Dans le chapitre 8 de l’Évangile de saint Jean, pourquoi la vérité que Jésus annonce suscite-t‑elle rejet et violence chez ses adversaires, les pharisiens ?
Dans quel contexte Jésus a-t-il prononcé cet enseignement ?
Cet extrait de l’enseignement de Jésus sur la vérité figure dans le chapitre 8 de l’Évangile de Jean.
Le passage fait le récit d’une révélation mal comprise de l’identité de Jésus. L’épisode, qui se déroule à Jérusalem, commence et s’achève sur une tentative de lapidation.
Dans la première partie du chapitre, les scribes et les pharisiens amènent au Christ une femme « surprise en situation d’adultère ». Jésus confond les accusateurs et fait preuve de miséricorde envers l’accusée.
Puis un dialogue se noue entre Jésus et ses adversaires, à propos de son identité et de sa filiation, dans une atmosphère tendue où se multiplient les malentendus.
Accusé de se rendre « témoignage à lui-même », Jésus assure, tranchant : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. »
Cette phrase provoque l’incompréhension et l’agressivité des pharisiens, qui ultimement « ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus, en se cachant, sortit du Temple ».
Quelle vérité Jésus vient-il apporter aux hommes ?
La première vérité qu’affirme Jésus réside dans son lien filial au Père, le Dieu de l’Ancien Testament. Jésus est l’accomplissement des Écritures.
Il est le seul fils de Dieu, le seul à accomplir le destin créateur de son Père pour les hommes. Cette vérité qu’il vient apporter au monde, il ne la tire pas de lui-même, comme il l’explique au verset 38 : « Je dis ce que moi j’ai vu auprès de mon Père. »
Néanmoins, Jésus est plus qu’un messager de Dieu. Il est aussi le message : « Il est à la fois révélateur et révélé. Jésus est l’exégète, il explique, mais il est l’exégèse, il est l’objet de la révélation, précise le père Alban Massie, jésuite, directeur de la Nouvelle revue théologique (NRT).
Il bouleverse notre connaissance de Dieu en osant dire que Dieu n’est pas inconnaissable. »
C’est même uniquement par la médiation du Christ que les hommes peuvent entrer dans la communion filiale qui unit Jésus à son Père.
Et c’est en « demeurant en sa Parole » que l’homme peut entrer dans un rapport fraternel avec son prochain, à l’image de la miséricorde dont fait preuve le Christ avec la femme adultère.
Car jusqu’alors, comme le montre cet épisode, « les pharisiens font l’expérience d’une loi qui est plus une contrainte qu’une pédagogie de la liberté, telle que Jésus nous l’annonce », explique Yves Simoens, auteur de Évangile selon Jean (lire page suivante).
Jésus n’est pas venu pour condamner, mais pour que tout homme ait la vie. Contre le mensonge qui prend souvent l’apparence de la vérité, la révélation de Jésus permet d’envisager une conception mystique de la morale chrétienne, conditionnée par la foi et l’amour : on ne peut agir selon la vérité que si on puise la vérité dans la parole de Jésus.
Pourquoi la vérité de Jésus suscite-t-elle de la violence ?
La vérité de Jésus finit par provoquer une tentative de lapidation à son encontre. Selon la bibliste Corina Combet-Galland (1), cette hostilité s’explique par le fait que, pour faire paraître la vérité, Jésus « doit d’abord faire entendre la servitude » à ses adversaires.
La notion de libération dans « la vérité vous rendra libres » fait d’ailleurs l’objet d’un quiproquo majeur entre Jésus et les pharisiens.
Alors que Jésus cherche à leur faire comprendre qu’ils sont « dans un esclavage qui n’est pas conforme à leur état de créature à l’image de Dieu », explique Yves Simoens, les pharisiens s’offusquent, rétorquant qu’en tant que « descendance d’Abraham », ils n’ont jamais été « les esclaves de personne ». Ils répondent à Jésus sur un registre social et politique.
Or, affirme Gérald Caron (2), « ils se méprennent totalement sur le sens de la parole de Jésus.
Ils font de la liberté ou de l’esclavage une question de naissance, alors que Jésus envisage l’esclavage du péché dont seul le Fils peut libérer ».
