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12 juillet 2021 1 12 /07 /juillet /2021 19:30

Un ami m’a offert le catalogue Cayeux. « Juillet approche, il est temps de commander de nouveaux iris pour les installer au jardin », m’a-t-il dit, pour que je consulte cette bible sans tarder. J’avais mille choses à faire mais je suis restée là, à rêver des heures devant ces pages pleines de fleurs en robe de bal.

Des bleus et des pourpres, des blancs et des violets, panachés roses et mauves. Elles m’ont rappelé mon émotion, à Bagatelle, dans le jardin aux iris clos de buis taillés – jardin où je m’attends toujours à voir surgir une infante d’Espagne.

Les iris ont aussi ramené le souvenir de Jean-Baptiste de Vilmorin, dans son jardin de Verrières-le-Buisson où Louise repose sous un banc en guise de pierre tombale, et près d’un cerisier.

Jean-Baptiste de Vilmorin, qui dirigeait la Société nationale de protection de la nature, venait de publier une histoire des plantes, intitulée Le Jardin des hommes.

La journée était délicieuse dans cet arboretum créé par son aïeul, une sorte de zoo botanique où des arbres du monde entier s’étaient acclimatés au ciel de France.

Le botaniste avait évoqué quelques-unes des savoureuses histoires de plantes qu’il avait retranscrites dans son livre : « Savez-vous que les iris sont les véritables symboles de la Royauté de France, et non les lys comme on le pense ? »

Il m’avait alors raconté l’origine de l’emblème et la source de cette confusion.

Clovis faisait la guerre à Alaric II, le roi des Wisigoths qu’il battit et exécuta au terme de la bataille de Vouillé, en 507.

Mais avant cet instant fatidique, le roi des Francs avait été mis en difficulté. Le voilà pourchassé avec ses troupes jusqu’aux bords de la Vienne. Or la rivière était en crue, et les chevaliers lourdement vêtus de cottes de mailles.

Il leur était impossible de traverser. C’est alors que Clovis aperçut une floraison d’iris jaunes au milieu du cours d’eau, qui indiquait ainsi la possibilité d’un gué. Le vainqueur voulut rendre hommage à l’iris qui lui avait sauvé la vie et fait gagner la bataille.

Il fit donc de cette fleur l’emblème de la France, et lui donna la place d’honneur sur son blason royal, jusque-là orné de trois crapauds…

Bien sûr, on se chamaille sur l’authenticité de l’histoire. Certains préfèrent la légende relatée dans l’Histoire des Francs par Grégoire de Tours, l’historien du royaume.

C’est une biche qui aurait signalé le gué à Clovis ; les buissons d’iris (iris de Croatie dits Pallida) ne lui auraient permis que de se cacher.

Et pourtant, à bien observer les fleurs de la couronne de France, on ne peut qu’y retrouver la silhouette des iris de nos jardins : mêmes pétales dressés, mêmes sépales baissés, tous au nombre de trois.

Mais alors d’où viendrait qu’on attribue au lys les vertus héroïques de l’iris ?

À un défaut de langue, prétend la légende ! Louis II le Bègue, roi des Francs (846-879) aurait fait, le premier, remplacer les symboles cosmiques, étoiles et soleils d’or du manteau royal et bleu des Carolingiens, copié sur le vêtement du grand prêtre de Jérusalem, par les iris.

On parla dès lors des « fleurs de Louis » qui devinrent, à force de mauvaise prononciation, les fleurs de lys.

À ses débuts, cette fleur incarnait la déesse Iris, messagère qui mettait un point d’honneur à n’apporter que de bonnes nouvelles aux dieux, mais aussi aux hommes, et signait ses missives d’un arc-en-ciel : « Dans l’Orient obscur / déployant un arc immense, l’iris brille au soleil couchant », chante Chateaubriand. Délicieuse et charitable, la déesse Iris aidait aussi les âmes fraîchement libérées des corps à rejoindre l’Olympe.

Aussi, pour attirer ses faveurs, les Grecs plantaient devant les tombes de grandes touffes d’iris blancs. Cette coutume, et le catalogue Cayeux m’ont aussi rappelé Les Iris, que peignit Vincent Van Gogh, à trente-trois ans, juste avant sa mort, un an à peine en vérité. Il venait d’être interné à Saint-Rémy-de-Provence.

Il avait le désir de consacrer les dernières années de sa vie à la peinture religieuse. « J’ai un besoin terrible de, dirai-je le mot, de religion », écrit-il à son frère Théo. Alors, il s’exerce à reproduire La Pietà et Le Bon Samaritain qu’avait signés Eugène Delacroix, puis La Résurrection de Lazare de Rembrandt.

Hormis eux, il n’imaginait aucun peintre capable de peindre le Christ, « artiste plus grand que tous les grands artistes » – et lui moins qu’un autre. Mais Les Iris alors, l’une de ses toutes dernières toiles ?

Que voit-on, au milieu de ce champ d’iris bleus ? Un iris blanc comme celui à qui les Grecs confiaient leurs prières pour l’Olympe et l’au-delà, comme le lys du Cantique en qui Bernard de Clairvaux voyait Jésus.

N’est-ce pas le Christ que Van Gogh a portraituré dans cet iris si beau, diaphane et solitaire, l’iris aux trois pétales, droit sur sa hampe, dans la vague des iris bleus penchés vers lui, prosternés presque ?

Christiane Rancé

Une légende rapportée par Louis Girard (1911-2003) rappelle que la fleur de lys est un iris stylisé dont Clovis a fait sa fleur favorite.

Malmené dans la bataille de Vouillé contre les Wisigoth et voyant qu'un fleuve barrait sa retraite, Clovis aperçu dans l'eau un grand nombre d'Iris et comprit qu'à ce endroit le fleuve était peu profond et qu'il pouvait le franchir avec son armée.
De ce fait, il aurait prît la fleur de lys sur fond bleu en souvenir de l'événement.

On raconte aussi que la Reine Clotilde, un peu portée sur les croyances et les superstitions, consultait souvent un ermite vivant en forêt de St Germain.
L'ermite lui avait remit un bouclier où figurait trois fleurs de lys, en référence à la sainte Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit).

L'ermite affirma l'avoir reçu d'un ange pour que le roi s'en serve durant la bataille à la place de ses armes ornées de trois croissants ou de trois crapauds.
Selon l'ermite, ce bouclier devait lui assurer la victoire.

Depuis l'Iris aussi nommée "Reine des fleurs" devint l'emblème Franc, sa forme rappelant en outre celle de l'abeille stylisée que le père de Clovis (Childéric) avait adopté sur ses bannières.

