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27 juin 2016 1 27 /06 /juin /2016 22:39
Jean Daniélou

Jean Daniélou est l'un des plus grands théologiens du XXe siècle. 

Le souvenir de Daniélou se réduit aujourd’hui, pour un très grand nombre de gens, au mystère de sa mort, provoquée par un infarctus, un après-midi de mai, au domicile d’une prostituée, au quatrième étage du 56 rue Dulong, à Paris.

Alors que, en réalité, le véritable mystère sur lequel Daniélou a ouvert des fenêtres à beaucoup de gens, dans son activité de théologien et d’homme spirituel, est celui du Dieu trinitaire. L’une de ses œuvres majeures a pour titre : "Essai sur le mystère de l’histoire".

Jean Daniélou est le grand historien des origines du christianisme. Personnage hors normes, il fut un ardent partisan du dialogue interreligieux, et l’auteur de nombreux ouvrages (Pourquoi l’Eglise, Carnets spirituels…). L’esprit de son œuvre pourrait se résumer à cette audace: remplacer la scolastique par la patristique.

Daniélou a été, avec son confrère jésuite Henri de Lubac, le génial initiateur, en 1942, de cette collection de textes patristiques appelée "Sources Chrétiennes" qui a marqué la renaissance de la théologie dans la seconde moitié du XXe siècle et qui a préparé ce qu’il y a de meilleur dans le concile Vatican II.

Daniélou est sévère à l’encontre du protestantisme, qui postule qu’il est impossible de connaître Dieu autrement que par la foi... que cette foi ne peut être établie par la raison (Luther assimilait la raison à une putain). Cette attitude procède d’«une démission à l’égard de l’intelligence».

Jean Daniélou juge positivement le paganisme. Les religions païennes sont bonnes en elles-mêmes, en tant qu’elles sont recherche de Dieu; l’homme païen est ouvert à une inquiétude sur l’absolu.

Contrairement à une idée récurrente, la christianisation des cultures traditionnelles exotiques ne signifie aucunement la destruction de leurs spécificités propres: intégrant audacieusement tout ce qu’elles contiennent de vrai et de juste, elle se contente simplement de les prolonger jusqu’à l’absolu véritable. Comme le Christ, l’Eglise doit prendre la chair de ce qu’elle vient assister.

Mais il faut dissiper le mystère de sa mort et de la réprobation silencieuse qui a suivi celle-ci.

Mimì Santoni, la prostituée, le vit tomber à genoux, le visage contre terre, et expirer. Et, d’après elle, "c’était une belle mort, pour un cardinal". Il était venu lui apporter de l’argent pour qu’elle puisse payer un avocat capable de faire sortir son mari de prison. Ce fut la dernière de ces actions charitables qu’il accomplissait en secret, pour des gens méprisés et qui avaient besoin d'aide et de pardon.

Les jésuites firent des enquêtes serrées, pour vérifier ce qui s’était vraiment passé. Ils contrôlèrent son innocence. Mais, de fait, ils entourèrent l’affaire d’un silence qui n’échappa pas aux soupçons.

La rupture entre Daniélou et d’autres de ses confrères jésuites de Paris et de France fut en effet la véritable cause de l'oubli dans lequel est tombé ce grand théologien et cardinal.

Une rupture qui avait précédé sa mort d’au moins deux ans.

Depuis 1972, en effet, Daniélou n’habitait plus l’immeuble où était installée "Études", la revue culturelle de pointe des jésuites français, là où il avait vécu pendant des décennies. Il avait déménagé pour aller dans un couvent de religieuses, les Filles du Cœur de Marie.

Ce qui avait provoqué le conflit, c’est une interview que Daniélou avait accordée à Radio Vatican, dans laquelle il critiquait durement la "décadence" qui dévastait tant d’ordres religieux masculins et féminins, à cause d’"une fausse interprétation de Vatican II".

 

Extrait de "LA SOURCE ESSENTIELLE DE CETTE CRISE..."

Interview du cardinal Jean Daniélou à Radio Vatican, le 23 octobre 1972

Je pense qu’il y a actuellement une crise très grave de la vie religieuse et qu’il ne faut pas parler de renouvellement mais plutôt de décadence. Je pense que cette crise affecte avant tout le monde atlantique.

L'Europe de l'Est et les pays d'Afrique et d’Asie présentent à cet égard une meilleure santé spirituelle. Cette crise se manifeste dans tous les domaines. Les conseils évangéliques ne sont plus considérés comme consécration à Dieu, mais envisagés dans une perspective sociologique et psychologique.

On se préoccupe de ne pas présenter une façade bourgeoise mais, sur le plan individuel, la pauvreté n’est pas pratiquée.

On substitue la dynamique de groupe à l'obéissance religieuse ; sous prétexte de réaction contre le formalisme, toute régularité de la vie de prière est abandonnée.

Les conséquences de cet état de confusion sont d’abord la disparition des vocations, car les jeunes demandent une formation sérieuse, et d'autre part ce sont les nombreux et scandaleux abandons de religieux qui renient le pacte qui les liait au peuple chrétien.

La source essentielle de cette crise est une fausse interprétation de Vatican II. (…) 

dans nombre de cas, on a remplacé les directives de Vatican II par des idéologies erronées que répandent nombres de revues, de sessions, de théologiens et parmi ces erreurs, on peut mentionner :

- La sécularisation. Vatican II a déclaré que les valeurs humaines devaient être prises au sérieux. Il n’a jamais dit que nous entrions dans un monde sécularisé au sens où la dimension religieuse ne serait plus présente dans la civilisation et c’est au nom d’une fausse sécularisation que religieux et religieuses renoncent à leur costume, abandonnent leurs œuvres pour s’insérer dans les institutions séculières, substituant des activités sociales et politiques à l’adoration de Dieu. Et ceci est à contre-courant, d’ailleurs, du besoin de spiritualité qui se manifeste dans le monde d’aujourd’hui.

- Une fausse conception de la liberté qui entraîne la dépréciation des constitutions et des règles et exalte la spontanéité et l'improvisation. Ceci est d’autant plus absurde que la société occidentale souffre actuellement de l'absence d’une discipline de la liberté. La restauration de règles fermes est une des nécessités de la vie religieuse.

- Une conception erronée de la mutation de l’homme et de l’Église. Si les environnements changent, les éléments constitutifs de l’homme et de l’Église sont permanents et la mise en question des éléments constitutifs des constitutions des ordres religieux est une erreur fondamentale.

(…)

La vie religieuse est appelée à un immense avenir dans la civilisation technique ; plus celle-ci se développera, plus le besoin de la manifestation de Dieu se fera sentir.

C’est précisément le but de la vie religieuse, mais pour accomplir sa mission, il faut qu’elle retrouve sa véritable signification et rompe radicalement avec une sécularisation qui la détruit dans son essence et qui l’empêche d’attirer des vocations.

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