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20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 22:55
Sur la piste du diable

Dans une fresque savante, le médiéviste allemand Kurt Flasch retrace le grand récit de la pensée du diable : sa construction, son influence, puis son déclin avec la modernité.

Le Diable dans la pensée européenne

de Kurt Flasch

Traduit de l’allemand par Inigo Atucha

Vrin, 384 p., 23,50 €

C’est un sujet diablement difficile que Kurt Flasch, éminent médiéviste allemand, a véritablement pris par les cornes. À l’issue d’une longue carrière, le professeur émérite à la Ruhr-Universität Bochum, aujourd’hui âgé de 89 ans, a choisi de s’attaquer au portrait du diable, figure essentielle mais protéiforme, dont la pensée a été déterminante en Europe.

« Qui veut connaître l’Europe doit prendre en considération Dieu et le Diable, sans les séparer l’un de l’autre », affirme-t-il dès l’ouverture, soulignant que ce dernier « possède toute une histoire culturelle, religieuse et politique, un apogée puis un déclin ». « Il est un phénomène social, marqué par son temps, pas un archétype atemporel », insiste-t-il.

Le grand apport de son ouvrage, savant mais au style vif, est de souligner combien le diable n’a pas toujours eu les mêmes traits. De l’héritage oriental recueilli par la Bible jusqu’au Moyen Âge, sa conceptualisation procède par étapes et tâtonnements, au fil d’un effort spéculatif soutenu.

Dans le récit de la Genèse, rappelle Kurt Flasch, le serpent n’est au départ aucunement associé au diable. Dans le Livre de Job, celui-ci fait figure « de petit fonctionnaire de la cour céleste », mais au Ier siècle après Jésus-Christ, il est déjà devenu une «quasi-divinité ».

Augustin, au tournant du IVe et du Ve siècle, joue un rôle essentiel dans l’évolution de la doctrine chrétienne, opposant la Cité de Dieu et la Cité du diable avec un dualisme non négligeable. « (Augustin) interprète la rédemption par le Christ comme le rachat de ceux sur qui le Diable a jeté son dévolu, analyse le médiéviste. (…) Sa rhétorique crée une atmosphère de domination du Diable puissante et orientée vers les questions sexuelles. »

Au XIIIe siècle, le diable évolue encore et se dématérialise. Alors qu’Origène, Ambroise et Augustin le considéraient comme un être matériel « composé d’air », il devient un pur esprit, notamment sous la plume de Thomas d’Aquin. Cette mutation aura pour effet « d’anoblir le Diable et les démons, en les situant plus haut que les hommes », dans l’échelle de l’Univers.

Si les débats médiévaux sur le diable ont leur part d’abstraction, leur impact concret sur la vie des hommes et des femmes fut de premier ordre. « Le Diable est (…) au service d’objectifs très différents, souligne Kurt Flasch.

Il permet l’instauration d’une cohésion collective et contribue à stigmatiser des adversaires réels ou supposés. Il rend dociles ceux auxquels un notable ou une institution a promis, de façon convaincante, de les sauver de sa domination. Il entraîne des révolutions, lorsque la rumeur rapporte qu’un seigneur est un serviteur de Satan. »

La chasse aux sorcières qui se développe en Europe – non pas durant le Moyen Âge comme on le croit souvent, mais à partir du XVe siècle et surtout au XVIe siècle – en est un exemple paroxystique. L’instrumentalisation de la figure maléfique permet à certains hommes d’asseoir leur domination sur d’autres (essentiellement des femmes), accusés d’être possédés.

La pensée devient alors proprement diabolique, oserait-on dire, puisque c’est le système mental des inquisiteurs, qui leur interdit toute indulgence envers les accusé(e)s et toute possibilité de pardon.

Cette inflation du diable eut cependant des contre-feux, y compris au sein de la communauté chrétienne. Kurt Flasch souligne l’existence de directeurs spirituels et de prédicateurs, soucieux de rappeler au peuple que les démons « n’existaient pas ou qu’en tous les cas, ils ne pouvaient affliger aucun dommage ».

