bientôt annonceront qu'il est le premier fruit d'un monde nouveau.


Dominicain, agrégé de lettres et bibliste, Philippe Lefebvre est l'auteur de la Vierge au livre,

Marie et l'Ancien Testament (Cerf) et Comme des arbres qui marchent. L'homme et l'arbre dans la Bible (Lumen Vitae).


NAHASH

C'est le mot hébreu pour serpent. Il est proche du terme signifiant bronze (nehoshet). Le serpent est lié à la terre et à ses minerais. Nouveau paradoxe du serpent au livre des Nombres (ch. 21): fabriqué en un bronze tiré du sol, il est exalté dans le ciel sur une hampe. Selon le second livre des Rois (18, 4), les Hébreux conservèrent

le serpent de bronze appelé Nehoushtan et le déposèrent dans le temple de Jérusalem où ils lui rendirent un culte.

PAUL ET LES SERPENTS

À son arrivée en Grèce, Paul chasse d'une servante un « esprit python » (Actes 16, 16-18); dans ce pays, le vieux dieu des oracles est un serpent python (la prophétesse est la pythie). Paul est confronté à une situation qui résonne dans un contexte grec (une femme et un python) et dans le monde biblique (une femme dont le mauvais conseiller est un serpent parleur). Avant d'entrer à Rome, Paul prendra une brassée de branches d'où sortira un serpent qui ne lui fera aucun mal (Actes 28,1-6).

 

Supplément à La Vie N° 3127 du 4 août 2005
illustrationBenoît Jacques

 

 

 

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15 septembre 2005 4 15 /09 /septembre /2005 23:00

Tout homme est un phénomène unique et original ; la voie de chaque ascète est, elle aussi, unique et originale. Cependant les hommes, dans leur tendance à classifier les phénomènes selon tel ou tel critère, le font également dans ce domaine.

L'expérience séculaire des Pères permet de classer en trois catégories ou types le développement de la vie spirituelle d'un homme.

La grande majorité des hommes fait, partie de la première catégorie. Ils sont attirés à la foi par une légère touche de la grâce, puis passent le restant de leur vie dans un effort spirituel modéré pour observer les commandements, et ce n'est qu'à la fin de leur vie, en raison des souffrances vécues, qu'ils connaissent la grâce dans une mesure quelque peu plus grande. Certains d'entre eux, d'ailleurs, font plus d'efforts et reçoivent une grande grâce avant leur mort. C'est le cas de nombreux moines.

La deuxième catégorie comprend ceux qui sont attirés, au début, par une touche de la grâce relativement légère, mais font, ensuite, preuve d'un grand zèle dans la prière et dans la lutte contre les passions, et connaissent, au cours de ce laborieux effort ascétique, au milieu de leur voie, une grande effusion de l'a grâce ; passant le reste de leur vie dans un effort encore plus grand, ils atteignent un haut degré de perfection.

La troisième catégorie est la plus rare. C'est celle des hommes qui, par leur ferveur, ou plutôt grâce à la prescience de Dieu, reçoivent dès le début de leur voie ascétique une grande grâce, la grâce des parfaits. Leur voie est la plus difficile, car personne, en effet - pour autant qu'on puisse en juger d'après les vies et les oeuvres des saints Pères, d'après la tradition orale des ascètes des siècles derniers et encore en se basa- sur l'expérience de nos contemporains - personne ne peut garder en plénitude le don de l'amour divin, mais ensuite, pour une période prolongée, l'homme subit la perte de la grâce et l'abandon de Dieu. En réalité, ce n'est pas une complète perte de la grâce, mais subjectivement l'âme ressent la diminution des effets de la grâce comme un abandon de Dieu.

Les ascètes de cette dernière catégorie souffrent plus que tous les autres, car, après avoir connu la grâce et la contemplation de la lumière divine, ils ressentent les ténèbres de l'abandon de Dieu et les attaques des passions, en raison même du contraste avec ce qu'ils ont vécu auparavant, d'une manière incomparablement plus aiguë : ils savent ce qu'ils ont perdu. En outre, la grâce vécue transforme l'homme tout entier et le rend infiniment plus sensible à tout phénomène spirituel.

Les ascètes de cette dernière catégorie souffrent plus que tous les autres, car, dans ce monde-ci, l'amour du Christ est plongé dans une très douloureuse « fournaise de l'épreuve » (I Pierre 4,12) ; car, dans ce monde-ci, l'amour du Christ est inévitablement un amour crucifié.

 

 

Starets Silouane
Archimandrite Sophrony
Edition Présence

http://seraphim.chez.tiscali.fr/silouane.htm

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14 septembre 2005 3 14 /09 /septembre /2005 23:00

(Après la description de l'apparition du Christ à Saint Silouane)

Il est remarquable que lors de cette apparition du Seigneur au novice Syméon, homme simple et d'une grande spontanéité, ce dernier « reconnut immédiatement » le Christ qui lui apparaissait et le Saint-Esprit qui agissait en lui. Dans ses écrits, il répète sans se lasser qu'il a reconnu le Seigneur par le Saint-Esprit, qu'il a vu Dieu dans le Saint-Esprit. Il affirmait également que lorsque le Seigneur apparaît à l'âme, elle ne peut pas ne pas reconnaître en lui son Créateur et son Dieu.

On peut affirmer, sans crainte de se tromper, que les flammes et les tourments de l'enfer qui avaient précédé l'apparition du Christ au novice Syméon, aussi bien que la lumière divine qui l'avait illuminé alors, sont choses inconnues, incompréhensibles pour la plupart des hommes. Ce que l'homme spirituel voit, ce qu'il ressent et toute son expérience peuvent souvent paraître à l'homme sans expérience spirituelle de la démence, le fruit d'un état pathologique. Privé de l'expérience des réalités du monde spirituel, il nie ce qu'il ne connaît pas.

Potentiellement, chaque être humain est appelé à la plénitude de la vie spirituelle, mais la constante orientation de la volonté vers le monde matériel, vers des réalisations d'ordre charnel et psychique, a pour effet que de nombreux hommes deviennent si insensibles qu'ils perdent toute capacité de percevoir les réalités spirituelles. Dans notre vie quotidienne, on peut comparer cela à la différence qui existe entre quelqu'un qui, possédant un poste de radio, peut capter les ondes qui remplissent l'atmosphère, et celui qui, n'en possédant point, ne perçoit pas leur présence.

La vie spirituelle d'un ascète chrétien est étrange et incompréhensible. Elle se présente comme un tissu d'étonnantes contradictions d'une part, des attaques démoniaques, l'abandon de Dieu, les ténèbres de la mort et les tourments de l'enfer ; d'autre part, la manifestation de Dieu et la lumière de l'Être sans commencement.

Mais la parole est impuissante à exprimer cela.

Starets Silouane
Archimandrite Sophrony
Edition Présence

http://seraphim.chez.tiscali.fr/silouane.htm

 
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