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25 mars 2023 6 25 /03 /mars /2023 20:30

 

Dans un département durement touché par la sécheresse, une procession est partie de la cathédrale jusqu’au Têt, le fleuve qui traverse Perpignan, pour essayer de faire tomber la pluie. Une première depuis près de 150 ans

Jamais de mémoire de météorologue, les Pyrénées-Orientales n'avaient connu telle période de sécheresse. Un manque d'eau d'ailleurs inégalé en France, et qui commence à générer des décisions de restrictions historiques. En six mois, la ville a enregistré à peine 130 mm de précipitations, un seuil alarmant qui inquiète en premier lieu les agriculteurs.

Au point que l'un d'eux, Georges Puig, viticulteur à Passa, a demandé au premier vicaire de la cathédrale de Perpignan, l'abbé Christophe Lefebvre, de prier avec lui le saint des agriculteurs, historiquement sollicité pour faire tomber la pluie. Tous deux, il y a un mois de cela, se sont retrouvés à genoux devant le retable de Saint-Gaudérique (patron des agriculteurs catalans et saint catholique du IXe siècle ), en la cathédrale Saint-Jean Baptiste, pour l'implorer d'intercéder en faveur de nos cultures catalanes.

"L'abbé m'a fait prier pendant 20 minutes, j'avais mal aux genoux", retrace Georges Puig. "À la sortie, je lui ai demandé que les reliques soient mises dans la nef, puisqu'on ne peut pas y accéder. À partir de là, on a pensé les porter au fleuve comme autrefois", poursuit Georges Puig.

"Saint-Gaudérique a un culte et une dévotion vraiment très développés en Roussillon, ça fait partie de la foi traditionnelle populaire catalane", assure Cédrik Blanch, président de l'archiconfrérie de la Sanch. "Dans d'autres villages, on a toujours des processions."

« Il va falloir sortir les reliques de Saint-Gaudérique (Saint-Galdric en catalan), c’est une expression que l’on utilise souvent, un peu comme boutade. Mais c’est peut-être le moment de les ressortir », reprend ce viticulteur, fils lui-même de viticulteurs depuis dix-neuf générations. « Sans être une grenouille de bénitier, je crois dans la force de la prière. D’ailleurs, je suis d’abord allé prier devant le retable de Saint-Gaudérique, dans la cathédrale de Perpignan, après en avoir discuté avec une personne de confession musulmane. Il m’a expliqué qu’il n’était pas rare qu’ils prient pour que tombe la pluie, ça m’a décidé ».

Mais depuis, le saint agriculteur audois a semblé sourd à ces prières. D'où l'idée de restaurer l'ancienne tradition wisigothique d'une procession dédiée à son culte. 

Cette procession religieuse est une première depuis 150 ans.

Depuis 1014, ce sont pas moins de 800 processions entre Saint-Martin du Canigou et Perpignan qui ont ainsi été recensées. "À chaque sécheresse, les consuls de Perpignan envoyaient quelqu'un chercher les reliques de Saint-Gaudérique, explique le président de l'association culturelle de la cathédrale Saint-Jean, Jean-Luc Antoniazzi. Cela s'est arrêté lorsque, lors de la sécularisation de Saint-Martin du Canigou, le retable et les reliques ont été transférés à Perpignan en 1781."

Mais aujourd'hui, la situation désespérée amène certains à reconsidérer la démarche. "J'ai des réunions quasiment tous les jours avec les autorités sur le problème de l'eau, argumente Georges Puig, mais on peut en faire autant qu'on veut, il n'y a plus d'eau ni à Vinça, ni aux Bouillouses - et c'est très grave -, et les réserves de Villeneuve-de-la Raho ne tiendront pas longtemps. Les restrictions préfectorales sont déjà comparables à celle du plein été. S'il n'arrive pas un déluge pendant 3 jours, on ne s'en sortira pas. Il ne reste plus qu'à prier."

L'abbé Benoît De Roeck, curé de la cathédrale, a présidé la procession qui partait du parvis de la cathédrale en présence de représentants du monde agricole, mais aussi des confréries de la Sanch et des Saintes-Epines.

Sous un ciel chargé de nuages, le buste-reliquaire retrouve les rues de Perpignan. Sous les yeux aussi de centaines de fidèles. Une affluence à hauteur des espoirs placés dans Saint-Gaudérique. "Écoute notre supplique, patron des cultivateurs", chante la foule. Pour Xavier Piqué, ancien maraîcher, il s'agit "d'implorer Saint-Gaudérique, d'implorer le ciel pour qu'il nous donne une bonne pluie, que la sécheresse soit endiguée". 

Deux brancards ont été portés le long du parcours. Le premier exhibait la statue de Saint-Gaudérique de l'église de Saint-Hippolyte. Le second recevait le buste-reliquaire issu de la paroisse Saint-Jacques, les reliques de la cathédrale, enfermées dans une chasse vitrée, ayant été jugées trop fragiles.

Le cortège de fidèles allait par la Loge jusqu’au Castillet, franchissait le pont de Notre-Dame avant de rejoindre son oratoire, derrière le Mediator, puis de franchir le pont Joffre. Il a descendu ensuite sur les rives de la Têt, côté avenue Torcatis, pour stationner devant la passe à poissons. C'est ici que les brancardiers, dûment bottés, sont allés au milieu de la rivière. 

"La tradition voulait que la statue soit immergée, relève Jean-Luc Antoniazzi, mais à la base, elle était en argent recouvert de cire, et aujourd'hui elle est en bois doré, elle a été donc symboliquement portée sur l'eau." "C'est ensuite l'archiprêtre de la cathédrale qui procéda, selon le rituel wisigothique, à la bénédiction du territoire aux quatre points cardinaux, et ceci avec une relique de la vraie croix", souligne l'abbé Lefebvre.

De quoi logiquement réveiller le Saint trop longtemps oublié. Ce Gaudérique dont la fête, en date du 16 octobre, aurait plusieurs fois donné lieu à des débordements. Dont le tristement célèbre aiguat de 1940.

« J’ai été très touché par cette démarche qui n’est absolument pas folklorique. Mais pas très surpris en même temps, explique Benoît De Roeck, l’archiprêtre de la cathédrale Saint Jean-Baptiste. Depuis quelques années, alors que l’on pensait maîtriser la vie et les mystères de notre monde, on sent bien que l’on reste très vulnérable. Des choses nous dépassent encore et nous montrent que l’on est toujours fragile, que ce soit d’un point de vue climatique, médial, social… Cette vulnérabilité nous rappelle l’humilité à avoir et que nous ne sommes pas tout-puissants. Cette procession est un acte de foi, d’humilité, de pénitence. On se place devant Dieu pour obtenir ce qui l’est difficilement à vue humaine ». 

Il a plu quelques heures après la procession autant d'eau qu'entre janvier et février 2023 cumulés…
 

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