Les Sermons (Instructiones) de saint Colomban (543-614), un des plus grands hommes nés en Irlande, étaient destinés à ses moines. Par eux fut refondé le monachisme occidental, et tout ce qu’on connaît comme relevant des principes catholiques régissant les abbayes s’y trouve. En ce sens, cela fait de ces textes courts des classiques absolus.
Quand on a oublié ce qu’est le catholicisme fondamental, et qu’on commence à disserter à partir des traditions politique et philosophique modernes, il est bon de lire ou relire ces Instructions, bien plus authentiques que les spéculations de partis relativement intéressés.
On n’y trouve guère de merveilleux, mais des idées fondatrices: qu’il est vain, d’abord, de disputer des mystères de la foi à partir de concepts abstraits, de paroles que meut l’intellect. Il est impossible, pour saint Colomban, de comprendre la Trinité à partir de la raison.
On ne peut que s’appuyer sur la foi, le sentiment d’amour qui rayonne de cette Trinité, et qui flambe, au-delà des étoiles, du feu cosmique de la charité! Il y a quand même quelques images, et Dieu y est une personne.
On y parle parfois des anges. Colomban dit notamment qu’on ne peut, sur les mystères, établir d’idées claires qu’en partant de l’Écriture sainte, ce qui est la doctrine fondamentale de la religion catholique que saint Augustin déjà énonçait.
Mais Colomban ajoute que le Saint-Esprit, ou l’ange, peut aussi délivrer des communications divines – comme il l’a fait, en principe, lors des rédactions de la Bible. Les prophètes nous rappellent, cependant, que les anges s’expriment par figures mystérieuses.
Colomban emploie volontiers des comparaisons avec la vie ordinaire: les efforts fournis par les paysans pour leurs moissons se projettent dans l’avenir; de même, les moines doivent vivre une vie douloureuse sur Terre en prévision des grâces du Ciel.
Il faut mourir au monde d’en bas, périssable, pour vivre de la vie éternelle qui attend l’être humain, rappelle-t-il. Cette perspective donne de la grandeur et de la beauté à ces Sermons. Il fait de l’au-delà des étoiles, de l’au-delà de l’univers sensible, la fontaine de la vie, l’éternelle source de l’âme, de l’esprit, de tout. À elle il faut se vouer!
Les comparaisons avec l’art militaire reviennent souvent aussi. Par elles, Colomban rappelle qu’il faut longtemps s’entraîner, avant d’être à même de ne pas tourner ses armes contre soi, et de les utiliser efficacement contre les sept peuples persécuteurs de l’âme: ce sont les sept souffles intérieurs – les sept péchés, si on veut, mais il ne s’agit pas de les anéantir, seulement de les dompter, d’en faire des vertus.
Derrière les sermons apparemment lisses, il faut, sans doute, conjecturer des connaissances ésotériques. Colomban n’y fait que des allusions: par écrit, on demeurait dans la clarté de la remontrance.
Ces Sermons rappellent les écrits de François de Sales. Les mêmes principes fondamentaux s’y trouvent, mais l’évêque de Genève est plus explicite quant à ce qu’on réservait, paraît-il, aux religieux: les vrais moyens de pénétrer les mystères, et de les méditer, et ainsi de se purifier.
La Trinité, disait-il, pouvait s’appréhender dans sa vérité par l’amour de Dieu, sans véritable science; et le premier seuil de l’initiation à Dieu passait par l’imagination, la représentation intérieure des anges et autres figures bibliques – la Colombe du Saint-Esprit, le Jugement dernier, et ainsi de suite.
On a reproché à François de Sales de révéler ces indications réservées aux prêtres. Cela rabaissait, peut-être: il en est sorti l’art baroque. L’art médiéval irlandais est, certes, plus hiératique. Plus allusif. Plus grand, peut-être. Mais moins adapté à l’homme moderne, aussi.
Du temps de François de Sales, on n’était plus soumis aux prêtres comme on l’avait été auparavant, on réclamait une liberté de choix, et d’agir par soi-même. Cette laïcisation de la vie intérieure prépare sans doute Joseph de Maistre puis le Romantisme.
Chez saint Colomban, on demeure dans les règles du monachisme: ses écrits ne sont adressés qu’à d’autres religieux. Il leur réclamait l’excellence. C’était un autre temps, glorieux en soi.
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Il nous reste, aussi, de saint Colomban, un certain nombre de lettres. Elles sont généralement adressées au pape. Or, sous une apparente soumission, elles sont pleines de reproches.
