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19 mars 2019 2 19 /03 /mars /2019 23:55
Le renouveau du jeûne en terre chrétienne

S’inspirant librement des recommandations de l’Église pour le Carême, les catholiques pratiquent le jeûne sous des formes diverses.

Cette pratique, qui connaît aussi un intérêt croissant dans la société en général, est aujourd’hui vécue de façon plus spirituelle que rituelle.

Jeûne pour la terre, jeûne de réseaux sociaux, jeûne à base de pain et d’eau pendant une semaine… Cette pratique emblématique du Carême, longtemps jugée trop doloriste, serait-elle en train de revenir à la mode, du moins sous de nouvelles formes ?

Autrefois, le jeûne et l’abstinence tels que prescrits par l’Église catholique pendant le Carême étaient strictement réglementés.

Aujourd’hui, les fidèles sont seulement invités à s’abstenir d’un repas le mercredi des Cendres et le Vendredi saint, par exemple le déjeuner, et à manger de façon frugale le matin et le soir, mais même ce jeûne très limité n’est plus guère suivi.

Au niveau pastoral, les croyants sont davantage encouragés à réfléchir à des « efforts » de Carême. D’où une certaine prise de liberté et des adaptations aux contextes et aux personnes.

Autrefois vécu ensemble dans une société largement chrétienne, le jeûne pendant le Carême est aujourd’hui pratiqué de façon plus personnelle.

C’est pour retrouver une approche communautaire que certaines paroisses ont mis en place des « semaines de jeûne » au pain et à l’eau pendant cette période.

À Saint-Antoine-de-Padoue, au Chesnay (Yvelines), plus de 350 personnes prennent part chaque année, depuis dix ans, à cette initiative. Chaque soir, les participants viennent pour un temps de prière dans l’église, avant de repartir avec une miche de pain qui leur servira jusqu’au lendemain soir.

« Si l’on compte aussi ceux qui s’unissent spirituellement à la démarche », indique le curé de la paroisse, le père Grégoire de Maintenant, « on arrive à presque 600 personnes réunies chaque soir. Ce jeûne nous ouvre ainsi la porte de la prière, mais aussi du partage. »

Cette pratique communautaire, adaptée par rapport aux recommandations « officielles », est de plus en plus répandue. Pour Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Créteil et auteur de Comment notre monde a cessé d’être chrétien (1), elle coïncide avec le besoin, « dans certains secteurs ”néo-classiques” », de retrouver des pratiques « traditionnelles », dans une société où les catholiques sont devenus minoritaires.

Mais la plupart des fidèles s’en tiennent à des adaptations moins ambitieuses. « Pendant le Carême, j’essaie de réduire certains petits plaisirs, comme, de façon très classique, le chocolat.

Mais je vais surtout limiter mon usage du téléphone et des réseaux sociaux… », explique Louis, 33 ans, pour qui ce temps libéré servira à « être plus présent » auprès de ses trois filles. Dans la sphère catholique, le jeûne de Facebook, Twitter ou autres plateformes sociales est ainsi particulièrement en vogue, depuis le début des années 2010.

« Cela correspond à une individualisation des pratiques, qui se retrouve dans tous les domaines, y compris dans l’Église », avance Jean-François Barbier-Bouvet, sociologue des religions et auteur d’une enquête de 2010 portant sur « les nouveaux jeûneurs ».

« Il y a une nette prise de distance, notamment depuis le concile Vatican II, par rapport aux prescriptions de l’Église », confirme Guillaume Cuchet.

Ce recul du jeûne tel que prescrit par l’institution se double, en parallèle, d’un regain d’intérêt, depuis une quinzaine d’années, pour le jeûne au sein de la société dans son ensemble.

Ainsi, les sessions de jeûne, qui proposent à ceux qui le souhaitent de ne plus manger pendant plusieurs jours, en accompagnant cette démarche de méditation ou de relaxation, rencontrent un succès croissant.

« Les gens qui viennent chez nous se plaignent d’une “saturation”. Il y a “trop de tout” »,nous disent-ils. Trop de nourriture, trop de travail, trop de pression, trop d’écrans, trop de sollicitations.

Ils arrivent à bout : le jeûne pour eux est une rupture, un moyen de remettre les compteurs à zéro », assurent Dominique et Pierre, propriétaires de l’Amandier, un centre proposant des sessions de jeûne et de randonnée dans la Drôme.