Le lys ou l'Iris apparaît nettement dans le monde franc à la fin du règne de Pépin le Bref (714-768) et au début de celui de Charlemagne (742-814).

La fleur choisie par Clovis était un iris jaune.

La fleur de "Lys" serait en réalité la fleur "de Luce" ou fleur "de Louis", choisie par Louis VII (1120-1180) au XIIème siècle et qui par altération phonétique, "Luce" devint "Lys" et ainsi le symbole définitif de la Monarchie Française.

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10 juillet 2021 6 10 /07 /juillet /2021 19:30

Un article d'orthodoxie.com

L’Assemblée des évêques orthodoxes canoniques d’Allemagne (OBKD) s’est tenue le 23 juin 2021 à Cologne, au siège du diocèse métropolitain d’Allemagne et d’Europe centrale du Patriarcat d’Antioche. Les diocèses grec, antiochien, serbe et roumain étaient représentés. L’Assemblée était présidée par le métropolite Augustin, évêque d’Allemagne et d’Europe centrale du Patriarcat œcuménique.

Lors de cette réunion, les hiérarques ont adopté une déclaration commune intitulée « La sainte eucharistie en temps de crise du coronavirus », qui présente les incidences de la pandémie sur la vie de l’Église orthodoxe en Allemagne, et particulièrement sur la célébration de la sainte eucharistie et la communion des fidèles.

Le texte a été préparé par un groupe de travail composé de théologiens de tous les diocèses en Allemagne sous la direction de l’évêque Grégoire (Église orthodoxe serbe). Nous donnons ci-dessous la traduction française intégrale de ce document publié en allemand.

« La sainte eucharistie en temps de crise du coronavirus »

Un texte commun des évêques orthodoxes en Allemagne

La pandémie déclenchée par le coronavirus affecte non seulement la vie économique et sociale, mais a également des conséquences profondes sur la vie de l’Église. Comme la plupart des communautés religieuses, l’Église orthodoxe en Allemagne est dans une position difficile. Elle aussi est constamment confrontée à de nouvelles mesures de protection contre l’infection sous la forme de réglementations et de restrictions fédérales et étatiques, en raison desquelles la célébration des services religieux et, surtout, la célébration de la sainte eucharistie sont sévèrement restreintes et même menacées.

Dans ce qui suit, la Conférence des évêques orthodoxes d’Allemagne (OBKD) aimerait souligner l’importance ininterrompue de l’eucharistie et de la communauté eucharistique des fidèles pour la vie de l’église et souligner les possibilités qui peuvent aider leurs communautés et leurs croyants à faire face à la situation actuelle.

1. IMPORTANCE DE L’EUCHARISTIE POUR LA VIE DE L’ÉGLISE

Le mystère (sacrement) de l’eucharistie est au cœur de la vie et de la nature de l’Église. Il n’est donc pas surprenant que le mystère de la sainte eucharistie ait de nombreuses significations pour la vie ecclésiale. Les points suivants clarifient cet aspect et renvoient en même temps aux conséquences possibles des restrictions liées à la situation que nous connaissons.

1.1 REPAS

Le Christ a institué l’eucharistie lors de la dernière cène (du soir) et l’a continuée après sa résurrection dans la rencontre avec Luc et Cléopas à Emmaüs (Lc 24, 13-35). Les chrétiens des premiers siècles prenaient la communion dans le cadre d’un repas (appelé agape). Au fil du temps, l’eucharistie s’est séparée de l’agape et a pris une forme liturgique particulière. L’aspect communautaire du repas a été conservé dans l’eucharistie.

1.2 MVSTAGOGIE

La sainte eucharistie est le mystère central de l’Église, qui a été instituée directement et personnellement par Jésus-Christ (Mt 26, 26-29). Elle sert  à obtenir « la sobriété de l’âme, le pardon des péchés, la communion du Saint-Esprit, la plénitude du Royaume des cieux » (anaphore de la divine liturgie de saint Jean Chrysostome) ; elle sert donc à la communion des croyants avec Dieu et à  l’édification de la communion entre les chrétiens. Dans l’eucharistie, nous reconnaissons le Christ, Verbe incarné du Père (Lc 24, 30-31) et grandissons ainsi dans la vie éternelle (Jn 17,3). Ainsi, nous vivons l’eucharistie comme une mystagogie, c’est-à-dire comme un guide vers le mystère de la royauté éternelle du Dieu trinitaire.

Le mot latin « communio », d’où vient le mot « communion », signifie littéralement communauté, participation mutuelle ou partage. Le terme slavon utilisé par l’Église, « prichastie », a une signification similaire : il décrit l’acte d’union du chrétien avec le corps et le sang du Christ, avec Dieu et la plénitude de l’Église, c’est-à-dire avec tous ses membres, les saints anges et tous les saints de tous les temps et de tous les peuples.

1.3 UNITÉ

L’unité de l’Église comme corps du Christ se réalise à travers le rassemblement des chrétiens pour célébrer l’eucharistie et pour recevoir les dons précieux, et à travers leur participation à celle-ci. Cela renouvelle l’unité des chrétiens orthodoxes avec Dieu et les uns avec les autres. Ce n’est donc pas un hasard si, dans toute l’Église orthodoxe, la participation à la communion n’est possible que par le baptême et que tant l’unité des différentes Églises locales que la réunification des Églises ou des membres individuels qui se sont séparés de l’Église s’opèrent toujours grâce à la communion.

1.4 ACTION DE GRÂCE

Le mot grec pour action de grâces est « eucharistia ». Au cours de l’eucharistie, nous nous réunissons pour remercier Dieu pour sa création, pour notre vie et celle de nos frères humains, et pour sa miséricorde et sa grâce. L’eucharistie est la plus haute expression de notre gratitude envers Dieu, que nous réalisons en participant à la communion.

1.5 MÉMOIRE

Après que le Christ ait institué l’eucharistie lors de la dernière cène avec les mots « Ceci est mon corps qui est donné pour vous », il a commandé : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19). Ainsi, lorsque nous célébrons l’eucharistie, ce n’est pas seulement un signe de la présence du Christ, mais aussi un acte de souvenir de son sacrifice fait pour nous. Dans la première épître aux Corinthiens, le saint apôtre Paul écrit : « Car chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26).

L’eucharistie fait également référence à la fête de la Pâque du peuple d’Israël, au cours de laquelle les Juifs célèbrent la sortie d’Égypte. Pour nous chrétiens, cependant, cela inclut principalement le souvenir de la résurrection du Christ par laquelle il nous conduit à la vie éternelle.

