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29 juin 2018 5 29 /06 /juin /2018 22:55
La victoire sur la mort, dans ce corps, dans cette vie

«La victoire sur la mort est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant»

Mis à part le christianisme, aucune autre religion ne parle de Résurrection.

Qu’est-ce que la Résurrection du Christ a représenté pour le monde antique et païen et comment les Saints Pères ont mis en lumière cet événement dans leurs écrits?

L’affirmation d’une résurrection des morts a représenté une nouveauté radicale par rapport au courant de pensée dominant du monde antique, représenté notamment par le platonisme, qui valorisait l’âme exclusivement et considérait que la vie après la mort ne pouvait être que la vie de l’âme seule, libérée du corps qui n’était pour elle qu’une prison le temps de cette vie terrestre.

L’anthropologie chrétienne a toujours considéré que l’homme est constitué d’une âme et d’un corps indissociablement, et que le corps a une valeur autant que l’âme, car il a lui aussi été créé par Dieu, porte Son image, est appelé à participer à la vie spirituelle, à recevoir la grâce divine et même à être déifié.

Cette valorisation du corps en tant que constitutif de la nature humaine a été confirmée au plus haut niveau par le fait que le Verbe, le Fils de Dieu, en S’incarnant a pris non seulement une âme, mais un corps.

Sa dimension spirituelle, son aptitude à être déifié sont quant à elles soulignées dès l’origine par saint Paul: «Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu? Et que vous ne vous appartenez pas? Glorifiez donc Dieu dans votre corps» (1 Co 6, 19-20).

Cette anthropologie a non seulement été défendue par les premiers Pères de l’Église (en particulier saint Irénée) contre les courants platoniciens et gnostiques qui méprisaient le corps, mais aussi au XIVe siècle par saint Grégoire Palamas qui a fortement souligné la participation du corps à la vie spirituelle – dès ses premiers degrés, dans l’ascèse et la prière – jusqu’en son plus haut degré – la vision de Dieu–, et le fait qu’il est déifié au même titre que l’âme.

La foi en la résurrection fut quant à elle défendue par les premiers Pères, contre les intellectuels de l’époque qui la jugeaient scandaleuse et la raillaient. On en trouve une apologie développée dans le Contre Celse d’Origène, et surtout dans le traité Sur la résurrection des morts d’Athénagore.

Sur la Croix la vie semblait engloutie par la mort. Mais, en Christ, la mort «en entrant en Dieu est consommée», elle se dissout en Lui, car «ne trouve aucune place pour elle là-bas».

Qu’est-ce que nous pouvons faire, en tant qu’êtres mortels, pour que la mort ne puisse plus nous toucher, pour que nous soyons semblables au Seigneur, en tant que «vases» où la mort ne trouve plus d’abri?

La victoire sur la mort n’est pas seulement, comme on le croit souvent, une victoire physique, qui se manifeste dans la résurrection future. C’est avant tout une victoire spirituelle qui se manifeste dès maintenant: le Christ sur la Croix a vaincu le pouvoir que la mort a sur nous par la crainte qu’elle nous inspire, et le pouvoir que le diable a sur nous par le moyen de cette crainte. 

C’est l’enseignement même de saint Paul, qui affirme que le Christ, en participant à notre nature, avait pour but «d’affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort» (He 2, 15).

Et Théodore de Mopsueste et saint Jean Chrysostome en particulier ont noté que les hommes développent en eux les passions comme une tentative de vivre intensément et d’échapper à la mort, ce qui est évidemment une double illusion.

Ces idées trouvent aussi un fondement dans les paroles de saint Paul qui, face à la victoire du Christ sur la mort s’écrie: «Ô mort, où est ta victoire? où est ton aiguillon?» (1 Co 15, 55).

En nous unissant au Christ, nous pouvons recevoir cette grâce qu’Il nous a acquise: non seulement dépasser la mort physique par la résurrection future, mais avant cela n’être plus dominé spirituellement par la mort, notamment à travers la crainte qu’elle nous inspire, et par là devenir libre par rapport à nos passions qui nous attachent à notre vie biologique et à ce monde.

La Résurrection opère un changement fondamental dans la nature déchue, en ouvrant une possibilité énorme: la sanctification de la mort elle-même. 

Dans le Patriarcat roumain, l’année 2017 a été dédié à tous ceux qui ont témoigné de l’Orthodoxie durant l’oppression communiste. Comment ont-ils réussi, par le dépassement de la peur et de la douleur physique, de sanctifier leurs propres morts? Qu’est-ce que la mort a signifié pour eux?