Un courant théologique, certes en mineur, s’inquiéta du dualisme que la pensée du diable instaurait dans le christianisme, entrant potentiellement en contradiction avec des doctrines majeures comme la bonté de Dieu et l’universalité du salut. On peut y rattacher les noms de Jean Scot Érigène (IXe siècle) et celui du protestant Balthasar Bekker (1634-1698), qui luttèrent avec ardeur contre la peur du diable.

Il faudra attendre la modernité pour que la figure diabolique soit progressivement déconstruite. Au XVIIe siècle timidement, puis aux XVIII et XIXes siècles, les progrès des sciences, de la médecine, de l’exégèse historico-critique sont autant de coups de boutoirs contre le diable.

Avec des hésitations, des allers et retours, le scepticisme s’installe : les causes maléfiques deviennent naturelles, les pouvoirs du diable se contractent. La querelle sur le diable paraît peu à peu impossible à trancher, et pour finir inutile.

Arrivé au terme de cet ouvrage très instructif, le lecteur pourra en revanche laisser de côté le jugement personnel que son auteur formule en conclusion, sur le lien supposé indissociable entre Dieu et Diable. « Le christianisme peut-il survivre à l’abolition du Diable ?

Un christianisme sans Satan se laisse-t-il reconstruire ? La réponse est facile : non. Il cesserait d’être la religion de la Rédemption », s’aventure à pronostiquer Kurt Flasch, en sortant de son rôle d’historien.

«Le christianisme privé de Diable semblait devenir plus libre, sans contraintes, plus optimiste, mais il était aussi devenu pauvre en contenu et bien pâle», juge-t-il au sujet de l’évolution de la théologie moderne. Pas sûr que le chrétien du XXIe siècle ne puisse pas préférer cette pâleur diaphane aux rougeurs de l’enfer…

Élodie Maurot

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19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 22:55
Dieu a-t-il un genre?
Trois textes intéressants sur le sujet

... dans la Trinité, aucune des trois personnes n’existe pour elle-même. Au contraire, chacune n’existe que dans le mouvement par lequel elle va vers les autres. Ainsi, le Père n’existe qu’à engendrer le Fils, c’est-à-dire à se donner entièrement à lui. Mais inversement, le Fils n’est rien d’autre que l’image du Père. Il n’existe que pour montrer le Père, lui rendre témoignage.

C’est d’ailleurs bien pour cela qu’on peut donner à Dieu le nom de Père, parce qu’on le désigne par la relation qu’il entretient au Fils, et non pour ce qu’il est en lui-même et qui reste insaisissable. Et c’est pour cela aussi qu’il nous est connu au masculin, parce que son image, le Fils incarné, nous a été plutôt connue au masculin.

En lui-même, « Dieu le Père » est assurément au-delà du genre, mais que pourrions-nous bien dire de Dieu en lui-même et de ses profondeurs infinies, indépendamment de son image en Jésus-Christ ? Tel est le raisonnement de la théologie trinitaire. Et comment connaît-on le Fils ? Directement ?

Certainement pas, il suffit de voir combien de controverses la figure historique de Jésus a pu alimenter. Ses contemporains l’auraient-ils mieux connu que nous, qui n’avons que la science historique pour y accéder ? Peut-être, mais ce n’est pas ce que racontent les Évangiles : Jésus est souvent méconnu, mal compris, et finalement rejeté et même exécuté comme un criminel. Même ressuscité, il n’est pas tout de suite reconnu par ses propres disciples.

Il faut donc un.e troisième pour le reconnaître : l’Esprit saint. L’Esprit Saint est donné par le Fils (qui ne fait rien sinon par le Père dont il est l’image) : il est Dieu soi-même tout autant que les deux autres, mais Dieu en tant qu’il se fait connaître, en tant qu’il est en nous pour nous permettre de le voir, image du Fils comme le Fils est l’image du Père, parce qu’il montre le Fils comme le Fils montre le Père.

On connaît donc le Père par le Fils, et le Fils par l’Esprit. Le Fils donne l’image du Père, et l’Esprit donne l’image du Fils. « Les personnes divines ne s’affirment guère par elles-mêmes, mais l’une rend témoignage à l’autre », explique le théologien Vladimir Lossky.