2. ACTION RESPONSABLE

Après que l’importance de l’eucharistie pour la vie de l’église a été discutée, certains aspects de l’action responsable dans une perspective chrétienne doivent également être cités,  parce qu’ils sont considérés comme indiquant la voie.

2.1 L’AMOUR DU PROCHAIN

Notre Seigneur Jésus-Christ nous a appris qu’aimer notre prochain comme nous-mêmes (Mc 12 : 30-31) est le commandement le plus élevé après l’amour de Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force. De ce commandement découle le devoir de chaque chrétien, de chaque communauté et de l’Église d’agir de manière à protéger le bien-être spirituel et physique de notre prochain. En tant que chrétiens, nous considérons la vie de chaque personne comme sacrée.

La situation actuelle de la pandémie représente un temps d’épreuve et de probation pour nous tous, dans lequel nous, chrétiens, sommes appelés à montrer à nos frères humains d’une manière particulièrement intense l’amour des uns pour les autres, comme cela s’accomplit par le service des malades, la prière pour les défunts, la consolation des personnes souffrantes et endeuillées et le souci de la santé de chacun – qui se manifeste également par le respect des mesures d’hygiène.

La participation au Christ dans l’eucharistie est si centrale pour nous que nous devons faire tout notre possible pour rendre justice à la fois à celle-ci et à la santé et à l’intégrité de nos sœurs et frères.

2.2 ASPECTS JURIDIQUES

En ce sens, nous considérons qu’il est de notre devoir de nous familiariser avec les dispositions légales en vigueur et de les expliquer aux fidèles. Compte tenu de la situation locale d’infection, le service peut alors être organisé en conséquence, ajusté dans le cadre de l’ordre ecclésial et célébré selon les besoins.

Afin d’expliquer à nos fidèles la situation juridique dans laquelle nous nous trouvons par rapport aux mesures étatiques actuelles, nous aimerions exposer brièvement ici la situation juridique dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Le devoir des croyants individuels de respecter la loi correspond au niveau institutionnel au devoir des diocèses orthodoxes d’être en accord avec la loi, notamment pour ceux qui ont ou aspirent au statut de société de droit public.

Le « droit de pratiquer sa religion sans être dérangé » (article 4, paragraphe 2 de la Loi fondamentale), qui fait partie du droit fondamental à la liberté religieuse et protège la participation et la tenue de services religieux et autres célébrations religieuses, est fondamental pour la situation actuelle. La liberté religieuse est l’un des biens durement gagnés de notre société et difficile à regagner une fois qu’elle est perdue. C’est un élément indispensable de nos valeurs fondamentales.

D’autre part, il existe la loi nationale sur la protection contre les infections (lfSG), qui peut restreindre partiellement et temporairement les droits religieux fondamentaux en cas d’« infection de portée nationale ». Une telle infection a été reconnue par le Parlement allemand en mars 2020. Les mesures adoptées à cet égard remontent aux §28 et suivants et au §32 IfSG. Le critère de la proportionnalité s’applique, selon lequel les restrictions doivent être appréciées en fonction de leur aptitude à la protection contre l’infection et en fonction de leur relation avec le but poursuivi.

Même sans ces restrictions légales établies en temps de crise, la coopération entre l’État et l’Église pour protéger la vie humaine est tout à fait conforme à l’éthique orthodoxe. L’Église orthodoxe est un partenaire constructif des institutions municipales, étatiques et fédérales et apporte sa contribution à la vie publique et sociale. Même si nous prenons très au sérieux l’importance des mesures actuelles, dans cette situation, nous nous attendons toujours à ce que les mesures imposées aux Églises et aux communautés religieuses soient appliquées proportionnellement. Nous attendons donc des institutions étatiques qu’elles continuent à cultiver un dialogue constructif avec les Églises et les communautés religieuses avant de prendre des mesures.

2.3 LA PRISE EN CONSIDÉRATION PUBLIQUE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE

La responsabilité permanente des évêques orthodoxes, mais aussi la responsabilité de chaque chrétien orthodoxe, est, entre autre, de veiller à ce que l’Église orthodoxe et ses fidèles fassent leur part pour le bien de la société.

De la fondation des premières paroisses en Allemagne au XVIIIe siècle aux vagues de réfugiés au XXe siècle, et depuis l’arrivée des premiers travailleurs invités en Allemagne jusqu’à aujourd’hui, nous avons pris notre place dans la société locale. Aujourd’hui, les églises et les paroisses orthodoxes façonnent naturellement le paysage dans presque toutes les villes de la République fédérale. Les chrétiens orthodoxes font partie intégrante de la société. Dans plusieurs États fédéraux, l’instruction religieuse orthodoxe a lieu dans les écoles, et de nombreux diocèses orthodoxes sont désormais des sociétés de droit public, pour ne citer que quelques exemples.

2.4 ACRIBIE ET ÉCONOMIE

Dans son histoire, l’Église orthodoxe a rarement eu recours à des réglementations strictes ou extrêmes, mais a toujours essayé de prendre en compte, dans son action pastorale, la réalité de la vie humaine et ses besoins. Le but est toujours resté le même : si possible, procéder de telle sorte qu’elle accompagne les personnes sur le chemin du salut, les encourage à mener à bien le parcours (2 Tm 4, 7), et leur donne la force de le faire.

Pour cette raison, l’Église orthodoxe connaît deux principes pour l’application du droit canon dans le cadre de son service pastoral. Le premier principe est l’acribie (du grec « acribeia », exactitude), selon lequel le droit canon et les autres règles ecclésiastiques doivent être strictement observés et suivis. Mais par amour pour les gens avec leurs faiblesses, l’Église orthodoxe a aussi un deuxième principe, l’économie (du grec « oikonomia », patience, douceur ; littéralement : administration d’une maison). Grâce à ce principe, des exceptions à la règle peuvent et doivent – sur la base de l’Évangile et de la tradition de l’Église – être faites si cela est nécessaire selon les circonstances respectives ou si cela contribue au salut de la personne.

3. PRATIQUE DE LA COMMUNION

Alors que les aspects théologiques de l’eucharistie mentionnés au début sont clairement définis par l’enseignement de l’Église, la pratique de la réception de la communion ou de la distribution de la communion elle-même reste sujette à des changements, comme cela sera décrit dans ce qui suit.

3.1 FRÉQUENCE DE COMMUNION

Selon la pratique courante, la communion est reçue à chaque liturgie ou aussi souvent que possible. C’est à saluer, mais cela n’a pas toujours été le cas. La fréquence de la communion a varié dans le temps. Nous apprenons de la vie de nombreux saints hommes et femmes que la réception irrégulière de la communion n’exclut en aucune manière la possibilité de participer à la grâce de Dieu.