Je ne sais pas si l’on peut parler d’une sanctification de la mort: le tropaire de Pâques dit que le Christ «par Sa mort a vaincu la mort» et saint Jean Chrysostome y voit «la mort de la mort».

La mort qui signifiait avant cela l’anéantissement de toute chose devient elle-même un néant; elle cesse d’être une fin pour devenir le simple point de passage d’un mode de vie à un autre.

Quant aux martyrs, ils nous donnent l’exemple de chrétiens qui, par la foi dans le Christ et l’union étroite à Lui, ont dépassé la peur de la souffrance et de la mort.

Elles n’ont plus de pouvoir sur eux, ni le diable ni le péché qui agissent en s’appuyant sur elles. Ils les affrontent non seulement de plein gré, mais de bon gré.

Mais cela, chaque chrétien est appelé aussi à le réaliser par la vie ascétique (que certains Pères qualifient de martyr progressif et non sanglant): elle nous apprend à nous familiariser avec la souffrance (dans les peines volontaires de l’ascèse que nous recherchons – comme le jeûne, les veilles, le travail fatigant, et toutes les formes de renoncement –, ou dans les peines involontaires que cette existence terrestre nous impose – comme les maladies – mais que nous acceptons de bon gré); elle nous apprend aussi à nous familiariser avec la mort (dans ce que les Pères appellent la «mémoire de la mort», mais aussi dans le processus de mortification du «vieil homme» [Rm 6, 6; Eph 4, 22]; Col 3, 9] qui est l’homme soumis, par le biais de ses passions, aux déterminismes biologiques et sociologiques).

À partir du moment de la victoire du Christ sur la mort, la Résurrection est devenue la loi universelle du monde créé, surtout pour l’homme.

On pourrait dire que notre salut est garanti à 100%. Et pourtant, ce n’est pas ainsi, car nous tombons souvent dans le péché.

Quel est le rôle de la pénitence, des larmes, de ce baptême d’après le baptême? Peuvent-elles faire en sorte que la Résurrection nous soit plus proche?

Attention: il ne faut pas confondre résurrection et salut.

Tous les hommes, quelle que soit leur qualité spirituelle, ressusciteront (cf. Ac 24, 15), c’est-à-dire retrouveront leur corps (quoique sous un nouveau mode d’existence). 

Après le Jugement, certains mèneront une vie paradisiaque avec ce corps, d’autres subiront les peines de l’enfer avec ce corps.

La vie éternelle est certes une grâce, mais elle sera accordée à tous les hommes; cependant, selon les choix qu'ils auront fait au cours de leur vie terrestre pour ou contre Dieu, pour certains, comme le dit saint Maxime le Confesseur, ce «toujours-être» sera un «toujours-être-bien» (celui de la vie paradisiaque), tandis que pour d’autres ce sera un «toujours-être-mal» (celui de la vie infernale).

Mais c’est effectivement à travers la purification de nos péchés (et avant tout de nos passions qui en sont la source) et à travers la pratique corrélative des vertus que nous trouvons le salut.

Ces deux aspects sont contenus dans la pratique des commandements divins, qui ne sont pas des règles morales ni des lois, mais des préceptes qui nous permettent de nous assimiler au Christ dans notre mode d’existence (c’est-à-dire dans les actes, dispositions et états de tout notre être).

La pénitence joue un rôle de premier plan dans ces deux phases de la vie spirituelle, car la pénitence ne consiste pas seulement à pleurer sur les fautes passées ou présentes, mais à vouloir fermement s’améliorer dans l’avenir et dès maintenant.

C’est fondamentalement un processus de conversion (ce que marque bien son nom grec, metanoia, qui signifie littéralement changement de mentalité).

Ce processus (qui doit être actif en permanence) nous permet de nous désolidariser du mode de vie déchu (selon les passions et les péchés qui en découlent) pour nous attacher au mode de vie selon le Christ.

Même pour les chrétiens de nos jours, la Résurrection représente plutôt une espérance, une croyance. Comment pouvons-nous faire en sorte qu’elle devienne une réalité présente dans nos âmes?

La résurrection signifie positivement pour l’homme la possibilité de vivre éternellement en Dieu dans tout son être – âme et corps.

Cette vie, qui sera celle des justes après le Jugement, peut et doit être anticipée: dans l’Église, nous pouvons vivre les prémices du Royaume des cieux à la mesure de notre développement spirituel en Christ.

