10 mai 2009
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La Bible ouverte devant nous, avouons notre perplexité: vraiment, nous avons besoin d'aide. Les Pères de l'Eglise, qui l'abordent avec une liberté jubilante, sont de bons maîtres pour nous apprendre à lire l'Ecriture de manière savoureuse et polyphonique. Dans leur foulée, des Docteurs de l'Eglise, au Moyen Age, formaliseront la doctrine des «quatre sens de l'Ecriture » (voir aussi le Catéchisme de l'Eglise catholique [1992], nos 115-118, qui propose cette méthode de lecture). Voici comment saint Bonaventure (+ 1274) l'explicite : « Dans tous les livres de l'Ecriture sainte, on saisit, outre le sens littéral, celui qu'expriment les mots mêmes du texte, un triple sens spirituel: l'allégorique nous enseigne ce qu'il faut croire de la divinité et de l'humanité du Seigneur, le moral nous enseigne cornment vivre, l'anagogique comment nous attacher à Dieu. Le premier concerne la foi, le second la conduite, la troisième leur fin commune ». Un sens littéral et trois sens spirituels, cela fait quatre sens en profonde concordance pour nous aider à lire la Parole de Dieu. Bien utiles pour labourer le champ des Ecritures où le Christ demeure comme un trésor caché (cf. Matthieu 13, 44). Les trois sens spirituels « Pour l'interprétation du texte biblique, on ne doit pas négliger la lecture patristique [des Pères de l'Église - Ndlr] de l'Écriture, qui distingue deux sens : le sens littéral et le sens spirituel» a rappelé le récent synode sur la Parole de Dieu (octobre 2008). Ainsi Origène comparaît-il l'Ecriture à une amande: il faut d'abord briser l'écorce de la lettre - le sens littéral - pour parvenir au fruit savoureux du sens spirituel. Si le sens littéral du texte biblique est unique, le sens spirituel, lui, est triple : l'allégorie enseigne ce qu'il faut croire, la morale, comment agir, et l'anagogie, ce qu'on peut espérer. En d'autres termes, face à un texte biblique, c'est une bonne chose de se demander: comment éclaire-t-il ma foi (sens allégorique) ? Comment nourrit-il ma charité (sens moral) ? Comment soutient-il mon espérance (sens anagogique) ? Précisons donc chacun de ces quatre sens. Le sens littéral La première tâche est de chercher le sens littéral du texte biblique, c'est-à-dire ce que l'auteur sacré a voulu dire. Pour cela, il faut avoir égard aux genres littéraires, à la mentalité des écrivains sacrés, au contexte historique, etc. Le sens littéral n'est pas, en effet, ce qu'un lecteur d'aujourd'hui comprend spontanément, mais ce que l'auteur ancien entendait signifier. D'autant plus que le sens littéral ne correspond pas forcément au mot-à-mot du texte. Prenons un exemple. Lorsque Luc dans l'Évangile écrit: «Ayez la ceinture aux reins» (Luc 12, 35), il ne prétend évidemment pas donner un précepte vestimentaire voire interdire le port des bretelles! Le sens littéral n'est pas le sens matériel, celui d'un mot à mot fondamentaliste, mais celui qui correspond à l'emploi métaphorique des termes. «Soyez disponibles»: voilà ce que l'évangéliste veut dire, voilà donc le sens littéral. Un point essentiel: aucun texte de l'Écriture ne peut se comprendre que replacé dans la totalité de l'Histoire sainte. Alors, non seulement les mots, mais les êtres et les événements désignés par les mots, peuvent être porteurs de sens. Le sens spirituel jaillit précisément quand, une fois le sens littéral établi, le texte est appréhendé dans la Tradition vivante de l'Eglise, en tenant compte de la connexion des mystères entre eux et de l'unité du dessein divin. Par exemple, l'histoire d'Agar et de Sara (Genèse 20) lue au sens