3.2 FORME DE COMMUNION

Bien que nos fidèles d’aujourd’hui soient habitués à communier avec une cuillère liturgique, nous devons nous rappeler que cela n’a pas toujours été la pratique de l’Église. Nous n’avons pas eu de preuves claires de l’utilisation de cuillères de communion jusqu’aux XIe et XIIe siècles.

Pour cette raison, il serait inapproprié de dogmatiser l’utilisation de la cuillère. D’autre part, cette pratique de la communion a fait ses preuves dans l’Église orthodoxe depuis près de mille ans.

La sainte communion vaut, selon les paroles de saint Ignace le Théophore (d’Antioche, martyrisé vers 110 après JC), comme « remède d’immortalité » (Lettre aux Éphésiens, 20). La pratique de la communion peut donc changer et a changé aussi au cours de l’histoire de l’Église ; mais l’essence du mystère reste toujours la même et ne peut être remise en cause en changeant la manière dont il est traité.

4. PRATIQUES ALTERNATIVES DE COMMUNION

La pandémie de coronavirus a conduit à des réflexions sur des formes alternatives, selon le principe d’économie, de donner le corps et le sang du Christ aux fidèles. Au moment de décider du type de distribution de la communion, qui a lieu avec la bénédiction de l’évêque diocésain responsable, il faut être guidé par la tradition de l’Église locale respective, les décisions des saints synodes des églises orthodoxes autocéphales ou les exigences des autorités locales ainsi que la situation actuelle qui nécessite une attention accrue pour le respect des normes sanitaires et d’hygiène.

Pendant la pandémie, l’orthodoxie, selon le principe d’économie, essaie de pratiquer différentes formes adaptées à la situation locale respective (communion sans contact [de la cuillère avec la bouche], désinfection, utilisation de plusieurs cuillères, communion avec des dons pré-sanctifiés, etc.).

Nous devons toujours nous souvenir des paroles de l’Apôtre : « Mais veillez à ce que votre liberté ne devienne pas une offense aux faibles » (1 Co 8 : 9), et ne condamnez personne parce qu’il a une voie différente de celle que sa communauté utilise : « Ne jugez pas pour ne pas être jugé » (Mt 7 : 1) ».

5. CONCLUSION

La santé est importante. Nous entendons par là la santé du corps, de l’âme et de l’esprit, mais aussi la santé dans les relations sociales et sociétales. La crise actuelle est particulièrement douloureuse car la santé du corps semble souvent s’imposer au détriment d’autres aspects importants de la « santé », comme la santé spirituelle ou mentale.

Nous voudrions donc demander à tous les croyants de prier pour tous les malades et pour ceux qui sont décédés des suites d’une infection par le coronavirus, mais aussi pour toutes les personnes, afin que nous puissions faire l’expérience du soutien, de la sagesse et de la puissance de Dieu dans cette difficile situation. Une période de crise est toujours une opportunité pour les gens de repenser leurs valeurs, d’approfondir et de purifier leur relation avec Dieu et les êtres humains, et de réaligner leur vie en conséquence.

Souvenons-nous tous de la parole du saint apôtre Paul dans sa lettre aux Romains, dans laquelle il écrit : « Car aucun de nous ne vit pour lui-même et aucun de nous ne meurt pour lui-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Que nous vivions ou que nous mourions, « nous appartenons au Seigneur. Car Christ est mort et est devenu vivant pour être le Seigneur des morts et des vivants » (Rm 14, 7-9).

Dans la vie comme dans la mort, l’homme reste lié au Christ, notre Maître et Seigneur. Alors, maintenant, aimons Dieu et les uns les autres davantage, voyons la valeur des choses que nous tenons pour acquises dans nos vies. Pouvoir aller à la liturgie chaque semaine, recevoir les dons précieux et voir les membres de notre Église avec lesquels nous formons l’unique corps du Christ a toujours été important pour nous ; mais c’est seulement maintenant que nous ne pouvons plus le faire librement, que nous reconnaissons la vraie valeur de la liturgie. La grâce de notre Seigneur Jésus-Christ et l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous. Amen (2 Co 13, 14).

Jivko Panev

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8 juillet 2021 4 08 /07 /juillet /2021 19:30
© Philippe Lissac / Godong

Notre vocation étant de vivre avec Dieu et nos frères une communion vraiment parfaite, nous sommes appelés à laisser le Seigneur purifier et transfigurer nos vies pour entrer corps et âme dans le Royaume du Ressuscité.

La conception chrétienne de la vie éternelle est originale par rapport à toutes les croyances en un au-delà. Dans beaucoup d’autres religions et dans beaucoup de philosophies, on trouve l’idée qu’il y a une vie après la mort : ce n’est pas nouveau. Le fait qu’actuellement, il y ait des doutes ou des difficultés avec la vie éternelle est aussi quelque chose d’assez ancien : dès Épicure, Démocrite, dans les premiers siècles avant Jésus-Christ et après Jésus-Christ, il y avait des personnes qui mettaient cela en doute.

Mais dans le christianisme, il ne s’agit pas simplement d’une idée ou d’une conviction : on se base sur le fait qu’il y a un homme, Jésus-Christ, qui est effectivement ressuscité. Il y a donc au départ le fait que, en l’an 30 environ, un peu plus de cinq cents personnes, à différents moments, ont rencontré le Christ ressuscité. À partir de ce point de départ, chaque fois que l’on pensera à la vie éternelle ou à la résurrection de la chair, il faudra regarder Jésus-Christ.

La connaissance de Dieu

Mais de quoi s’agit-il exactement quand on parle de la vie éternelle et notamment de la vie éternelle bienheureuse, du Ciel, du paradis ? Probablement que la manière la plus synthétique de l’exprimer, c’est de dire qu’il s’agit d’entrer dans la vie de Dieu. On entre dans la communion les relations éternelles du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Déjà, quand on regarde Jésus, on voit qu’à l’Ascension, il s’élève au Ciel, il est emporté ; de même, saint Étienne voit les cieux ouverts et Jésus debout à la droite de Dieu. Quand la Bible nous parle de la vie éternelle, elle prend souvent des expressions comme « être avec Dieu » ; nous avons cela en Philippiens 1, 23 : « J’ai le désir de m’en aller pour être avec le Christ. » Il y a aussi l’idée de « voir Dieu » à Corinthiens 13, 12 : « Actuellement, nous voyons comme dans un miroir, mais nous allons voir face-à-face », ou « connaître » en Jean 17, 3 : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, Toi le véritable Dieu. » Et il faut savoir que, dans la Bible, « voir » et « connaître » ne sont pas simplement, comme nous le pensons actuellement, une opération purement intellectuelle : la connaissance est une union physique, une union des personnes, une union très profonde. L’idée de fond est donc que la vie éternelle n’est pas un lieu, mais une communion avec Dieu. Saint Augustin dit : « Après cette vie, c’est Dieu lui-même notre lieu ».