Cette tendance n’est pas sans influence sur l’Église, où le jeûne semble donc revenir par des chemins détournés, inspiré par une volonté de faire le vide, de mettre une limite à la société de consommation ou par souci de la planète.

Jean-Christophe Normand, diacre depuis vingt-cinq ans dans le diocèse de Nantes, organise tous les ans des sessions de jeûne, pour la Toussaint et le Carême, en partenariat avec le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement).

« Depuis quelques années, avance-t-il, on redécouvre que la tradition chrétienne a quelque chose à nous dire de ce côté-là : face à la pollution, au rapport malsain à la nourriture, à notre impact croissant sur l’environnement. »

« Le jeûne traditionnel se dévitalise alors que le jeûne comme nouvelle pratique connaît un essor, résume le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet. En clair, on est en présence d’un jeûne moins rituel et plus spirituel. »

« Cet intérêt pour le jeûne », confirme le père Jean-Luc Souveton, prêtre du diocèse de Saint-Étienne et auteur d’un ouvrage à paraître fin mars sur le sujet, « arrive dans une société où les gens sont gavés ».

Lui-même, en tant qu’organisateur de sessions de jeûne tout au long de l’année, constate la diversité des significations que donnent les participants à cette démarche.

« Certains font le lien entre leur rapport à la nourriture et l’avenir de l’humanité sur la planète », indique-t-il notamment. Plusieurs initiatives sont ainsi apparues pour relier les restrictions alimentaires à l’attention à l’environnement.

Le mouvement Chrétiens unis pour la terre propose depuis 2013 un « Carême pour la terre », qui prône l’abstinence complète de viande et de poisson.

Cette approche renouvelée du jeûne en temps de Carême progresse. « Mais l’Église a encore du chemin à faire sur le plan de la pédagogie pour rappeler les bienfaits du jeûne, redire que le Carême demande un effort, un changement de rythme », analyse Jean-Christophe Normand.

Sans doute en réaction à des excès de formalisme, « le Carême a été très intellectualisé, spiritualisé », ajoute le père de Maintenant. « Bien sûr, jeûner de Facebook ou de paroles mauvaises, c’est bien.

Mais cela fait l’impasse sur la corporalité, qui est un aspect important pour nous aider à revenir à l’essentiel. » « Pour les générations plus anciennes, le jeûne était une chose présentée comme douloureuse, pénitentielle, triste.

Comme cela, ce n’est pas très attrayant », décrit le père Souveton. À ses yeux, le modèle à suivre pour jeûner est « celui de Jésus, c’est-à-dire celui de quelqu’un qui se sait bien-aimé du Père et qui, par le jeûne, veut se mettre en état de recevoir un don de vie ».

« Qu’est-ce que le Carême, poursuit ce prêtre, sinon un temps favorable pour se préparer à accueillir la vie, avec Pâques ? »


Le jeûne dans les autres religions
Judaïsme. Temps de la repentance, du pardon et de la réconciliation, Yom Kippour est le principal jour de jeûne pour les juifs. Les fidèles se privent de nourriture, de boisson, de travail ou encore de rapports sexuels pendant vingt-cinq heures. Outre Kippour, les juifs observent d’autres jours de jeûne, tous liés à l’histoire des Hébreux : le mois de tevêth, le « jeûne d’Esther », etc.

Islam. Quatrième pilier de l’islam, le jeûne du mois de Ramadan permet de marquer par la faim corporelle sa faim de Dieu et sa conscience de la faim des pauvres. Chacun doit s’abstenir de boire, de manger, de fumer et d’avoir des relations sexuelles du lever au coucher du soleil.

Hindouisme. Dans la religion hindoue, jeûner n’est pas une obligation mais un acte moral et spirituel, qui permet de se purifier et d’attirer les bonnes grâces des divinités. Fervent adepte du jeûne pour se libérer des contraintes du corps, Gandhi en fit aussi un signe de protestation politique.

Alice Le Dréau et Marie Malzac

(1) Comment notre monde a cessé d’être chrétien, Seuil, 288 p., 21 €.

(2) Soif de vie, jeûne et méditation. Interviewé par Adrien Bail. Nouvelle Cité, 220 p., 18 €.

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