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3 septembre 2020 4 03 /09 /septembre /2020 19:39
Juju les bons tuyaux

Un jour Dieu convoqua Saint Pierre.
 
-    Pierre, Je t'ai vu tout à l'heure refuser l'entrée de mon royaume à un homme. Tu l'écoutais, rouge de confusion et de fureur, toi d'habitude si attentif et maître de toi. Quel était donc son crime? 

-    Il parlait dans un langage qui ne peut qu'avoir été inventé par le démon. D'ailleurs, il lui arrivait même de parler à l'envers, comme les suppôts de Satan.

- Et quel était donc ce langage?

-    L'argot, Seigneur.

-    Je vois. N'est-ce pas la langue du petit peuple de Paris ?

-    La langue des voyous, des prostituées

-    Comme tu y vas, Pierre! Mais dis-Moi, cet homme, blasphémait-il contre Moi?

-    Disons qu'il riait de Toi et de Ton fils.

-    Non, Pierre, Je pense plutôt qu'il riait de lui car le rire est souvent la seule richesse des déshérités. Et même s'il riait de Moi, que M'importe le rire quand il n'est pas ricanement.

D'ailleurs, dans quelle autre langue que la sienne veux-tu qu'il parle de Moi?

Y-a-t-il un seul homme sur terre qui parle la langue des anges ? Non, Pierre, Je préférerai toujours un homme qui rit de Moi dans sa langue d'origine à celui qui dit m'adorer dans une langue empruntée.  

- Mais Seigneur... 

- Je n'ai pas fini, Pierre. Ne suis-Je point le Verbe? et le Verbe ne contient-il pas toutes les langues que parlent les hommes? Et dans le brouhaha de ces milliers de langues qu'ils se sont données, comment veux-tu que je distingue celles qui ont la grâce et celles qui ne l'ont pas.

En vérité, aucune ne l'a, pas plus la langue du clerc que celle du voleur.

Pas plus celle du sauvage qui vit isolé sur son île que celle d'un quelconque maître du monde; lequel a tort de s'imaginer qu'il M'est plus intelligible donc plus cher à Mon coeur.

-    L'est-il moins que cet homme que j'ai chassé? La qualité d'un homme n'est-elle point reflétée dans son langage ?

-    Que m'importe! Le langage n'est que l'outil que se sont donné les hommes pour communiquer entre eux, pas pour communiquer avec Moi.

Bien présomptueux celui qui prétend détenir la vraie langue. Non, toutes les langues me sont indifférentes. Autre chose. Tu me  parlais tout à l'heure des voyous et des prostituées. 

N'est-ce point justement chez ces gens-là, ainsi que  chez les pauvres et les déshérités que j'ai envoyé Mon  fils? Dans quelle langue supposes-tu qu'il parlait pour se faire comprendre d'eux?

Dans quelle langue crois-tu qu'il a pardonné aux deux larrons qui l'ont accompagné au supplice? Dans la langue des clercs et des instruits?

Mon Fils ne pouvait moins faire que Saint François d'Assise qui plus tard a parlé aux oiseaux dans le langage des oiseaux. 

-    Seigneur, j'ai accompagné Christ dans son prêche, et j'ai beaucoup trop d'amour pour lui pour me le rappeIer parlant une autre langue que celle de la grâce!

- Soit. Mais toi-même Pierre, quand tu étais humble pêcheur en Galilée, les seules fois où tu criais mon  nom, n'était-ce pas quand tu te cassais un ongle sur  une maille de tes filets?

En y ajoutant même parfois une cinquième lettre, si tu vois ce que Je veux dire.  Puis Christ est venu à toi, il t'a parlé dans ta langue  d'humble pêcheur, il t'a dit "Suis-moi" et tu l'as suivi.  

Puis vous êtes allés tous deux à la pêche aux autres  humbles, vous êtes attablés avec les voleurs, les mauvaises femmes, leur avez parlé dans leur langue.

Ils vous ont écoutés, vous ont compris, et ils ont aimé Christ, et Moi à travers lui. L'auraient-ils fait si Christ leur avait coupé la langue ? La grâce se serait-elle installée?

-    Je ne crois pas Seigneur.

-    Alors rappelle cet homme que tu as chassé. Et si cela peut t'aider, imagine qu'il ait un jour rencontré Christ  comme toi tu l'as rencontré.