Une transformation en Dieu

Dans cette vie éternelle, dans quel état serons-nous ? Y a-t-il un changement pour nous ? Avant de parler de la résurrection de la chair, la première chose que je pourrais dire déjà est que le fait d’être plongé en communion avec Dieu fait que l’nous sommes transformé. Nous sommes transformés pour ressembler à Dieu. Dans la première Épître de Jean au chapitre 3 verset 2, il est dit : « Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. » On devient donc comme Dieu. Nous avons aussi dans 2 Pierre 1, 4 que « nous devenons participants de la nature divine ». Là, les Pères de l’Église ont inventé des mots pour essayer de dire cela, par exemple : « divinisation » ou « déification » — le fait de devenir peu à peu comme Dieu. Mais que veut dire concrètement « devenir comme Dieu » quand nous sommes des êtres humains ?

Transformés en amour et en relation

L’être de Dieu, l’essence de Dieu, c’est d’abord l’amour. Dans la première Épître de Jean, il est dit : « Dieu est Amour ». Tout cela, bien sûr, est au-delà des mots humains, mais les termes humains les plus proches pour le dire sont probablement que nous serons « transformés en amour et en relation », rendus capables d’ouverture constante à Dieu et à nos frères, de relations faites de joie partagée, d’admiration, de communion dans l’amour. Même si rien ne va être exact dans cette formulation, nous pouvons penser que les relations font probablement 20 à 30% de notre existence dont 5% est relation à Dieu. Probablement, une manière de dire ce qui va se passer dans la vie éternelle, c’est que l’on deviendra 100% relation.

 

Le fait d’aimer parfaitement, d’être complètement en relation et en amour sans aucun obstacle nous donne la joie, nous donne la béatitude.

Comme Dieu, dans la Trinité, est 100% relation, nous serons nous aussi 100% relation d’amour à Dieu et aux autres.Tout cela a des conséquences très pratiques : par exemple, ce n’est pas impossible que dans la vie éternelle, nous serons à côté des personnes que nous avons eu le plus de mal à supporter sur Terre, car nous serons tellement capables d’aimer, tellement aimant et dans l’amour que nous voudrons pratiquement avoir ces relations. Nous serons dans une vie de pardon et d’amour.

La vraie joie

La conséquence d’une vie de pardon et d’amour vrais, est ce que l’on appelle habituellement la « béatitude », c’est-à-dire la joie : le fait d’aimer parfaitement, d’être complètement en relation et en amour sans aucun obstacle nous donne la joie, nous donne la béatitude. Dans le livre de l’Apocalypse, nous avons des sortes de descriptions de la vie éternelle ou, au moins, de la Jérusalem Cité céleste, donc de la fin de toutes choses. Dans Apocalypse 7 et 20, il n’y a pas d’obscurité, pas de larmes. Il y a vraiment ce que les Pères de l’Église et les théologiens appellent la béatitude. Une dernière chose sur ce point : cela nous montre bien qu’il n’y aura pas de fusion, c’est-à-dire que l’on ne devient pas comme une goutte d’eau dans un océan (où l’on se perd en Dieu). Car pour aimer, il faut qu’il y ait deux pôles : il faut que l’on soit soi-même et que Dieu soit lui-même et que les autres soient eux-mêmes. Il n’y a donc pas une fusion. La meilleure image serait probablement celle de l’éponge qui tombe dans un lac ou dans un océan, qui se déploie sans jamais se perdre elle-même.

Le purgatoire : une nécessaire purification

Lorsque l’on parle de la vie éternelle bienheureuse, du Ciel, il est clair qu’on ne peut pas entrer dans la communion parfaite avec Dieu et avec les autres sans une purification. L’enseignement catholique s’appuie — ou fait au moins référence — à 1 Corinthiens 3, à partir des versets 10 à 15 où Paul nous dit qu’il y a certaines choses que l’on construit dans la vie ici-bas, et ce que l’on construit passera comme à travers un feu. Bien sûr, Paul n’en parle pas précisément, mais nous nous appuyons là-dessus pour avoir l’idée d’une purification. Probablement, l’idée biblique qui fonde vraiment le purgatoire, c’est l’idée de la prière pour les morts. Nous voyons cela par exemple dans 2 Maccabées 12, 46 — donc encore dans l’Ancien Testament — où il est question de prier pour les morts. Les Pères de l’Église se sont dit alors : « Si nous prions pour les morts, cela veut dire qu’il peut encore leur arriver quelque chose. »

La première Église priait pour les morts

Il n’y a de prières pour les morts que dans l’Ancien Testament, dans ce que les catholiques appellent les livres deutérocanoniques, que les protestants appellent apocryphes et qui ne font pas partie de la Bible protestante. Nous avons donc là une vraie difficulté œcuménique car il n’y a pas de point d’appui biblique commun sur cette question. Il faut toutefois essayer de comprendre pourquoi l’Église primitive a commencé dès l’origine à prier pour les morts : cela se fait probablement à partir du Ier siècle mais certainement aux IIe et IIIe siècles. Beaucoup de liturgies des tous premiers siècles se déroulaient sur le tombeau des martyrs. Nous avons donc déjà une première idée : on commémore le martyr. Dans des textes d’Origène (donc au IIe siècle) et des textes de Cyprien (au IIIe siècle), il est question d’une prière pour les morts. Ce sont ces deux auteurs qui ont principalement introduit l’idée d’une sorte d’étape de purification, un lieu où les morts sont en attente, en préparation, d’où la possibilité de prier pour eux.

La communion des saints au sens large se retrouve dans Romains 5, 12 par exemple, ou dans d’autres textes de Paul, où nous sommes « membres » les uns des autres. Nous pouvons appliquer cela au fait que nous sommes aussi membres de ceux qui sont passés dans la vie éternelle, car il n’est pas considéré qu’il y ait une immense différence entre la vie éternelle et ici-bas, dès lors que nous y sommes déjà tous. Quand Jésus parle du « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants », il nous dit que les morts sont vivants. Mais cette doctrine du purgatoire n’est pas quelque chose que l’on peut baser uniquement sur des textes bibliques explicites ; c’est plutôt une question de logique de fond.

