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27 février 2024 2 27 /02 /février /2024 20:30
Peut-on vivre sans croire ? Une compréhension juive de la foi.

Participation de Delphine Horvilleur, rabbin, à l'émission "Peut-on vivre sans croire ? Delphine Horvilleur et Kamel Daoud", organisée par Le Monde des Religions et diffusée sur le site You Tube de Regards protestants (voir le lien en bas de page)

La croyance, la foi, c'est un sujet dont je déteste parler.

Ça peut vous sembler paradoxal comme rabbin.

Lorsque je participe à des dialogues interreligieux, j'ai parfois l'impression d'entendre des mots et de n'avoir aucune idée de ce qu'ils veulent dire.

Pour moi, croyance et foi font partie de ces mots-là.

Des interlocuteurs, souvent chrétiens, me disent : "Vous qui êtes une femme de foi".

J'ai alors envie de me retourner pour voir s'ils s'adressent à moi ou à quelqu'un assis derrière moi, parce que je ne comprends pas exactement ce qu'on veut dire par là.

J'évolue dans une tradition religieuse où cette notion est rarement utilisée, rarement véhiculée ; on ne sait pas exactement comment, dans le judaïsme, traduire le mot Foi ni le mot Croyance, parce qu'en réalité, ce n'est pas ça le cœur du problème.

Dieu n'est pas le cœur du problème, dans le judaïsme.

Une blague juive est l'histoire de rabbins qui débattent pendant une nuit tout entière de la question : "Est-ce que Dieu existe ?", et, au petit matin, après des heures et des heures de discussion, ils arrivent à la conclusion que non, Dieu n'existe pas.

Alors, ils vont se reposer quelques heures. Au bout de ce temps, un habitant de la ville croise ce groupe de rabbins en chemin et leur dit : "Où allez-vous ?", et les rabbins de répondre : "On va à la synagogue. C'est l'heure de la prière".

L'autre leur dit : "Je ne comprends pas ; vous avez débattu toute la nuit et vous avez conclu que Dieu n'existait pas. Pourquoi allez-vous à la synagogue ?". Et les rabbins répondent : "Qu'est-ce que cela a à voir ?".

Dans la théologie juive, on considère que la question de la foi, de la croyance, n'est pas centrale. Ce qui compte, c'est plutôt : " De quelle manière l'homme va agir ?".

De quelle manière on va s'inscrire dans un lien avec du transcendant, même si on n'est pas capable de dire comment s'appelle ce transcendant, quelle forme il va pouvoir avoir.

Une illustration de cela, c'est peut-être le fait que, dans le judaïsme, on ne sait pas comment appeler Dieu.

C'est un problème pour parler de foi et de croyance quand on n'a même pas de mot pour parler de Dieu."

Il n'y a pas de mot pour parler de Dieu

Il y a quatre lettres dans la Torah qui sont le nom de Dieu ; ce que l'on appelle, dans un langage un peu complexe, le tétragramme, et, ce tétragramme, on n'a aucune idée de comment il se prononce.

[Le Tétragramme (« mot de quatre lettres ») est composé des lettres yōḏ, hē, wāw, hē ; il est retranscrit YHWH en français. NDLR]

Ce qui est surprenant, car on dit souvent que les Juifs ont une mémoire incroyable, ce sont des champions du souvenir. Ils se souviennent de plein de moments de leur histoire, de détails incroyables.

Il se souviennent par exemple de ce qui se passait au Temple de Jérusalem avant sa destruction.

On se souvient de la manière dont le grand prêtre s'habillait, dans quel ordre il enfilait ses vêtements, combien de marches il montait et comment il procédait aux sacrifices et avec quel doigt il aspergeait l'autel et combien de fois.

Donc une multitude de détails.

Mais le nom de Dieu, on a oublié.

On ne sait plus du tout comment il se prononce. En fait, cet oubli est volontaire, car, en aucune manière on ne veut finir de le définir.

À partir du moment où vous nommez le divin, vous le définissez, et si vous définissez quelque chose, vous êtes en train de le finir, d'en déterminer les contours, de l'incarner d'une façon qui est précisément contraire à la théologie juive.

