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16 janvier 2022 7 16 /01 /janvier /2022 20:30

Majnûn contemple le ciel (1772), anonyme Gouache sur papier (9,5 x 5,7 cm)
 

Un homme jeune, d’une maigreur inquiétante, assis dans l’herbe, penche la tête en arrière et regarde le ciel. Autour de lui, des fleurs, mais surtout le silence et la nuit. Solitaire au point de se passer même de regarder dans notre direction, il songe, il scrute, il se tait. Curieuse figure… Ce qu’il fait ? Rien. Pas tout à fait quand même. Presque rien alors. Il contemple le ciel, ce ciel qui envahit la plus grande partie de l’image, la plus grande partie de ses pensées aussi, et ce n’est pas rien, le ciel. Il s’appelle Majnûn, il vient du fond de l’Orient et il nous parle de l’amour fou.

La légende persane de Leyli et Majnûn a été couchée sur le papier par le poète Jâmi au XVe siècle. Poète, mais philosophe aussi, et maître spirituel, Jâmi a, toute sa vie, suivi les préceptes des confréries soufies, qui invitent au détachement de soi, à la prière du cœur et à l’attention constante au divin. Son récit en vers, Leyli et Majnûn, raconte une histoire d’amour qui est en même temps un cheminement spirituel comme il n’en existe que peu dans toute la littérature, et à laquelle on ne peut guère comparer, pour notre monde occidental, que celle de Dante et Béatrice dans la Divine comédie. Majnûn, le fou d’amour, va passer sa vie à aimer Leyli, qu’il n’épousera pas, passant par tous les stades du renoncement et de l’adoration. Amour interdit, vénération infinie. Et contemplation.

Que fait-on au juste quand on contemple ? L’image du manuscrit du XVIIIe siècle nous le montre mieux que nous l’expliquerait un texte. Les yeux levés vers le ciel, Majnûn se perd dans la voûte ténébreuse du ciel où les étoiles se sont éteintes à l’approche de l’aube. À peine visibles au firmament, un mince croissant de lune et un pâle soleil évoquent subtilement le passage de la nuit au jour. Seul au cœur de la nuit finissante, cette nuit dont Leyli porte le nom, et absorbé tout entier dans le souvenir de son amour, Majnûn a pour unique confident l’oiseau perché sur son épaule osseuse, dont le chant fait écho aux vers des poètes. Celle qu’il adore est au loin : il ne va pouvoir adorer que le lointain. Peut-être n’aime-t-on vraiment que ceux qui nous manquent.

Ce qu’on fait donc, en contemplant ? On fait plus qu’observer, en tout cas. Le visible s’est dissous dans l’invisible. On pense, en même temps qu’on ouvre les yeux, on attend, on s’oublie soi-même, on cherche à découvrir un sens, comme le fait ici le héros de la légende indo-iranienne sous un ciel où il scrute, sans qu’elle lui parvienne, une réponse à ses interrogations. Mais qu’importe la réponse, quand c’est le désir qui nous pousse à aller au-delà de nous-mêmes ? Qu’importent le sens, même, et la raison de toutes choses, quand c’est l’amour qui nous fait aussi vastes que le ciel ?

Pascal Dethurens, professeur de littérature comparée à l’université de Strasbourg

Repères

Cette enluminure fait partie du fonds de la Public Library de New York. L’histoire de Leyli et Majnûn a été reprise de très nombreuses fois au cours des siècles dans la littérature orientale, où elle jouit du même prestige que celles, chez nous, de Tristan et Iseult ou de Roméo et Juliette. On pourra en lire une version intégrale dans la nouvelle traduction de Leili Anvar sous le titre Leyli et Majnûn de Jâmi, qui vient de paraître aux éditions Diane de Selliers, accompagnée de magnifiques illustrations (432 p., 230 €).

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15 janvier 2022 6 15 /01 /janvier /2022 20:30

Perchés sur le Mont Athos ou repliés dans les Météores, les moines grecs seraient les gardiens d’une certaine identité grecque orthodoxe. Alors que la Grèce médiévale est sous influence byzantine puis ottomane, est-il justifié de qualifier sa population monacale de résistante ?

La Grèce médiévale sous influence ! Rendons-nous dans des lieux parmi les plus fascinants que des hommes, baignés de religion, ont façonnés : le Mont Athos et les Météores. Nous nous trouvons en Grèce, dans des paysages à couper le souffle. C’est là que des moines se sont installés au Moyen Âge. Ils y ont trouvé un refuge, alors que la Grèce connaît plusieurs dominations ; ils en ont fait un lieu au statut autonome, dont l’influence s’étend jusqu’en Russie.