Et qu'après Jean, Luc, Mathieu et Marc, il ait eu lui aussi ressenti la nécessité de raconter cette rencontre, de la faire partager aux hommes de sa condition.

-    Je n'ose imaginer un pareil évangile, Seigneur!

-    Fais un petit effort, Pierre. Crois-tu que la grâce ou la foi soient si petites choses pour craindre la langue des  hommes, quelle qu'elle soit?

Et puis, Moi-même, qu'ai Je à craindre d'un argot qui peut être vulgaire, c'est à dire venu du peuple, mais jamais grossier, offensant ou blasphématoire?

La situation commande, Pierre. Christ, qui, ne l'oublie pas, est Dieu fait homme, s'il ne doit pas transiger sur le message dont il est porteur, est lui-même assez fort pour prendre l'homme tel qu'il est.

Il n'y a que les hommes pour être choqués par ce font ou disent d'autres hommes.

Moi, si Je les aime trop pour les accepter tels qu'ils sont, Je les aime trop  également pour les rejeter. 

-    Je réfléchirai à tout cela, Seigneur.

-    Allez, à la revoyure, Pierrot. 

-    A la revoyure, Grand Dab, heu, je veux dire, au revoir, Seigneur. 
 

La naissance de Jésus-Christ.     

Voici comment le Vénéré Lardon est né. Marie, sa daronne, était la gonzesse à Jojo, mais avant qu'ils soillent à la colle, elle se retrouva en cloque par l'opération du Saint-Esprit. Jojo, plutôt à cheval sur les principes, mais choucard tout de même, ferma son claque-merde pour ne pas lui faire du tort: "Retourne chez ta vioque, qu'y jacta à Marie, et dégote-toi une autre pomme pour faire claper ton gniard". Mais pendant qu'il pionçait peinard dans sa carré, un ange muche se pointa en rêve et lui jacta dans les esgourdes: "Jojo, fiston de David, t'angoisse pas la tête, prends Marie comme régulière, son berlingot est intact, sans  dec'! 
C'est par la puissance du Saint-Esprit qu'elle porte un mirliton dans le tiroir. Aucun mec n'a mis la paluche sur elle, j'te l'jure. Elle va te pondre un gniard et tu lui donneras le blaze de Juju-les-Bons-Tuyaux,  car il sauvera le populo de toutes ses conneries!"
 
Quand Jojo ouvrit les châsses, il fit ce que le céleste lui avait baragouiné dans la noille. Il se marida donc avec Marie, mais préféra se taper sur le bide durant toute la grossesse, ne tenant pas à faire de la balançoire à son âge.

Neuf mois plus tard, parut au baveux officiel une loi de César Auguste: Tous les mecs et gonzesses de Judée devaient se faire recenser.  
Jojo, descendant de David, dut se rendre en Judée pour se faire recenser dans sa ville d'origine, Bethléhemuche. Il partit donc de Nazareth avec Marie, ballonnée jusqu'aux doudounes. Mais comme c'était jourdé de marché, il n'y avait plus un seul plumard de disponible dans les clapiers de Betléhem. C'est donc dans une étable que Marie pissa sa côtelette entre un bifteck à pattes et un têtu. Juju ouvrit donc les mirettes
dans une crêche, à vingt-quatre plombes précises, un soir de Noël pour pas râter le réveillon. Les rois mages furent les premiers à lui offrir ses jouets.
Huit jourdés plus tard, on amputa Juju d'un bout de zigounette comme le voulait la coutume et on lui donna officiellement le blaze de Juju les BonsTuyaux.

 

La tentation de Jésus.