On est dans un monde de Dieu non incarné et presque dans un monde d'où Dieu s'est retiré.

Cela semble profane de dire cela et même un blasphème, mais le judaïsme évolue dans un monde où on vit avec une forme d'absence du divin - ce que les mystiques appellent le "Tsimtsoum", le retrait du divin.

Dieu se retire et les hommes entrent dans l'histoire

Dieu n'est pas dans la pleine présence, et c'est parce qu'il est ressenti comme une présence et comme une absence à la fois, comme un indicible, un indéfinissable, quelque chose dont on ne sait pas parler, que les hommes vont rentrer dans l'histoire.

Si Dieu prenait toute la place, on n'aurait pas de place pour agir.

La religiosité, c'est la façon dont les hommes entrent dans l'histoire en se racontant des histoires sacrées. C'est comme ça que je définirais le Croire.

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Croire, à la limite, c'est ne plus croire, se mettre en chemin.

Résumé : [Abraham est un croyant dans la mesure où il cesse de croire. Il cesse de croire dans les traditions de son lieu de naissance et il est appelé à partir, il quitte la foi de ses pères. Il est nomade, il traverse des pays, il devient hébreu, 

C'est le sens propre du mot Hébreu : celui qui passe, qui traverse. Dans ce sens, croire c'est se mettre en mouvement, c'est ne plus croire [en ce en quoi on croyait[, c'est s'arracher. 

Les institutions religieuses ont trop souvent oublié cela en prônant une sorte de sédentarisation de la foi.]

Abraham a volontairement perdu son identité, il n'est plus identique.

Et cela se rejoue par la suite, car l'Égypte est un lieu que l'on a quitté et vers lequel on ne retournera pas.

Jésus incarne le départ d'une famille biologique pour aller vers un destin spirituel.

Et l'islam commence à compter le temps à partir du moment où Mahomet se met en route.

On s'est choisi des héros qui disent : "Je ne crois plus à ce qu'on croyait avant moi".

Dès lors, la question que tout croyant devrait se poser, c'est : "Qu'est-ce que ça veut dire d'être leurs héritiers ?".

Être leurs héritiers, en principe, n'est pas obéir de façon aveugle à ce qu'ils ont commandé, mais c'est être capable de reproduire leur geste.

Être un enfant d'Abraham, c'est être capable de lui faire, un peu, ce qu'il a fait à son père, c'est-à-dire de se mettre en chemin."

Tous les fondamentalismes partagent une obsession de la sédentarité de l'âge d'or.

Ce qui est troublant, c'est que les intermédiaires - l'establishment religieux - sont les champions de la reproduction à l'identique.

Ce sont des gens qui disent : "Surtout, sédentarisez-vous dans vos croyances, ne bougez pas du monde et des fictions qui ont été fixées, figées et codifiées avant vous."

La fiction par excellence de tous les fondamentalismes, c'est celle qui consiste à dire : "C'était vachement mieux avant ! Revenons à l'âge d'or d'un bon vieux temps qui a été perturbé ou altéré par notre rencontre avec l'Occident, avec les autres, avec les femmes, etc.

C'est troublant de voir comment tous les fondamentalismes partagent une obsession de la sédentarité de l'âge d'or.", DH.

[D'autres idées intéressantes sont à écouter dans la vidéo ci-dessous, qui dure une heure et quart]

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[NDLR - Dans le judaïsme, la notion d'Émouna, par exemple, serait souvent traduite, à tort, comme foi en Dieu, croyance, fidélité. L'auteur propose : "force de vie"]

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Delphine Horvilleur, rabbin.

Après des études de médecine interrompues à l’Université hébraïque de Jérusalem, Delphine Horvilleur a étudié le journalisme à Paris, et, plus tard, a entrepris des études rabbiniques à New York. 

Delphine Horvilleur a été mannequin, puis a travaillé comme journaliste, entre autres, à la rédaction de France 2, et comme correspondante d'une radio communautaire à New York.

Ayant fini, pendant son séjour à New York, ses études rabbiniques au Hebrew Union College, appartenant au mouvement réformé, elle est nommée rabbin à 34 ans, en 2008, au Mouvement juif libéral de France.

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