Il accuse principalement l’évêque de Rome de rester inactif face aux hérétiques et aux fauteurs de troubles, parmi lesquels il place particulièrement les Francs et leurs évêques. Il était, en effet, en conflit avec eux, à l’époque où il vivait avec ses moines dans leur empire, parce qu’il ne fêtait pas Pâques selon les mêmes règles et aux mêmes dates qu’eux.
Le vénérable Bède a évoqué en détail ce débat: nous y reviendrons. Il s’est, en effet, poursuivi un siècle plus tard en Angleterre. D’un côté étaient les tenants de Colomban, Bretons et Irlandais, de l’autre ceux de Rome et des Français.
Car le christianisme anglais avait à l’origine pour parrains à la fois les Irlandais et les Français, dont les influences se croisaient – et, souvent, se heurtaient.
Colomban laisse entendre que si le pape suit l’avis des Francs, ou du moins ne les empêche pas de persécuter les moines irlandais installés en Gaule, c’est par faiblesse, et parce qu’il a besoin d’eux pour ses intérêts, par politique. Il affirme avoir raison, tenant, dit-il, sa tradition de saint Pierre et de saint Paul, tandis que les Francs ne tiennent leurs principes que d’un penseur de bas étage dont la seule motivation est de s’écarter des Juifs et de leur pâque propre: préoccupation que lui ne partage nullement!
L’accusation lancée contre le pape de se mêler trop de politique et de soutenir pour cette raison les rois francs sera reprise, curieusement, par Dante, qui à cet égard ne mâchait pas ses mots.
Il ne blâmait pas, comme le sage irlandais, les rois mérovingiens, mais les capétiens, qu’il voua collectivement aux gémonies – en particulier Philippe-le-Bel, persécuteur des Templiers, auxquels Dante se rattachait. Toutefois il plaça les carolingiens au paradis, conformément à la tradition médiévale: on trouve sur Mars le héros Roland!
Il faut savoir que, lassés des persécutions des Francs, Colomban et ses moines se sont réfugiés en Italie. Cela peut expliquer une influence finale sur Dante.
Le sage d’Irlande se réclame souvent de l’Église de l’Ouest, c’est à dire celtique, qu’il dit pure parce que liée seulement à la Rome des apôtres, non mêlée à la politique romaine, puisque l’Irlande n’a jamais fait partie de l’Empire romain.
C’est lourd de sous-entendus. Dante, à nouveau, allait dans le même sens, reprochant au pape sa politisation, et regrettant la main mise de l’empereur Constantin sur l’Église.
À vrai dire le style de Colomban, difficile, est très allusif, plein de circonvolutions et de phrases longues. Il n’en manifeste pas moins une forte personnalité saisie dans une époque passionnante.
Quoi qu’on entende parfois dire, Colomban ne se réclame pas particulièrement des théologiens orientaux, même si les principes qu’il suit pour les fêtes de Pâques ont pour autorités des Grecs. Il s’en prend classiquement aux hérétiques, comme saint Augustin, et il cite les Pères de l’Église libéralement, leur donnant une autorité supérieure à la sienne propre.
Il s’étonne même que le pape ne fulmine pas davantage contre les sectateurs d’Arius, qui alors infestaient l’Italie (à travers les Lombards). Il ne faut pas s’imaginer que son origine irlandaise le rende particulièrement proche de la gnose, ou des néoplatoniciens, ce genre de choses: dans ses lettres, cela n’apparaît pas.
Les Irlandais sont plus latins qu’on ne croit, sans doute. D’ailleurs saint Patrice était un Breton ayant presque tout appris des Gaulois (en particulier saint Germain d’Auxerre). Ils faisaient bien partie de l’Occident.
Rémi Mogenet (12 février 2024).
Instructions et Lettres de saint Colomban: réflexions sur des textes médiévaux incontournables. Lettres du mont-Blanc. Consulté le 29 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vtp5
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Extraits des lettres de Saint Colomban
(…) N’espérez pas que les hommes vous persécutent d’eux-mêmes, ce sont les démons qui mettent dans leur cœur l’envie de vos biens, et c’est contre eux qu’il vous faut revêtir l’armure dont parle l’apôtre (Paul, Eph, 6, 13-1 ?).(…)
Voir ci-dessous
Lettres de saint Colomban (extraits)
10. Lettre au Pape Saint Grégoire le Grand : vers + 590. Polémique relative à la date de Pâques Au Seigneur saint, au Père qui est à Rome le plus bel ornement de l'Eglise du Christ et comme l...
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