En d’autres termes, l’identité du Père est donnée par le Fils, et celle du Fils par l’Esprit. Il n’y a donc personne, en Dieu, pour donner à l’esprit son identité, être son image. C’est pourquoi l’Esprit saint est la figure la plus abstraite de la Trinité (dans le Nouveau Testament, elle est une colombe aussi bien que des langues de feu).

C’est, d’ailleurs, cette indétermination qui permet à chacun.e de la recevoir. Or d’après Lossky, c’est justement de celles et ceux qui le reçoivent qu’en retour on verra affirmée l’identité de l’Esprit : « La multitude des saints sera son image ». Ce sont en effet ces saint.e.s qui en témoigneront, comme il.elle témoigne du Fils, et comme le Fils témoigne du Père. Autrement dit, l’Esprit saint se dira au genre de l’Église achevée (non pas l’une des institutions ecclésiale que l’on connaît, mais l’humanité en communion).

Quel sera ce genre ? Il n’est pas permis de trancher, si l’on ose dire, même si la figure par excellence de la sainteté et de l’Église a toujours été une femme, Marie. En tout cas, il n’est pas permis d’affirmer non plus qu’il.elle soit masculin, et il serait trop facile de s’en tenir au neutre.

Pourquoi faudrait-il un seul genre ? Il.Elle sera personnifié.e par la multiplicité des identités réelles, c’est-à-dire notamment les identités de genre, dans la mesure où elles contribuent à définir les personnes réelles que nous sommes.

Il y a donc bien place, dans le christianisme le plus orthodoxe, pour Dieu inclusif.ve, pour Dieu masculin.e et féminin.e (avec toutes les variations possibles entre ces pôles).

L’Esprit, dont l’image est la multitude des saint.e.s, est le lieu théologique de cette inclusivité. Or, image de l’image du Père, il.elle révèle aussi qu’il y a en Jésus-Christ, et jusqu’en son Père, non pas seulement de l’humain, mais tout ce qui fait l’humain, féminin compris, et toutes les nuances de genre.

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Dʼun point de vue linguistique, la terminologie théiste masculine est clairement dominante dans les Écritures. Les deux Testaments emploient des pronoms masculins pour faire réference à Dieu. Les noms qui lui sont attribués (par ex. Yahwé, Élohim, Adonaï, Kyrios, Theos, etc.) sont tous masculins. Il nʼest jamais désigné par un nom ou un pronom féminin.

Les références au Saint-Esprit dans tout le Nouveau Testament sont également masculines, alors que le terme employé pour « esprit » (pneuma) est lui-même neutre. Le terme hébreu pour « esprit » (ruach) est féminin en Genèse 1.2, mais le genre dʼun mot en grec ou en hébreu nʼa rien à voir avec le genre qu’il possède effectivement.

Dʼun point de vue théologique, puisque le Saint-Esprit est Dieu, on peut déduire certaines de ses caractéristiques de celles de Dieu. Dieu est esprit, par opposition au monde physique ou matériel. Il est invisible et spirituel (cʼest-à-dire quʼil nʼa pas de corps, voir Jean 4.24, Luc 24.39, Romains 1.20, Colossiens 1.15, 1 Timothée 1.17), dʼoù lʼinterdiction de se servir dʼun objet matériel pour le représenter (Exode 20.4).

Si le genre est un attribut du corps, alors un esprit nʼen a pas. Dieu nʼa donc par définition pas de genre.

Le genre attribué à Dieu dans la Bible varie. On pense souvent à tort que le texte biblique le présente exclusivement sous une forme masculine, mais ce nʼest pas le cas : le livre de Job parle de Dieu qui donne naissance et Ésaïe le décrit comme une mère. Jésus, en Luc 15, compare le Père à une femme partie à la recherche dʼune pièce perdue (et se compare lui-même à une « poule » en Matthieu 23.37).