C’est Dieu qui nous purifie

Au purgatoire, ce n’est pas nous-mêmes qui nous purifions : c’est Dieu qui nous purifie.C’est l’un des problèmes du protestantisme avec cette doctrine, à juste titre : nous ne pouvons pas nous purifier par des efforts, par notre souffrance. Mais si simplement c’est l’amour de Dieu, la puissance de l’amour de Dieu et sa sainteté qui nous purifie, c’est dans la logique de la grâce. Ainsi, le purgatoire n’est pas un troisième pôle entre le paradis et l’enfer, ce qui est rarement tout à fait clair pour beaucoup de catholiques. Soit on entre dans la vie éternelle bienheureuse, soit on va en enfer, mais le purgatoire n’est que la porte d’entrée, si l’on peut dire, pour la vie éternelle bienheureuse. Il n’y a pas de retour en arrière. Une fois que nous sommes au purgatoire, nous sommes déjà sauvés de manière définitive ; nous sommes simplement en train de vivre ce passage.

Paul VI a été très clair sur le fait qu’on ne peut pas compter un temps au purgatoire puisque nous sommes déjà dans la vie éternelle et qu’il faut plutôt penser un état de purification…

Il ne faut pas considérer non plus qu’il y a un « temps » au purgatoire.C’est quelque chose qui a malheureusement beaucoup fait partie de certains enseignements catéchétiques ou de certaines dévotions : on parlait d’« années » au purgatoire ou de « durée du purgatoire ». Paul VI a été très clair sur le fait qu’on ne peut pas compter un temps au purgatoire puisque nous sommes déjà dans la vie éternelle et qu’il faut plutôt penser un état de purification qui, du point de vue humain, peut être instantané ou qui peut avoir une durée, mais qui, pour les personnes qui sont en train de le vivre, peut être instantané. Du coup, cela aide à comprendre que l’on n’est pas en train de vivre des sortes de vies parallèles dans d’autres lieux ; c’est plutôt comme le pédiluve pour entrer dans une piscine. C’est-à-dire qu’on le franchit. L’idée sous-jacente est vraiment de prendre au sérieux la sainteté de Dieu : quand on entre en contact avec la sainteté de Dieu, celle-ci nous transforme. Mais il est difficile d’aller plus loin sur ce point, car il n’y a pas vraiment de textes bibliques qui le permettent.

L’enfer existe bel et bien 

L’enfer, en revanche, est une idée très biblique. Nos contemporains ont du mal avec l’enfer car Dieu est infiniment bon, et cette idée d’un lieu de souffrance et de ténèbres leur paraît un peu mythologique. Mais c’est très présent dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Par exemple, dans Matthieu 25, nous avons le Jugement dernier où l’on voit de manière finalement assez claire — même si ce ne sont que des images — que certains sont sauvés tandis que d’autres, en conséquence de ce qu’ils auront vécu, des actes qu’ils ont posés durant leur existence, vont à une forme de perte. Il y a beaucoup d’images sur des « pleurs et des grincements de dents » (par exemple Matthieu 13, 42) ou un « feu éternel » aussi (dans Matthieu 25, 41) ou un « étang de feu » (Apocalypse 20, 14). En 2 Thessaloniciens 1, 9 où il est dit que ces personnes qui sont perdues sont « châtiées d’une perte éternelle, éloignées de la face du Seigneur et de la gloire de sa force ».

La foi chrétienne est probablement, parmi toutes les religions et toutes les philosophies, celle qui a le plus de respect pour la capacité de la liberté humaine.

L’enfer, en fait, est le contraire de la vie éternelle bienheureuse qui était amour et communion.La perte de Dieu, la rupture avec Dieu, la perte des autres et la rupture avec les autres, c’est cela la souffrance. Celle-ci n’est pas forcément une forme de punition active de la part de Dieu, mais c’est plutôt qu’étant profondément faits pour l’amour et la communion avec Dieu et les autres, en son absence dans la vie éternelle, nous sommes dans une réelle souffrance.

La souffrance de l’enfer

En français, le mot « enfer » est très proche du mot « enfermement » ; il y a donc une sorte d’enfermement sur soi qui fait que, comme pour la vie éternelle, on commence déjà en partie à le vivre sur Terre. C’est-à-dire qu’ici-bas, on vit déjà la communion avec Dieu et avec les autres et que l’on vit déjà des formes d’enfer et de rupture. Il y a seulement un moment — le moment de notre mort — où cela devient définitif. Il faut bien comprendre que Dieu ne veut pas l’enfer, qui n’est créé que par notre refus. Dans 2 Pierre 3, 9 ou bien dans 1 Timothée 2, 4, il est bien écrit que le Seigneur veut que personne ne périsse : « Lui — [Dieu] — veut que tous les hommes soient sauvés ». La volonté de Dieu, c’est que tous les hommes soient sauvés. Mais c’est nous qui avons la possibilité de créer l’enfer. L’enfer, dans un sens, a été créé par les hommes.

Le mystère de la liberté de l’homme

La foi chrétienne est probablement, parmi toutes les religions et toutes les philosophies, celle qui a le plus de respect pour la capacité de la liberté humaine. Dans un sens, il n’y a pratiquement que le christianisme qui pense que l’homme est capable librement de poser des actes qui vont avoir une valeur aussi permanente et qui peuvent aller contre son bonheur, contre sa nature. Dans beaucoup de philosophies, il est impossible d’aller vraiment contre sa nature ou son bonheur. La foi chrétienne offre cette perception révélée par la Bible que nous sommes capables de faire cette chose totalement mystérieuse : renoncer à son bonheur naturel.

Au moment de la mort, Dieu se propose à nous

La question qui peut se poser ensuite est la suivante : n’a-t-on pas une sorte de « dernière chance » au moment de notre mort ? Beaucoup de spirituels et beaucoup de théologiens pensent ainsi. Bien sûr, les actes que l’on pose pendant notre vie vont avoir une vraie conséquence, mais au moment de notre mort, mystérieusement, Dieu se propose à nous. Nous avons de nouveau la possibilité de prendre position. Mais en même temps, il faut vraiment comprendre que notre vie est sérieuse, c’est-à-dire que les actes que nous avons posés pendant notre vie sont sérieux. Dans un sens, il y a une sorte de pli qui est pris, qui fait qu’il va être plus difficile d’être en incohérence avec soi-même et de dire oui à Dieu si nous avons dit non à Dieu pendant toute sa vie. Il reste que la grâce de Dieu et l’amour de Dieu étant plus forts que tout, il peut se reproposer à nous. Pastoralement, j’ai vécu deux ou trois situations où je me suis dit : « Je comprends qu’il est possible de dire non à Dieu. » Il s’agissait de personnes qui, sur leur lit de mort, ont refusé de pardonner à un proche. Cette situation me semble le plus proche, humainement, de ce qui peut être un non à Dieu définitif. Car quand on refuse de pardonner au moment de notre mort, en fait, cela veut dire que l’on refuse la vie éternelle avec cette personne. Et refuser la vie éternelle avec quelqu’un est une manière d’opposer un refus définitif ou une fermeture définitive à l’amour et à la relation qu’est la vie éternelle. Ainsi, c’est peut-être une manière de comprendre comment le non définitif à Dieu, à l’ultime instant, est possible