Plus encore, « Jésus affirme en sa personne une antécédence à toute histoire. Cela suppose une tout autre qualité du temps et de la vie, une nouvelle naissance.
Il décentre ses interlocuteurs d’eux-mêmes, les excentre de l’histoire. Il fonde ailleurs. Il parle commencement ; il offre à la vie humaine une origine plus fondamentale que la généalogie », explique la bibliste Corina Combet-Galland.
« On découvre ainsi la dimension positive de la véritable liberté qui, en nous révélant le Christ et en nous faisant demeurer dans la communion avec lui, nous révèle à nous-mêmes, et nous offre l’espace de la vie véritable », explique Ignace de la Potterie, dans La Vérité dans saint Jean (3).
Pourquoi Jésus ne déclare-t-il pas la vérité d’une manière plus directe ?
On pourrait s’étonner du fait que dans l’affirmation de la vérité, Jésus n’utilise pas un langage plus clair. Le langage du Christ est elliptique, cryptique.
Souvent, il répond par des questions par d’autres questions, ou, comme l’illustre une des réponses qu’il fait aux pharisiens sur son identité : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père », il procède de manière détournée pour se révéler.
Pourquoi Jésus ne dit-il pas directement qu’il est le messie qu’Israël attendait dans une vérité que chacun pourrait comprendre sans ambiguïté ?
En réalité, le langage de Jésus mime la nature de la vérité qu’il révèle.
C’est une parole qui se propose mais qui ne s’impose jamais. Elle nécessite une adhésion libre, une foi de l’auditeur qui doit « demeurer en la Parole ».
Mais pour cela, « encore faut-il pouvoir s’ouvrir à l’écoute d’une vérité sur soi, sur ses paralysies, ses dépendances, ses enfermements », explique la bibliste Corina Combet-Galland. «
La manière dont est révélée la vérité montre que son appréhension et sa recherche sont toujours celles d’un combat spirituel », analyse Yves Simoens.
Elle doit être reçue avec les risques que comporte cette réception, car Dieu nous a créés libres de le refuser.
ce qu’il faut retenir
La vérité de Jésus ne s’impose pas
Le récit duquel est extrait « La vérité vous rendra libres », a pour intrigue la reconnaissance de la figure du Christ par les hommes.
À cet égard, il constitue l’une des pièces du procès qui aboutira à la condamnation et à l’exécution de Jésus sur la Croix par les hommes qui n’ont pas voulu croire en lui.
Le Christ vient bouleverser notre connaissance de Dieu en révélant que c’est en demeurant en sa parole que nous pouvons entrer dans la communion filiale qui unit Jésus à son Père.
La vérité du Christ ne s’impose jamais. Elle se propose de telle sorte que la vérité qu’Il vient donner aux hommes n’est pas un dogme statique, mais nécessite notre recherche dynamique de l’amour en toute chose.
Le livre
« Évangile selon Jean », d’Yves Simoens
Un voyage littéraire et théologique sur les traces de l’évangéliste Jean, pour chercher la vérité révélée par Christ. Cet ouvrage d’Yves Simoens (1) propose aux lecteurs un itinéraire de la Parole de Jésus en 22 chapitres qui correspondent aux 21 chapitres de l’Évangile de Jean, « pour s’émerveiller sans trêve », comme l’auteur l’annonce dans son introduction.
Fruit de décennies de recherche et de méditations, l’ouvrage décortique avec érudition les trois ans de la vie publique de Jésus, qui aboutiront à sa Passion. Car la vérité de l’Évangile est exigeante, l’auteur soupèse le poids des mots et des phrases pour ne verser dans aucune simplification qui mettrait en péril leur message.
Héloïse de Neuville
(1) Éditions Facultés jésuites de Paris, 2016 (30 €).
(1) « Venir en lumière : une violence ? Évangile de Jean 8, 12-59 », dans Revue d’éthique et de théologie morale, n° 236,Cerf.
(2) Qui sont les Juifs de l’Évangile de Jean ?, Bellarmin, 1997.
(3) Coll. « Analecta biblica » n° 73 et 74, Rome, PIB, 1977.
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