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2 octobre 2008 4 02 /10 /octobre /2008 07:00
Abba Arsène disait : « Fuis, tais-toi et recueille-toi ! »
 
Les Pères du désert sont des personnages fascinants : ce sont les premiers chrétiens à avoir quitté leur société, au IVe siècle, en Egypte, pour se retirer dans la solitude, y vivre l'Évangile et chercher la rencontre avec cet absolu qu'est Dieu. C'est auprès de ces moines que je veux t'emmener : tu entendras de leur bouche, après plus de mille cinq cents ans, un enseignement valable aujourd'hui encore. Arsène—ou mieux : abba Arsène, c'est-à-dire Père Arsène — est l'un de ces solitaires. Né à Rome vers l'an 350, il fut ordonné diacre par le pape, mais passa sa jeunesse à Constantinople, à la cour de l'empereur. Ce furent pour lui des années dissipées. Mais vers l'âge de 40 ans, il s'établit dans le désert égyptien. Dans cet espace aride et ardent, entre le ciel et le sable, il mena durant plus d'un demi-siècle, et jusqu'à sa mort, une vie d'une extrême austérité.

Je ne citerai qu'une des paroles qui nous a été transmise de lui. Tu n'y trouveras guère de conseils sur la vie chrétienne entant que telle, mais l'indication des préliminaires exigés pour laisser éclore en toi la vie intérieure. Tu découvriras ainsi les conditions qui pourront t'ouvrir à la prière et te rendre disponible à Dieu et à toi-même.

Un jour, Arsène pria en ces termes : « Seigneur, conduis-moi sur le chemin du salut ! » Il cherchait à comprendre comment se comporter pour être considéré juste aux yeux de Dieu et trouver la paix en lui-même. Il entendit alors une voix lui répondre : « Arsène, fuis, tais-toi et garde le recueillement ! » A ces mots, Arsène s'enfuit au désert, s'exerça au silence de l'ermitage et chercha la paix dans la vie solitaire. Ils sont très peu, aujourd'hui encore, ceux qui se sentent appelés à imiter Arsène dans sa vocation radicale. Mais tous, nous pouvons tirer un enseignement limpide de ces trois simples verbes : « Fuis, tais-toi et garde le recueillement ! » Cherchons à les écouter comme s'ils étaient adressés à nous-mêmes.
 
« Fuis ! » S'éloigner du lieu où l'on vit habituellement, faire un voyage : voilà un acte important si on le vit de manière consciente. Cela indique que notre environnement concret ne nous suffit pas, qu'un désir d'autres espaces nous habite. En nous tous réside l'aspiration à un « ailleurs ». Partir, c'est affirmer notre capacité à prendre de la distance avec le quotidien, le travail, la routine, pour nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec notre cadre de vie et ceux qui nous entourent. Sommes-nous les esclaves de notre travail, de nos relations ? Répondre, nous aussi, à l'appel adressé jadis à Arsène ne signifie pas échappera notre quotidien par fuite, mais faire en sorte que chaque jour nous donne l’occasion de vivre des rapports authentiques et féconds.

« Tais-toi ! » Faire silence : voila bien un conseil qui va à contre courant du rythme assourdissant de nos sociétés. Car notre vie nous inonde de bruits, de sons, de paroles, de messages tout au long de la journée. et même la nuit. Or, le silence peut nous enseigner à parler en nous aidant a discerner le juste poids des mots que nous prononçons : sont-ils encore capables de créer des relations, d'engendrer la communion ?

« Garde le recueillement ! » Trouver le repos : il s'agit là d'une conséquence de la distance qu'on a prise et du silence qu'on a su observer. Mais ce repos, il faut l'assumer de manière responsable et non simplement passive. Pour être authentique, il doit procurer la paix et offrir la réconciliation : entre notre vie — avec ses énigmes — et nous, entre les autres et nous... Le recueillement nous aidera alors à « penser en grand », à nous exercer à 1’amour en nous faisant contempler l'amour dont nous sommes l’objet.

Oui, fuir, se taire, se recueillir : autant d'occasions de retrouver notre véritable humanité.

Enzo Bianchi
Communauté de Boze
Panorama N°446 Septembre 2008
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30 septembre 2008 2 30 /09 /septembre /2008 08:00
Au bord de ce nouvel automne, nous voici repris par les appels et sollicitations en tout genre, auxquels nous répondons avec plus ou moins de bonne volonté. J'aimerais y glisser une petite parabole qui nous enseigne le bon usage du non. C'est un père qui envoie ses deux enfants travailler à la vigne. Le premier dit non, puis il se repent. Le deuxième dit oui, mais il n'y va pas (Mt 21,28-32). 