La résurrection de la chair

Pour le moment, nous avons évoqué la situation de l’homme dans la vie éternelle, pour ce que l’on peut en connaître d’après la Bible et la foi catholique. Mais il y a aussi un point qui est totalement unique, c’est la résurrection de la chair dans la foi chrétienne. C’est-à-dire que, non seulement la dimension spirituelle qui est en nous vivra une communion — ou une absence de communion — avec Dieu et les autres pour l’éternité, mais même notre corps, notre chair se trouvera dans cette vie éternelle.

Le seul modèle et le seul accès que nous avons à cette réalité, c’est le corps de Jésus ressuscité.De même qu’on ne connaît la résurrection qu’à travers le Christ, le seul être humain qui soit ressuscité (il y a aussi le cas de la sainte Vierge, mais les Évangiles ne nous disent rien sur son corps ressuscité), de même on ne connaît la résurrection de la chair qu’à travers son corps ressuscité et les différentes apparitions et la manière dont les disciples ont pu toucher ou au moins voir où Jésus a mangé. Nous voyons cela par exemple dans le récit de Luc 24, versets 29 à 42 où Jésus apparaît, puis dit : « Regardez mes mains, regardez mes côtés, regardez mes plaies qui sont là. Donnez-moi à manger. » Et Jésus dit très clairement : « Je ne suis pas un fantôme. »

Que nous dit la Bible sur ce corps ressuscité pour nous ? Pratiquement le seul texte que nous avons, à part ce que l’on voit chez Jésus, c’est 1 Corinthiens 15 à partir des versets 35 où Paul dit, d’une part, que poser cette question est une question stupide, car on ne peut pas savoir. Mais il poursuit son raisonnement, essaie d’expliquer : il imagine le rapport entre une semence et une plante. Nous sommes la semence actuellement et la plante est ce que notre corps sera dans la vie éternelle. C’est en fait une image qui ne dit pas grand-chose de concret, sauf un point fondamental : entre la semence et la plante, entre la graine et la plante, il y a une identité de réalité, d’individualité.

Le même être, mais très différent

Quand saint Thomas d’Aquin commente ce texte de Paul, il dit essentiellement : « Il y a une identité de substance et une différence de disposition. » C’est-à-dire qu’il s’agit de la même réalité dans un autre état. Il reprend quatre termes que Paul utilise dans 1 Corinthiens 15, 42 : « Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts : nous sommes semés dans la corruption, on ressuscite dans l’incorruptibilité ; nous sommes semés dans l’ignominie, on ressuscite dans la gloire ; nous sommes semés dans la faiblesse, on ressuscite dans la force ; nous sommes semés corps psychique (ou « animal », selon les traductions), on ressuscite corps spirituel. » Et Thomas d’Aquin essaie d’expliquer chacun de ces mots. « Incorruptible » veut dire que notre corps ne subira plus la mort et ne subira plus la souffrance ou la maladie. « Glorieux » veut dire que nous serons parfaitement beaux, parfaits. Il utilise le mot claritas en latin, la clarté : c’est-à-dire que l’on rayonnera de la gloire de Dieu. En fait, nous serons transparents : Dieu pourra passer à travers… Nous aurons un corps qui sera transparent à la présence de Dieu.

 

Un corps spirituel est un corps parfaitement adapté, transformé et transfiguré par notre âme, par notre esprit.

La « force » est plus difficile à expliquer ; Thomas d’Aquin se reporte à la manière dont le corps de Jésus ressuscité peut faire beaucoup de choses que notre corps mortel ne peut pas faire : par exemple, traverser des portes, apparaître au milieu des disciples, être dans plusieurs lieux à la fois car il apparaît à plusieurs disciples à la fois… C’est cela, la force : faire avec notre corps ce que l’on veut, sans limite. Le quatrième terme est « spirituel », un « corps spirituel » : c’est ici que nous avons à mon avis l’explication la plus intéressante. En paraphrasant saint Thomas, nous avons un corps parfaitement uni à l’âme. C’est vrai que cela correspond à notre expérience : dans notre vie mortelle, nous savons bien que nous sommes une unité « corps et âme », mais nous voyons aussi des tensions entre notre corps et notre âme, entre nos désirs et notre volonté ; saint Thomas nous dit : « Ce qui se passe au Ciel, c’est que cette unité, qui n’est pas tout à fait réalisée sur Terre, est totalement réalisée : nous sommes parfaitement un. » Il n’y a plus ces tensions. C’est cela, un corps spirituel : un corps parfaitement adapté, transformé et transfiguré par notre âme, par notre esprit.

Ce que le corps ressuscité n’est pas

Dans un sens, il est plus facile de dire ce que n’est pas le corps ressuscité que de dire ce qu’il est. Je peux dire trois choses sur ce qu’il n’est pas — nous sommes vraiment sûr de cela du point de vue de la foi catholique. Premièrement : il n’y a pas que l’âme qui est ressuscitée. Deuxièmement : il n’y a pas de réincarnation ou de métempsychose dans un autre corps. C’est vraiment notre corps. Et troisièmement : il faut éviter deux extrêmes concernant mon corps qui ressuscite. Il faut éviter l’extrême de penser qu’il est une chair comme la nôtre. L’explication est un peu délicate : on peut imaginer que la matière dans la vie éternelle est transformée, transfigurée. Il ne s’agit pas d’une matière comme nous la connaissons. Est-ce une matière qui est purement énergie ? Je ne pense pas, mais analogiquement, une bonne image serait de dire que la matière est transformée : ce n’est donc plus une chair… ce n’est pas une « viande » ! Mais d’un autre côté, ce n’est pas un ectoplasme. Ce n’est pas simplement une sorte d’image, de projection mentale flottante : nous sommes entre les deux. Et nous ne savons pas ce qu’il y a exactement entre les deux.