Ensuite, L'Esprit conduisit Juju dans le désert pour qu'y s'fasse quéque peu emmerdailler par le démon,  histoire de le tenter. Après avoir passé quarante jourdés et quarante noilles sans becter, Juju eut la dalle. Le Cornu au pied bot se pointa et lui jaspina en ricanant:  "Si t'es le lardon du Grand Boss,' ordonne à ces caillasses de se changer en brichetons et moi j'offre les rillettes et le jaja! "... Juju lui répondit: "Les mecs vivent  pas seulement de casse-dalles, connard, mais de toute  jactance que mon Dab prononce! " 
Alors, le lance-flammes l'emmena dans la capitale des  Feujs, le plaça sur le clocher de l'église et lui jacta: " Si  t'es le gniard du Grand Boss, carre-toi la gueule en bas  car il est écrit dans les Saintes-Bafouilles que les anges  doivent t'empêcher de te rétamer la tronche sur les
pavetons". Juju répliqua: "Les Saintes-Bafouilles, 
tranche de cake, disent aussi: "Ne casse pas les balloches à ton Dab pour des conneries futiles! " 
Le grand cornu le mena ensuite sur une montagne avec vue panoramique sur le monde et jacta: " J'te r'file tout  çà si tu me lèches les pompes!" Alors, Juju, qu'en  avait ras le cornet d'esgourder autant de bobards, lui jaspina dans les étagères à mégot: "Casse-toi, fils de  pute! Retourne te faire cramer les burnes dans ton micro-ondes! 
Cette fois, le diable, la queue molle les guibolles, décarra pour de bon, mais bien décidé à revenir à l'occase. Des angemuches se pointèrent aussitôt pour  faire grailler Juju qui commençait à les avoir dans les talons. 

Jésus commence son travail en Galilée

Quand Juju esgourda que son pote Jeannot était encristé because l'avait critiqué Hérode Junior qui glissait régulièrement un nerf à sa belle-doche Hérodiade, il  préféra mettre les adjas.

Il loua un meublé à Capernaüm avec vue sur le lac de Galilée, histoire de zieuter d'un peu plus près les pêcheurs. Il n'arrêtait pas de  débagouler aux touristes qui se faisaient rôtir les miches et les roberts sur la plage. Il jactait comme son  pote Jeannot: "Arrêtez vos conneries, changez de peau  et de kelton, esgourdez la Bonne Jactance car mon  Dab rallège bientôt, et c'est pas le taulier du Club Med,  j'vous l'dis tel quel! " 

La veuve de Naim

Juju se pointa ensuite dans une ville au blaze de Naïm.  Ses dissipés l'accompagnaient, ainsi qu'une foule de   mecs, de gonzesses, de gniards et de pisseuses. En entrant dans le bled, il tomba sur un convoi de pompes funèbres. On emmenait au boulevard des allongés le lardon unique d'une veuve.
Juju, le coeur gros comme une pastèque, fut émotionné du chagrin de la gonzesse. Il lui dit: "Arrête tes chiâles, meuf, ça me déchire le palpitant. " Puis il s'approcha, toucha le pardessus en peau de sapin dans lequel les bloches commençaient à mettre le couvert, et il jacta: "Mec, redresse-toi!" Le clamsé se redressa comme un ressort, prit le couvercle en pleine gueule et se mit à gémir: "Où suis-je?" Ce qui était bon signe. On dévissa vite fait le couvercle et Juju remit le gniard à sa mère, toute joice de retrouver son môme indemne, avec juste une bosse en plus sur la tronche. 

Le sermon sur la montagne. 

Quand Juju mata cette foule, il crapahuta sur une haute colline, posa son saint-siège sur une grosse caillasse et jacta à ses fans:  
  "Bonnards les ceusses qui sont faucheminces car la cambuse de mon Vieux est à eux!" 
     "Joices les caves, car mine de rien y décrocheront la timbale!"
"Bonnards les ceusses qui chiâlent car y se fendront bientôt la gueule! "
"Bonnards les gus qu'ont la dalle, car y baffreront à s'en péter la boîte à ragoût! "
Bonnards êtes-vous si des mecs vous crachent à la gueule, vous sacquent à coups de lattes, vous traitent de putes ou de pèdes à cause de mézigue! 
"Joices les ceusses qui ne défouraillent pas pour un oui ou un non, because on réfléchira à deux fois avant de les rectifier! "
"Bonnards les mecs réglos car le Grand Dab les aura à la bonne! "
"Joices les ceusses qui se défoncent au Pentothal, le Grand Boss leur promettra du Nanan! "
"Mais que dale si vous êtes bourrés de tunes jourdhui! "
'Que dale si vous graillez comme des pourceaux!" "Que dale à vous qui vous fendez la gueule comme les baleines sauvées par B.B! " 
"Oui, sans bobards, je vous le jacte à vous qui m'esgourdez: Aimez les connards, les ploucs. Rincez la gueule à ceux qui vous font chier, bénissez les locdus et priez pour les tantouzes! " 
"Si un gonze te claquemuche une mandale dans les chicots, tend ton blaire. Si un connard te choure ton sonblou, file-lui ta limace et ton bène en prime! Si on te chourave ton pionneer dans ta caisse, porte pas le pet aux lardus. Si on t'emprunte dix sacs, donne-les, ne les prête pas, de toute façon tu te feras baiser tout de même!" 
"Vous avez esgourdé qu'il a été jacté à vos vioques: 'Tu ne trucideras pas". Tout mecton qui rectifie un gonze se retrouve au placard pour un max de piges. Mais moi, je vous le jaspine: Tout trouduc qui se fout en rogne contre son frangin ira au mitard! Pour celui  qui traite son frolot de "connard", idem au cresson!
 Celui qui le traite de "schtarbé" " mérite d'aller se faire  griller les agobilles en  enfer! 

