Après Daech, c’est aujourd’hui l’épidémie du Covid-19… Archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Najeeb Michaeel est témoin de ce mal qui déchire le Moyen-Orient. Et face au mal, ne sommes-nous pas, parfois, tentés d’accuser Dieu ? « Mais il serait bizarre, ce Dieu qui nous met à l’épreuve, ce n’est pas notre Dieu d’amour », invite à s’interroger Mgr Najeeb Michaeel.
Pourtant, l’épreuve nous met à genoux : « Et j’entends ce cri : “Pourquoi Dieu, tu te tais ? ” Il est normal de crier, de pleurer, de hausser la voix contre Dieu », souligne l’archevêque irakien. « C’est vrai, Dieu permet l’épreuve, mais il n’est pas l’auteur du mal qui nous touche », veut rappeler le père Pierre Coulange, prêtre et membre de l’institut Notre-Dame de Vie (1). Dieu n’est pas l’épreuve, il est dans notre épreuve. S’il n’est pas à l’origine du mal, pourquoi le permet-il ?
« L’épreuve du Covid-19 nous interroge sur sa toute-puissance », poursuit le père Coulange. « Dieu ne dort pas, il est dans notre barque, souligne Mgr Michaeel. Mais, comme avec Job, Dieu se retire pour montrer la force de l’être qui croit en Dieu. » La Bible l’affirme : « Dieu n’a pas fait la mort, Il ne prend pas plaisir à la perte des vivants » (Sg 1, 13-14). Mais alors, d’où vient le mal ?
« Pas besoin que Dieu nous éprouve, la vie s’en charge ! », s’exclame Marie Cénec, pasteure à Genève. Mais la question reste là, insistante : pourquoi l’épreuve ? « Nous perdons notre énergie à chercher la cause quand il faut se mobiliser pour assumer le réel et le tragique de l’existence », poursuit-elle.
Mais alors, est-ce notre inconduite, notre prétention qui peut justifier que Dieu nous inflige une épreuve ? Liliane Klarès, 73 ans, s’interroge : une de ses filles est décédée à 49 ans, la seconde est victime d’une maladie orpheline, alors que son mari est gravement atteint par une maladie dégénérescente. Dieu punirait-il ? « J’avoue y penser, ça vient du catéchisme de mon enfance. Qu’est-ce que j’ai pu faire qui aurait déplu à Dieu ? Mais ce n’est pas le Dieu d’amour auquel je crois. »
« L’idée d’une punition voulue par Dieu me révolte, s’inquiète une fidèle à l’heure du coronavirus. Nous l’avons bien mérité avec la course à la mondialisation mais, quand j’ai besoin plus que jamais d’un Dieu d’amour, comment l’imaginer nous envoyant une pénitence ? » Il n’empêche, Dieu apparaît souvent comme le coupable idéal. « Cette vision d’un Dieu qui nous punit pour nos péchés a fait beaucoup de mal au christianisme, constate Bertrand Vergely, philosophe orthodoxe. C’est une tentation dans toutes les religions, mais il ne faut pas faire de Dieu le père du mal. »
Depuis Noé, Dieu a renoncé à la violence : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, (…) plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme j’ai fait » (Gn 8, 21). Dieu sauve d’abord : « Dieu ne veut ni la mort, ni la souffrance. Il ne nous lâche pas une seconde, mais c’est à nous de triompher de l’épreuve », insiste Bertrand Vergely. Et vouloir faire l’économie de l’épreuve est une illusion : « Sur les icônes orthodoxes, on figure les saints avec les démons à leurs pieds : les démons ne sont pas supprimés mais vaincus. »
Il ne veut pas le mal, ne nous châtie pas, mais de quel côté est-Il ? Les récits sont nombreux dans la Bible qui interpellent sa présence. « Le Seigneur est devenu comme un ennemi ; il a englouti Israël », annonce Jérémie (Lm 2, 5). « Il y aura des plaintes et des gémissements ; et la ville sera pour moi comme un foyer sacrificiel », dit Dieu par la bouche d’Isaïe (Is 29, 2). Les épreuves n’ont pas manqué : famines, guerres, exode, exil… En relisant son histoire, le peuple hébreu relie les épreuves à son cheminement avec Dieu qui est là, dans l’épreuve. Non pour punir, mais pour éprouver.
En faisant mémoire des événements, les hommes découvrent qu’il y a un « avant » et un « après », qu’ils sortent de l’épreuve transformés : « Tu nous as éprouvés, ô Dieu, tu nous as fait passer au creuset, comme l’argent. Tu nous as conduits dans le filet, tu as mis sur nos reins un fardeau », chante le psalmiste (Ps 66, 10). Et Dieu est présent : « Il m’appelle, et moi je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve » (Ps 90, 15). « Ce n’est qu’une fois arrivé “plus avant” que l’on peut reprendre souffle et comprendre le sens d’une épreuve, découvrir le trésor caché sous la boue du malheur », confie Marie Cénec.
« L’humanité est en état de rupture avec son créateur depuis les origines, explique le père Jean-Miguel Garrigues, dominicain. Mais le Christ nous ouvre un chemin pour passer de la vie mortelle à la vie de Dieu. » Pâques nous dit la mort et la résurrection, le chemin du salut qui passe par l’épreuve, par la croix. « Nous avons vécu cette année des fêtes pascales particulières, souligne le père Bertrand Pinçon, vicaire épiscopal du diocèse de Lyon. (2) Quand la mort rôde, que nous apprenons le décès de proches, nous prenons davantage conscience de notre finitude. En Jésus-Christ, Dieu se fait proche de l’humain dans ce qu’il a de plus souffrant, jusqu’à la mort. »
« Pourquoi Dieu a-t-il fait un monde où advient non seulement l’imprévu, mais l’imprévisible ?, interroge le père Jean-Michel Maldamé, théologien dominicain. L’imprévisible est une porte ouverte sur un avenir où le meilleur est possible. L’épreuve, qui peut être tragique, est aussi l’occasion d’un pas en avant. » Ce que le confinement a pu montrer : inventivité, solidarité ont pu se manifester depuis plusieurs semaines. « Nous avons l’opportunité d’un bien plus grand qui fait avancer le royaume de Dieu », poursuit le père Maldamé. Et le poète Georges Haldas d’ajouter : « À nous de décider, selon les effets qu’elles produisent en nous, si les dures épreuves qui nous sont imposées sont oui ou non une forme de grâce (3). » En toutes circonstances, donc, approfondir notre existence : « Comment habiter l’espace restreint de nos appartements, retrouver le temps qui s’écoule, demeurer dans ce lieu de vie et croire que Dieu en fait sa demeure, suggère le père Pinçon. C’est une occasion de redécouvrir notre humanité, nous souvenir de ce que nous sommes et que Dieu se souvient de nous. » C’est le défi spirituel de l’épreuve d’aujourd’hui, et la réponse appartient à chacun : « La pandémie n’a pas de but. Mais le monde retourne dans sa maison intérieure, nous vivons un shabbat planétaire, indique Bertrand Vergely. Si nous retrouvons nos forces intérieures alors nous sortirons plus forts de cette épreuve. »
Christophe Henning