En Genèse 1.26-27, Dieu dit : « Faisons lʼhomme à notre image, à notre ressemblance ! », puis : « Dieu créa lʼhomme à son image, il le créa à lʼimage de Dieu. Il créa lʼhomme et la femme. »

On voit donc que lʼimage de Dieu est à la fois masculine et féminine, plutôt que tout simplement lʼun ou lʼautre, comme le confirme encore Genèse 5.2, quʼon pourrait traduire littéralement : « Il les créa homme et femme ; quand ils furent créés, il les bénit et les appela Adam. » Le terme hébreu « adam » signifie « homme » et cʼest le contexte qui indique sʼil sʼagit de lʼhomme (par opposition à la femme) ou de lʼhumanité (au sens collectif). Le genre nʼa donc pas dʼeffet sur lʼhumanité créée à lʼimage de Dieu.

Les images masculines ne sont cependant pas dénuées de tout sens. Dieu est également décrit par une image physique en Jean 14, quand les disciples de Jésus lui demandent de leur montrer le Père et quʼil répond au verset 9 : « Celui qui mʼa vu a vu le Père. » Paul dit clairement que Jésus est lʼimage exacte de Dieu en Colossiens 1.15 en lʼappelant « lʼimage du Dieu invisible. »

Ce verset figure dans un passage qui manifeste la supériorité de Christ sur toute la création. La plupart des religions antiques croyaient en un panthéon de dieux et déesses dignes dʼadoration, mais le judéo-christianisme se distingue notamment par la croyance en un Créateur suprême.

Un vocabulaire masculin décrit mieux cette relation entre le Créateur et la création : comme lʼhomme pénètre la femme depuis lʼextérieur pour la rendre enceinte, Dieu a créé lʼunivers de lʼextérieur plutôt que de lui donner naissance de lʼintérieur.

Comme une femme ne peut sʼinséminer elle-même, lʼunivers nʼa pas pu se créer lui-même. Paul fait écho à cette idée en 1 Timothée 2.12-14, où il décrit lʼordre créationnel comme un modèle de lʼÉglise.

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Rappellons-nous que l’Evangile, nous offre l’image de la colombe pour figurer l’Esprit Saint: “L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »” (Luc 3, 22).

Tout est exprimé dans ce verset d’Evangile, la bienveillance du Père, son Esprit plane, déploie ses ailes au-dessus de Jésus et ses paroles nous disent qu’il est le bien-aimé, en lui est toute la joie du Père.

Et Jésus de même, évoquant l’attitude du Père envers son peuple, osera même dire, s’adressant à Jérusalem: “Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes” (Luc 13, 34).

Cette affection véritable – qui ne voit que la beauté de ses petits – est bien féminine, comme celle de la mère qui ne se séparera jamais de son propre enfant, même si aux yeux de la société c’est un criminel. Pour elle, même adulte et coupable, il reste le fruit des ses entrailles, l’enfant bien-aimé.

Nous avons plus haut le commentaire de Rachi à propos de l’attitude de l’aigle qui approche du nid: il les a conduits avec miséricorde (רַחֲמִים raḫmim) et compassion (חֶמְלָה ḥemlah), comme un aigle qui est plein de miséricorde pour ses enfants (רַחֲמָנִי עַל בָּנָיו raḥmany al banayw).

Il emploie aussi les mots bibliques (רַחֲמִים raḥmim) et compassion (חֶמְלָה ḥemlah) qui nous disent l’attachement d’une mère qui porte ses enfants. Le mot raḥmim vient de reḥem, le ventre maternel, l’utérus et le mot ḥemlah de la racine ḥamal porter, qui, en arabe, sert aussi à dire la femme enceinte, qui porte, et se trouve dans la Bible pour dire la compassion.

Alors nous ne nous étonnerons pas si la Bible, à côté de l’autorité paternelle, introduit tout de suite en Dieu son affection maternelle.

Et nous retrouverons bien d’autres passages bibliques, comme celui du livre d’Isaïe ch.49, verset 15: “Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse (מֵרַחֵם meraḥem) pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas” ou du psaume 27, verset 9: “Mon père et ma mère m’abandonnent; le Seigneur me reçoit.”