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2 septembre 2020 3 02 /09 /septembre /2020 19:30

Pâque de douleur et de joie

Un jour, à Sainte Marie, le bienheureux François appela frère Léon et dit : Frère Léon, écris. Et lui répondit : Voilà, je suis prêt. Écris, dit-il, quelle est la vraie joie.

Un messager vient et dit que tous les maîtres de Paris sont venus à l'Ordre; écris : ce n'est pas la vraie joie.

De même, tous les prélats d'outre-monts, archevêques et évêques; de même, le roi de France et le roi d'Angleterre ; écris : ce n'est pas la vraie joie.

De même, mes frères sont allés chez les infidèles et les ont tous convertis à la foi : de même, je tiens de Dieu une telle grâce que je guéris les malades et fais beaucoup de miracles : je te dis qu'en tout cela n'est pas la vraie joie (VJ).

Ce texte célèbre (encore récemment Olivier Messiaen l'a repris dans son oratorio sur saint François) est connu dans sa version longue, donnée par les Fioretti (chap. 8), version qui amplifie et romance le récit au risque d'en faire oublier le dur message.

Le texte que nous commentons ici est plus bref et plus simple. De l'avis des critiques, c'est une dictée originelle de François lui-même, et non pas son développement édifiant et poétique.

Quelle est la vraie joie, où la trouver ? Voilà une question qui travaille tout être humain. La joie, ce profond et paisible contentement du coeur, rayonnement silencieux du bonheur, par quel chemin y parvenir ?

Une fois de plus, c'est une réponse paradoxale qui nous est donnée. La joie n'est pas là où une première et superficielle expérience pense la trouver. Sa source cachée n'est révélée que par le creusement de l'épreuve.

François nous dira d'abord où la vraie joie n'est pas. Il ne s'arrête même pas à la description des joies fausses et fugitives qu'il écarte, en un tour de main, dans sa vingtième Admonition : les paroles vaines et oiseuses qui conduisent les hommes au rire...

Les joies décrites dans le texte, joies que lui et ses frères pouvaient éprouver lors de la diffusion spectaculaire de l'Ordre, étaient légitimes.

Qui ne se réjouirait de la conversion évangélique et de l'option pour une vie radicalement pauvre, qui serait prise par les milieux intellectuels, ecclésiastiques et même civils de la société du XIIIe siècle Pour imaginaire et rhétorique que soit le récit, il correspond, pour une part, à la réalité. Il y eut en effet des maîtres de Paris (Alexandre de Hales), des responsables d'Église et même des rois qui furent touchés par le mouvement spirituel déclenché par François.

L'outre-monts : France, Angleterre, Paris, Oxford en furent marqués autant et plus peut-être que l'Italie, et de fortes sympathies sinon des adhésions s'y manifestèrent.

Mais tout ce beau et influent monde eût-il rejoint, de fait et sérieusement, l'Ordre fondé par François, cela ne constituerait pas, malgré la fierté (ambiguë... ) qu'on en éprouverait, la vraie joie.

Poursuivant, le texte envisage des situations plus directement religieuses, et cette fois il s'agit des actions des frères et des charismes surnaturels qu'aurait reçus François lui-même.

Aller chez les infidèles (musulmans), éviter toute dispute et tout prosélytisme, se soumettre à tous et confesser qu'ils sont chrétiens, c'est la mission que François assigne à ses frères, en attendant que vienne, un jour, la possibilité d'annoncer la foi (1 Reg 16).