littéral est le récit historiquement situé de la servante et de la femme d'Abraham qui mettent au monde respectivement Ismaël et Isaac. Mais on peut aussi, avec saint Paul, resituer ce récit dans la totalité de l'Histoire du Salut et lui donner un sens spirituel : ces deux femmes sont une «allégorie» (Galates 4, 24) des deux Alliances, celle de la Loi (Agar la servante) et celle de la Grâce (Sarah la femme libre). Le sens allégorique Le sens allégorique est celui qui paraît à la lumière de son accomplissement par le Christ. Ainsi, saint Paul évoque le rocher que Moïse frappa au désert pour en faire jaillir miraculeusement de l'eau (cf. Exode 17). Il en dévoile le sens spirituel allégorique en disant: «Ce rocher, c'était le Christ» (1 Corinthiens 10, 4). Le fait est relu à la lumière du mystère pascal du Christ." frappé au côté droit, source jaillissante pour la vie éternelle. Le sens moral Le sens moral nous enseigne comment diriger justement notre conduite. Saint Paul donne lui-même un exemple éclairant. Il cite le Deutéronome (25, 4) : « Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain». Le sens littéral nous livre un limpide précepte de sagesse agricole : il faut permettre au bœuf qui travaille de manger. Mais saint Paul trouve à ce commandement une signification spirituelle : « Dieu se mettrait-il en peine des bœufs ? N'est-ce pas évidemment pour nous qu'il parle?» (1 Corinthiens 9, 9). Le bœuf désigne les apôtres qui ruminent la Parole et labourent le champ de Dieu et auraient bien le droit d'en retirer quelques avantages matériels. Le précepte devient donc: « Tu ne refuseras pas au prèdicateur de l'Evangile le droit de vivre de l'Évangile». C'est un sens spirituel moral. Le sens anagogique Le sens anagogique est celui, littéralement, qui nous conduit vers le haut, qui nous indique vers quoi il faut tendre: l'adhésion à Dieu. Après l'ombre de l'Ancien Testament et la figure du Nouveau viendra la vérité de la gloire céleste. Ainsi la manne était-elle l'ombre annonciatrice de l'eucharistie, mais l'eucharistie à son tour est le gage de la gloire à venir. Ou encore la ville de Jérusalem était-elle l'ombre de l'Église de la Terre, elle-même figure de la Jérusalem céleste (Apocalypse 21, 2). Les biens dont nous sommes comblés sont des richesses avant-dernières, et nous attendons les biens définitifs que le sens anagogique nous fait espérer. UNE PAROLE D’UNE RICHESSE INFINIE.. Les Pères de l'Eglise trouvaient volontiers des sens multiples aux récits bibliques jusqu'aux moindres détails. Ainsi le fil écarlate qui pend à la fenêtre de Rahab (Josué 2, 18) est-il, au sens allégorique, le sang du Christ qui nous sauve. La cruche que délaisse la Samaritaine (Jean 4, 28) signifie, au sens moral, les convoitises de la chair, qui n'ont plus cours après la rencontre du Christ. L'herbe verte sur laquelle Jésus fait asseoir les foules lors de la multiplication des pains (Marc 6, 39) est, au sens anagogique, le jardin du paradis et les frais pâturages où le Bon Pasteur nous mène... Ainsi, à l'école des Pères, le moindre texte biblique se charge d'une variété infinie de sens dont aucun lecteur n'épuisera jamais la portée. « Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes paroles, Seigneur?» s'écrie saint Éphrem (+ 373). Depuis la venue du Christ, le puits profond des Ecritures est devenu source jaillissante pour l'âme assoiffée. C'est merveilleux, retrouvant la nappe profonde des interprétations patristiques, de venir boire à cette source : « Ô toi, l'insatiable, abouche-toi sur l'Inépuisable!» (Claudel). Famille Chrétienne N° 1625 bis http://www.famillechretienne.fr |