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18 juillet 2019 4 18 /07 /juillet /2019 22:55
24 heures au sanctuaire de Cotignac

Dans l’arrière-pays de Toulon, un discret sanctuaire consacré à la Sainte Famille et ayant marqué l’histoire de France fête cette année ses 500 ans.
Cotignac (Var) De notre envoyée spéciale

7 h 30. Soleil sur le mont Verdaille

Six religieux en habit gris-bleu, sandales et barbe de quelques jours, chantent en arc de cercle devant l’autel. « Voici la servante du Seigneur », entonne le plus âgé. « Qu’il me soit fait selon sa parole », répondent les autres à l’unisson, selon une mélodie grégorienne quasi monocorde.

Au cœur de la spiritualité de ces frères de Saint-Jean, la Vierge Marie est aussi la patronne des lieux : sur cette bucolique colline provençale, le mont Verdaille, elle est apparue deux fois, portant l’Enfant Jésus. C’était en août 1519, il y a 500 ans. Saint Joseph, lui, est apparu sur la colline d’en face, le mont Bessillon, en 1660. Toute la Sainte Famille est ainsi apparue dans ce relief situé à soixante kilomètres de Toulon.

Quand on sort, après les laudes, de l’église Notre-Dame-de-Grâces, le soleil est déjà haut. Les cars qui ne tarderont pas à débarquer leurs lots de pèlerins ne sont pas encore garés dans le parking, mais le sanctuaire fourmille déjà d’activité, entre le vrombissement du chantier des futurs sanitaires et l’arrivée de quelques prestataires extérieurs.

La boutique, elle, est ouverte depuis 7 heures. Juste devant, sous un arbre, trois ouvriers armés de râteaux et de souffleurs électriques attendent que Pedro, qui gère la logistique du sanctuaire, cesse de courir pour leur montrer les lieux à « débroussailler ». Frère Samuel-Bernard, le chapelain, glisse un commentaire en passant : « Autrefois, ici, il y avait des chênes verts, mais ils ont été remplacés au XIXe siècle par ces pins, nuisibles au possible : leurs aiguilles bouchent toutes les gouttières ! » Leur ombre, en tout cas, offre un peu de répit en cette chaude journée.

9 h 30. Un film pour les pèlerins

Venu des environs de Perpignan, un premier groupe de pèlerins visionne le film de présentation du sanctuaire, instructif, quoique à l’imagerie assez kitsch. La salle où sont réunis les paroissiens, derrière l’église, porte le nom de Jean de la Baume. C’est à ce bûcheron que la Vierge est apparue il y a 500 ans, avec dans ses bras un enfant « debout, les pieds posés sur un croissant de lune ». La rareté des apparitions de la Vierge à l’Enfant à travers le monde fait la fierté de ce sanctuaire français.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Plus d’un siècle plus tard, en 1637, alors que Louis XIII et Anne d’Autriche ne parviennent pas à enfanter, un religieux augustin, frère Fiacre, récite trois neuvaines à Marie, dont une à Notre-Dame-de-Grâces de Cotignac, après que la Vierge le lui a demandé au cours d’une vision. Neuf mois plus tard naît Louis XIV, dit « Dieudonné ». Avant même cette naissance, son père Louis XIII consacre le royaume à Marie.
10 h 30. Dans les pas de Louis XIV

« C’est l’histoire de France qui s’est jouée ici ! », s’enthousiasme Marianne Giardina. La bénévole guide les pèlerins à travers les pins, où un catéchétique « parcours des saints » a été installé en extérieur pour cette année jubilaire.

Après avoir traversé une clairière, Marianne arrête son groupe au pied d’un imposant escalier de pierre remontant vers l’église. « Louis XIV a monté ces marches quand il est venu à 22 ans remercier la Vierge de lui avoir donné la vie. » À leur rythme, s’appuyant parfois sur une canne, les pèlerins gravissent à leur tour l’escalier, s’agenouillant sur une marche pour un « Je vous salue Marie ». Ils finissent par franchir la Porte sainte ouverte en décembre 2018 par l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey.

« En passant cette porte, vous allez recevoir l’indulgence plénière », prévient Marianne Giardina. Comme la plupart des autres bénévoles du sanctuaire, cette mère de famille dit avoir reçu une « grâce particulière » en ces lieux.
12 h 45. à la table des frères

Après la messe de 11 h 30, les pèlerins déballent leur pique-nique sous les pins. Quant aux religieux, sitôt leur aube retirée, ils se dirigent vers la « maison des frères », une vaste bâtisse du XVIIe siècle en contrebas de l’église. « Vous avez de la chance, le mercredi on déjeune tous ensemble ! » Ils sont huit à vivre ici, âgés de 40 à 78 ans. Deux autres frères sont attachés à ce prieuré fondé en 1981 (le plus ancien de la communauté de Saint-Jean), sans y vivre.