Si, par impossible, toute cette masse adhérait à l'Évangile, quel événement ce serait, quelle grâce ! Eh bien, cela non plus ne serait pas la vraie joie !

Après ceux du dehors : maîtres, évêques, rois, après les frères, c'est François lui-même qui se met en scène : comme si l'expérience de joie allait le toucher personnellement.

Il s'imagine (mais était-ce seulement l'imagination ?) avoir reçu de Dieu des grâces extraordinaires : don de guérison et celui, illimité, de faire d'autres miracles.

L'homme comblé d'une telle grâce est certes près de Dieu, ami de Dieu, et il aurait raison de se réjouir. Cela n'est pas nié; cependant, comme un couperet, retombe l'affirmation étendue à tout ce qui précède : je te dis qu'en tout cela n'est pas la vraie joie.

Mais quelle est la vraie joie ?

Je reviens de Pérouse, et par une nuit profonde je viens ici, et c'est un temps d'hiver, boueux et froid, au point que des pendeloques d'eau froide congelée se forment aux extrémités de ma tunique et me frappent toujours les jambes, et du sang jaillit de ces blessures.

Et tout en boue et froid et glace, je viens à la porte, et, après que j'ai longtemps frappé et appelé, un frère vient et demande : Qui est-ce? Moi je réponds : Frère François. Et lui dit : Va-t'en; ce n'est pas une heure décente pour circuler; tu n'entreras pas.

Et à celui qui insiste il répondrait à nouveau :

Va-t'en; tu n'es qu'un simple et ignare; en tout cas tu ne viens pas chez nous; nous sommes tant et tels que nous n'avons pas besoin de toi.

Et moi je me tiens à nouveau debout devant la porte et je dis : Par amour de Dieu, recueillez-moi cette nuit. Et lui répondrait : je ne le ferai pas. Va à l'hospice des lépreux et demande là-bas. Je te dis que si je garde la patience et ne suis pas ébranlé, qu'en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l'âme.

La question : Quelle est la vraie joie? rebondit pour la deuxième fois. Avec un grand art du suspense la réponse ne sera donnée que graduellement.

Dans la première partie étaient évoquées des raisons positives de se réjouir : succès spirituels de l'Ordre, réussites missionnaires, charismes personnels, mais c'est pour être aussitôt écartées.

Maintenant qu'enfin les motifs d'une vraie joie doivent être indiqués, c'est paradoxalement les côtés sombres et douloureux de l'existence que la réponse va dépeindre.

L’arrière-fond de la déclaration sur la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l'âme est donc une nuit profonde, en un boueux temps d'hiver, où gèle l'eau froide et où les pendeloques de glace se forment au bas de la tunique. Et pour comble, blessures et sang qui jaillit!

Dans ce cadre sinistre quelqu'un chemine : un itinérant aux jambes blessées se hâte vers un lieu d'accueil. Par-delà le récit anecdotique, j'y vois une image de la condition humaine : l'homme égaré dans la nuit, privé de toute chaleur relationnelle, atteint par les événements, orphelin et seul, en route et en quête de la joie.

Le voici qui croit toucher au but : la porte du lieu familier où habitent des frères qui le connaissent par son nom. Tout en boue et froid et glace, longuement et en toute confiance, il frappe et appelle.

Car ce qui sort l'homme de sa solitude le fait passer de la nuit au jour, c'est l'accueil fraternel ou, pour utiliser l'expression de François, maternel, que se manifestent les hommes.

Mais ici rien ne sert de s'identifier par son nom, Frère François, de faire appel au sens de la fraternité.

Un premier refus est justifié par un prétexte : il est tard et tu ne respectes pas le règlement.

Mais ce motif en cache un autre, plus fondamental et infiniment plus douloureux : au fond nous n'avons pas besoin de toi ; nous sommes nombreux et qualifiés, nous nous suffisons; tu es un homme simple, sans formation ni culture, un pauvre, quoi !

Et pourtant l'homme devant la porte ne renonce pas. Il fait appel, selon sa coutume, à ce qu'il y a de plus grand, de plus sacré pour lui — et pense-t-il — pour ses frères : l'amour de Dieu.

Au coeur de la nuit noire, en face d'un refus emmuré dans l'égoïsme, ces deux mots font se lever comme un soleil d'or : feu et lumière d'un brasier immense capable de consumer et fondre toute résistance.