Ce qui constitue notre identité

Le plus important ce sont les trois enjeux de la résurrection de la chair.Premier enjeu : tout ce qui fait partie de notre identité est conservé. En fait, nous ressuscitons avec tout ce qui fait partie de notre identité. C’est probablement le critère. Ainsi, nous ne savons pas exactement ce que cela veut dire mais, au moins, c’est certain. Par exemple, notre corps fait partie de notre identité. Je pourrais faire un pas de plus — cela n’a jamais été défini par l’Église, mais les grands théologiens sont d’accord sur ce point : nous ressusciterons homme quand nous avons été homme, et femme quand nous avons été femme, car être homme ou femme fait partie de notre identité.

Dans le texte cité précédemment : « Il est le Dieu des vivants et non pas des morts » (Mt 22, 32), Jésus dit : « À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel » (v. 30). Certains théologiens ont mal interprété ce texte en disant : « Si nous sommes comme des anges, c’est que nous n’avons pas de sexualité, pas de sexe. » D’abord, nous n’n savons rien, c’est-à-dire que l’on ne sait pas, à propos des anges, ce qu’il en est. C.S. Lewis, par exemple, pense que toute la réalité est sexuée, donc les anges aussi. C’est une hypothèse pour le moment, mais pour nous, ce que nous dit ce texte, c’est que nous ne nous marierons pas : on ne prend pas homme ou femme dans la vie éternelle. Cela ne dit pas que nous ne sommes pas hommes ou nous ne sommes pas femmes. Saint Thomas le dit très clairement, comme la plupart des grands théologiens : « Nous sommes homme quand nous avons été homme, ou femme quand nous avons été femme ». En revanche, nous pouvons nous demander sans avoir de réponses : sera-t-on noir quand nous avons été Noir, ou blanc quand nous avons été Blanc ? Aura-t-on des ongles ? Aura-t-on des cheveux ? Beaucoup de théologiens, surtout dans les temps antiques, se sont posé cette question, et ce sont probablement des questions auxquelles il ne vaut mieux pas chercher une réponse pour le moment. Le plus important est de dire que l’on conserve tout ce qui fait partie de notre identité. Du coup, il y a une deuxième question à l’intérieur de cet enjeu. 

Le cas des faiblesses corporelles

Qu’en est-il, par exemple, si jamais je suis petit, moche et idiot ? Est-ce que je ressuscite petit, moche et idiot ?Plus profondément, cela pose une vraie question : que se passe-t-il quand nous sommes porteurs d’un handicap physique ou mental ? De nouveau, nous sommes plutôt obligés de prendre une sorte de critère de réflexion plutôt que de donner une réponse toute faite : d’une part, il nous est assuré que toute personne handicapée sera dans le bonheur et que son corps sera au maximum de sa perfection. Et d’autre part, il y a aussi des événements que nous avons vécus sur Terre qui peuvent faire partie de notre identité. Par exemple, saint Augustin est assez intéressant sur ce point-là, en disant : « Toutes nos blessures disparaîtront au Ciel sauf les blessures des martyrs, car les martyrs ont vécu ces blessures en donnant leur vie pour le Christ et pour les autres. »

 

Je poursuivrai dans ces termes en disant qu’il n’est pas impossible que certaines des souffrances que nous avons portées sur Terre au nom du Christ, au nom de l’amour, nous aient marqués, et marqués suffisamment en profondeur pour que nous puissions continuer à les porter. Mais nous les porterons en étant réconciliés avec ces souffrances. C’est la même chose pour le petit moche et idiot : la définition de la beauté que nous avons sur Terre n’est pas nécessairement celle du Ciel. C’est-à-dire que la beauté dans l’Éternité n’est pas selon les critères des top-models : nous voyons bien, sur Terre, que certaines vieilles femmes très ridées, marquées par l’âge, par les relations, par ce qu’elles ont porté, sont beaucoup plus rayonnantes que certaines top-models. Il n’est donc pas impossible que c’est ce qui se passera au Ciel… : nous ne deviendrons pas comme Brad Pitt ou Claudia Schiffer ou comme les derniers top-models, nous ne serons pas totalement transformé, mais peut-être très profondément réconcilié avec notre corps tel qu’il est. D’ailleurs, Jésus lui-même ressuscite avec ses blessures, signe que ces blessures qu’il a vécues pour les autres peuvent être encore présentes.

Respecter son corps mortel

Il faut bien sûr se poser la question du sens de cette résurrection de la chair pour la vie présente. Celle-ci nous permet d’éviter deux extrêmes. Un premier extrême serait de rejeter notre corps dès ici-bas, alors que toutes les belles expériences physiques, corporelles, que nous vivons sur Terre sont déjà des anticipations du Ciel : sentir le vent ou le soleil sur sa peau, sentir la terre quand nous jardinons, ou l’écorce d’un arbre, ou même l’amour, la caresse, l’amour physique, peuvent être des anticipations du Ciel, car nous vivons quelque chose de beau et de fort avec notre corps. Mais l’autre extrême, c’est justement de faire n’importe quoi avec son corps. Car si notre corps ressuscite, nous devons justement le soigner et le protéger : pas de drogue, attention à la manière dont nous vivons notre sexualité… Tout ce qui est vécu ici-bas peut être une anticipation du Ciel et doit être pris au sérieux comme tel. Peut-être que la réconciliation avec son propre corps sur Terre fait partie de ces anticipations. Quand on peut se regarder dans un miroir et ne pas dire : « Aïe, je suis moche, encore une nouvelle ride et un nouveau cheveu blanc ! », mais : « Quelle beauté le Seigneur a créée ! », dans certains cas, c’est un pas de réconciliation et une anticipation de la vie éternelle.

Une résurrection du cosmos tout entier

Pour beaucoup de théologiens classiques, il n’y a pas de résurrection pour les animaux car ils n’ont pas d’âme spirituelle et ne ressuscitera que ce qui est utile à l’homme. Mais bibliquement parlant, il est à peu près clair qu’il y aura une résurrection du cosmos tout entier. On voit en Romains 8 que la Création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement et attend, elle aussi, la libération. Dans l’Apocalypse, on voit qu’il y aura la création d’une terre nouvelle et d’un ciel nouveau : c’est donc déjà la reprise des prophéties d’Isaïe. On peut donc penser qu’il y aura une résurrection de l’ensemble du cosmos et qu’à l’intérieur de ce cosmos, toute forme de réalité sera transfigurée. Récemment, le pape François a consolé un petit enfant en lui disant qu’il ne fallait pas qu’il crée une séparation définitive avec son chien ou son chat, car la mort ne serait pas une séparation définitive. Nous pouvons penser que tout ce qui fait partie du cosmos, d’une manière ou d’une autre, sera transfiguré dans la vie éternelle.

P. Etienne Vetö - 

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