Pour ces religieux, ouvrir leur table à un invité de passage n’est pas si rare, et le déjeuner se déroule dans une atmosphère détendue. Tout en mangeant, les frères échangent sur les travaux à venir pour transformer le parking en esplanade et le charisme spécifique de ce sanctuaire : « Il évoque la vie cachée de la Sainte Famille à Nazareth, et est donc plus discret que la Sainte-Baume, qui correspond plutôt à la vie publique du Christ… »

14 heures. Seul ou en famille

Encore un peu plus bas sur la colline, les retraitants logés au Foyer de la Sainte Famille font eux aussi l’expérience de cette « vie cachée ». Hébergés dans 14 ermitages (bientôt 26), ils gardent le silence, lisent et écrivent tout en contemplant le village provençal de Cotignac en un superbe panorama. Mais pendant les vacances scolaires, quand des familles investissent les lieux, le foyer est moins calme : deux courts de tennis et une piscine sont même là pour offrir à ces sessions familiales un cadre de vacances.

En un mois, ce début d’été aura vu se succéder le pèlerinage des mères, puis des pères de famille, celui des célibataires et des couples en espérance d’enfants. Ils sont nombreux à venir ici pour cette raison, revenant parfois quelques années plus tard avec un « bébé Cotignac »… et un ex-voto à son nom pour remercier la Vierge de sa naissance.

16 heures. Confidences anonymes

Derrière le comptoir de la boutique, Sandrine Rousseau raccroche le téléphone. « C’était une femme dont le couple est en difficulté et qui avait besoin de parler, explique cette salariée de l’association des pèlerins du sanctuaire. J’ai donné son numéro à l’un des frères, je sais qu’il la rappellera pour convenir d’un rendez-vous. »

C’est dans deux petits bureaux jouxtant l’église que les frères, à tour de rôle, assurent ce type d’accueil. « Les gens se confient plus facilement à un religieux qu’ils ne reverront jamais qu’à leur curé de paroisse », explique frère Samuel-Bernard, qui en rencontre une dizaine par jour. Certains sont aussi loin de l’Église : « Il faut alors adapter notre vocabulaire pour ne pas les intimider ! »

Voilà justement, qui vient d’acheter une colombe en bois d’olivier, une jeune retraitée refusant de se dire « pèlerine ».« Ici, je recherche plutôt une villégiature mystique », explique cette habituée, qui trouve dans ce lieu de « très bonnes énergies » et « beaucoup de réconfort ».

17 h 30. Relais de prière

Les « adorateurs », qui ont cet après-midi leur réunion trimestrielle au sanctuaire, sont eux non seulement des pèlerins, mais des priants chargés d’une adoration continue dans l’église Notre-Dame-de-Grâces, en cette année jubilaire. « On ne perd pas son temps pendant une adoration, même si cela semble vide au début », assure Christelle-Catherine, une habitante de Cotignac qui monte prier ici plusieurs fois par jour.

Tandis que le sanctuaire se vide de ses visiteurs, on prend la direction du monastère La Font Saint-Joseph du Bessillon, à trois kilomètres de là. Six religieuses d’une congrégation argentine, Mater Dei, vivent ici depuis février, remplaçant les bénédictines qui faisaient jusqu’alors vivre ce site de l’apparition de saint Joseph.

À l’heure de l’adoration quotidienne des sœurs, dans l’église, les alentours impressionnent par leur silence. On s’approche de la source miraculeuse où, en 1660, un berger assoiffé, suivant les conseils de saint Joseph, avait déplacé une lourde pierre pour délivrer de l’eau. Désormais voué à la prière et au recueillement, ce lieu est pourtant l’un des seuls au monde où saint Joseph, qui ne dit pas un mot dans la Bible, est apparu parlant.

Mélinée Le Priol

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