Recueillez-moi, cette nuit seulement. Rien n'y fait. Le refus est définitif.

L'envoi à l'hospice des lépreux, par quoi le frère pense se déculpabiliser, a quelque chose d'irréparable.

François est identifié, par ses frères, au lépreux intouchable, exclu et marginalisé comme lui. Pour eux il n'existe plus.

Nous touchons le fond de la pauvreté et de la solitude. L'ambiance est sinistre.

Les efforts répétés pour reprendre contact humain et pour briser la dureté des cœurs par un appel à l'accueil ont échoué.

Que reste-t-il, où est la vraie joie, peut-on en parler encore alors que tout sombre dans l'insondable nuit des choses et des coeurs ?

Je te dis que si je garde la patience et ne suis pas ébranlé, qu'en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l'âme.

La vraie joie et la vraie vertu et même le salut consisteraient donc à garder la patience, à ne pas être ébranlé.

De prime abord on pense à une vision quasi stoïcienne de la situation : l'homme qui saurait endurer et la nuit et le froid et surtout le rejet des siens sans être troublé, en gardant son sang-froid et son calme intérieur, celui-là pourrait en tirer une certaine conscience de sa force intérieure — sa vertu — et s'en réjouir paisiblement.

Mais une telle lecture ne serait pas fidèle à la vision et à l'expérience de François.

Ce n'est pas d'avoir courageusement et patiemment supporté l'épreuve qui permet de se réjouir.

Ce serait précisément s'appuyer sur soi, sur ses victoires, sur sa vertu, et cela François l'écarte résolument.

Mais c'est l'épreuve — si dramatiquement suggérée dans notre récit — qui dévoile ce qu'il y a dans l'homme.

Si celui-ci est enraciné en Dieu conscient de l'amour dont Dieu l'entoure, les épreuves peuvent s'abattre sur lui, le faire peut-être crier et se lamenter, quelque chose de profond et de calme subsiste; il peut tenir, endurer, sans être détruit.

Ce n'est pas d'avoir supporté la souffrance qui engendre la joie, mais c'est la joie, déjà là, qui permet de supporter la souffrance.

On conserve, en tout ce qu'on souffre, la paix de l'esprit et même du corps, à cause de l'amour de Jésus-Christ (Adm 15).

Pour qui a déjà lu et goûté, trop rapidement peut-être, le célèbre passage sur la joie parfaite, et s'est laissé charmer par son caractère léger et poétique, la lecture qui vient d'en être faite sera sans doute une surprise.

Car c'est un texte grave : la vraie joie, la plus profonde et la plus inébranlable, trouve, sinon sa source et sa racine, du moins son dévoilement et sa manifestation, sur un fond, inévitable, de douleur.

La vraie joie, la vraie vertu et le salut de l'âme ne sont donnés qu'à ceux qui ont suivi le Seigneur dans l'angoisse, la persécution, la honte et la faim, la maladie et l'épreuve et tout le reste; et de cela ils reçurent de lui la vie éternelle (Adm 6).

C'est la rude et merveilleuse leçon que nous donne François.

Thaddée MATURA

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1 septembre 2020 2 01 /09 /septembre /2020 19:50

Dans le silence, Dieu parle ma langue.

Dans le silence, Dieu parle ma langue intime de ce jour, et tous les jours, il le fait et réinvente pour moi sa langue au long des heures.

Musique inédite composée pour mon cœur seul.

Cette musique silencieuse nous meut, et nous venons auprès d’elle pour apprendre à nous fier à sa houle fine, à nous laisser mouvoir par elle, à nous émerveiller de sa vie infinie et neuve et de la confiance qui naît et s’étend, sans violence.

Confiance en ce tout petit bruit, ce chant, ce très intérieur soulèvement.

A le fréquenter longuement, nous entendrons de mieux en mieux qu’il ne vient pas de nous : nous entendrons que c’est Lui.

A quoi ressemble-t-il aujourd’hui ?

Quel est mon murmure, mon alerte, ma mélodie ?

Mon tout petit bruit, mon tremblement de terre à moi ?

Le fin silence par lequel Dieu m’arrive ?

« Un cœur sans rempart » de Marie-Laure Choplin, Labor et Fides, p. 27-28

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