Or, le juste, dans cette histoire, c'est le rebelle ! C'est celui qui ne se précipite pas dans le oui, mais ose d'abord le non. 

Nous sommes des gens polis, éduqués chrétiennement à nous tourner vers les autres, avec un zeste de culpabilité à signifier notre indisponibilité ou notre désaccord. Nous disons volontiers oui pour ne pas choquer, pour éviter les questions. Mais sous le couvert de la bienséance se joue parfois une autre partition. Nous faisons les choses comme ne les faisant pas, nous donnons l'impression d'être là alors que nous sommes ailleurs, nous flottons dans les événements comme dans des habits trop grands. 

Nous sommes dans la « bonne volonté » qui veut soigner l'image d'elle-même, mais nous ne nous habitons pas en vérité. La traduction littérale du grec nous enseigne que le deuxième enfant, celui qui dit oui et ne fait pas, ne peut pas aller à la vigne parce que son moi est obèse et l'empêche de marcher. Plutôt que de dire « J'y vais », le texte grec écrit en effet: « Moi ». « Moi, Seigneur... et il n'alla pas » (Mt 21,30). Celui-là est incapable d'entrer dans le désir de l'Autre, parce qu'il n'y a pas de place en lui pour l'Autre. Le premier enfant, lui, a le courage d'être vrai. Il sait que répondre est coûteux, il ose l'écart et le droit de reconnaître qu'il n'a pas envie.

A la racine de nos vies, il y aura toujours cette parole du Père qui nous bouscule : « Va et travaille... » (Mt 21, 28). Le désir de l'Autre nous dénoyaute de notre tranquillité en nous donnant le monde à sarcler comme une vigne. Et la saveur de notre existence dépend de la réponse que nous lui offrons. Or, ceux qui entendent le mieux, ce ne sont pas ceux qui sont le mieux équipés spirituellement, mais ce sont ceux qui tout à la fois veulent et ne veulent pas, ceux qui savent trop le prix du oui pour le donner sans réfléchir.

« Heureux ceux qui osent d'abord dire non / Ils sont plus libres que les autres. / Heureux ceux qui écoutent après s'être écoutés / Ils entrent dans la volonté du Père./ Heureux ceux qui se laissent déplacer/ Ils ont encore un chemin devant eux. »

Pasteure Francine Carillo
Panorama No 446 septembre 2008
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22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 22:02

La situation de l'âme dans la contemplation ressemble à celle d'Adam et d'Eve dans le Paradis. Tout vous appartient, mais à une condition infiniment importante : que tout vous soit donné.

Il n'y a rien que vous puissiez réclamer, rien que vous puissiez exiger, rien que vous puissiez prendre. Et, dés que vous essayez de prendre quelque chose comme si cela vous appartenait - vous perdez votre Eden.

La seule différence est que vous ne vous rendez pas compte tout de suite de ce que vous avez perdu. C'est pourquoi, seule, la plus grande humilité peut vous donner la sensibilité et la prudence instinctives qui vous empêcheront de rechercher les plaisirs et les satisfactions que vous pouvez comprendre et savourer dans cette obscurité. A l'instant où nous demandons quelque chose pour nous-mêmes, où nous comptons sur quelque acte personnel de notre part pour obtenir une intensification plus profonde de ce pur et serein repos en Dieu, nous ternissons et faisons évanouir le don parfait qu'Il désire nous faire en union avec Lui, dans le silence et l'inaction de nos facultés.

S'il y a une chose que nous devons faire c'est de nous pénétrer jusqu'au plus profond de notre être de cette vérité que c'est un pur don de Dieu, qu'aucun désir, aucun effort, aucun héroïsme de notre part ne peut rien faire pour mériter ou obtenir.

Notre activité personnelle est, pour la plus grande part, un obstacle à la pénétration de cette paisible et pacifiante lumière, sauf que Dieu peut exiger de nous, pour la charité ou l'obéissance, certains actes et certaines oeuvres, et nous maintenir dans une union profonde et réelle avec Lui par l'intermédiaire de ces actes ou de ces oeuvres, à son bon plaisir et non pas en raison de notre fidélité.

Thomas Merton
Semences de contemplation
Ed. du Seuil

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