Depuis le Xe siècle, des moines orthodoxes sont installés sur le Mont Athos, une montagne au nord de la Grèce. Ils sont environ deux mille aujourd’hui encore. Leurs communautés, constituées d'une vingtaine de monastères, sont les témoins d’une Grèce passée. Ces monastères ont fait face à la conquête de l’Orient par l’Empire latin quand, en 1204, les croisés prennent Constantinople. Ils se sont maintenus après l’arrivée des Ottomans en 1453.

"Pendant la période de domination latine, après les troisième et quatrième croisades, nous retrouvons la recherche de la solitude, il y a toujours des ermitages. De manière générale, le monachisme orthodoxe est rural, avec toujours la recherche de l'éloignement", explique l'historienne Ludivine Voisin.

Les moines grecs ont su conserver leur identité dans un pays qui a connu différentes dominations et où la religion orthodoxe a évolué, au gré des querelles religieuses, politiques, culturelles. "La Grèce médiévale byzantine se construit dans la douleur", souligne à ce propos Vincent Déroche, historien. Il évoque aussi l'idée répandue que "la plaine et les villes étaient trop sous la main des Turcs et qu'il y a une sorte de réserve d'authenticité grecque liée à la montagne. La montagne en Grèce joue un véritable rôle d'enjeu symbolique de refuge de l'hellénisme".

Comment affirmer et maintenir son identité entre Rome et Constantinople ? Quelles relations entretiennent les monastères grecs avec leurs voisins latins ? En quoi participent-ils à la construction d’une identité grecque ? Nous en parlons avec nos invités, Vincent Déroche et Ludivine Voisin.

Vincent Déroche est professeur à Sorbonne Universités, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre d'histoire et civilisation de Byzance. Il a mené le grand chantier archéologique à Delphes entre 1990 et 1997. Il a notamment publié :

Culte des saints et littérature hagiographique : accords et désaccords (co-édité avec Bryan Ward-Perkins et Robert Wiśniewski, Leuven, 2020)
Constantinople, 1453. Des Byzantins aux Ottomans (co-dirigé avec Nicolas Vatin, Anacharsis, 2016)
Entre Rome et l’Islam. Les chrétientés d’Orient, 610-1054 (Armand Colin, 2010, première édition : Sedes, 1996)
Le Monde byzantin. 750-1204. Économie et société (co-dirigé avec Vincent Puech, Arietta Papaconstantinou, Guillaume Saint-Guillain, Atlande, 2007, réedité en 2010)
Juifs et chrétiens dans l’Orient du VIIe siècle (avec Gilbert Dagron, Bilans de recherche 5, Association des Ami du Centre d'histoire et civilisation de Byzance, 2010)
Ludivine Voisin est docteure en histoire médiévale, chercheuse associée au GRHis (Groupe de Recherche d’Histoire) de l’Université de Rouen, membre associé temporaire de la SHMESP (Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public) et du SSCLE (Society for the Study of the Crusades and the Latin East). Ancienne allocataire de l’École française d’Athènes, elle a publié Les Monastères grecs sous domination latine (XIIIe-XVIe siècles) (Brepols, 2021).

Sons diffusés dans l'émission
Extrait : Les Moines du Mont Athos, film documentaire de Jacques Valentin, 1955
Archive : Jean Gouillard évoque le schisme de l'église byzantine dans Analyse spectrale de l'Occident - RDF, 13 décembre 1958
Musique : "T'aidonia tis Anatolis" par Kyriakos Kalaitzides, chant d'un auteur anonyme, manuscrit de 1203 du monastère Iviron du Mont Athos
Lecture par Daniel Kenigsberg : extrait du récit de la conquête de Constantinople par Constantin Stilbès
Archive : les Météores présentées dans l'émission Les coulisses de l'exploit - RTF, 3 juillet 1968
Lecture par Daniel Kenigsberg : note marginale d'un manuscrit du XVIe siècle traduite par Ludivine Voisin
 

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15 janvier 2022 6 15 /01 /janvier /2022 13:12

En direct ou en replay samedi 15 janvier à Béthanie (Lorraine)

A 19h
 
En direct ou en replay dimanche 16 janvier au monastère Sainte-Présence (Bretagne)
A 10h
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