On voit comment chez les saints le corps témoigne déjà ici-bas d’une nouvelle vie, donnée par la présence en lui des énergies divines (dont les icônes et les reliques manifestent le rayonnement et la force).

Grâce à la résurrection future, la mort n’est pas une fin définitive de la vie spirituelle que nous menons ici-bas avec tout notre être, ni le commencement d’un mode de vie définitif sans le corps.

Elle ne rompt pas fondamentalement la continuité de la vie spirituelle que nous commençons à mener ici-bas dans l’Église. La vie dans le Royaume ne sera pas une vie radicalement nouvelle, mais une restauration et un renouvellement (de la vie de l’âme avec le corps) et un accomplissement (de la vie spirituelle qui trouvera alors sa plénitude).

Dans votre ouvrage La vie après la mort selon la Tradition orthodoxe, vos tout premiers mots touchent au mystère de la mort, la seule chose incontournable de notre vie, dont on ne connaît ni ce qu’elle est, ni où elle nous conduit. On pourrait continuer, en s’exclamant: «Infiniment plus accablant est le mystère de la Résurrection!» Pourquoi le Christ ne parle pas de manière plus développée sur Sa Résurrection, mais seulement annonce aux Apôtres qu’Il sera tué par les juifs et ressuscitera le troisième jour? Pourquoi n’a-t-Il pas révélé aux vivants les mystères de l’au-delà?

Parce que Dieu fera «toute chose nouvelle» (Ap 21, 5), qu’il y aura alors «des cieux nouveaux et une terre nouvelle» (Is 65, 17; Ap 21, 1), nous ne pouvons pas vraiment comprendre à partir de notre condition déchue actuelle ce que sera notre vie future, mais seulement en avoir des aperçus.

À la Résurrection nous retrouverons notre corps (et non un corps étranger) mais il existera selon un mode nouveau, du fait notamment qu’il sera moins matériel, plus subtil, et ne sera plus soumis aux déterminismes spatio-temporels auxquels sont soumis dans le monde actuel toutes les choses matérielles.

Il ressemblera au corps qu’avait Adam à l’origine (ce que nous ne pouvons pas non plus précisément connaître) et au corps qu’avait le Christ ressuscité, lequel avait des propriétés surnaturelles puisqu’il pouvait se trouver en plusieurs lieux à la fois, parcourir en un instant de grandes distances, ou franchir les portes closes ou les murs (Jn 20, 19 et 26)…

Ce corps qui sera aussi le nôtre est ce que saint Paul appelle le «corps spirituel» en le distinguant du corps psychique ou animal (cf. 1 Co 15, 35-50).

Le Christ a dit: «Je suis la Résurrection et la Vie: celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra» (Jn 11, 25), et l’écrivain ecclésiastique Athénagore l'Athénien conclut son œuvre Sur la résurrection des morts, en disant: «S’il n’y avait pas de résurrection, l’homme ne pourrait lui-même non plus durer.»

Quel est le rôle du corps, de la matière, dans le fait de la Résurrection? Le Christ est ressuscité avec Son corps, et nous, par la communion eucharistique, c’est-à-dire par Son corps ressuscité, avons la communion avec l’immortalité. Parlez-nous sur l’importance du corps au sein du christianisme.

C’est un vaste sujet, car le christianisme depuis l’origine a eu à lutter contre des courants de pensée assez forts qui dévalorisaient le corps.

Pour le platonisme et pour les différents courants gnostiques de l’Antiquité, l’homme c’est l’âme seulement, ou même seulement la partie la plus noble de celle-ci l’intellect (nous en grec).

Selon eux, l’homme vivait à l’origine en tant que pur esprit dans un état de perfection qu’il a perdu; sa déchéance a consisté pour lui à tomber dans le monde matériel, son âme entrant dans un corps qui est devenu pour elle une prison; la philosophie (comprise dans un sens éthique) consiste alors à détacher l’âme du corps en s’élevant par l’esprit au-dessus du monde matériel.

Pour le courant gnostique (qui a pris une grande variété de formes dans l’Antiquité et jusqu’à une époque récente dans diverses sectes), la matière, et donc le corps, c’est le mal.

Dès les premiers temps, les Pères se sont attaché à montrer que l’homme ce n’est ni le corps seulement ni l’âme seulement, mais les deux ensemble, indissociablement.

Si Athénagore dit que «s’il n’y avait pas de résurrection, l’homme ne pourrait lui-même non plus durer», c’est parce que l’homme n’est pas durablement concevable sans son corps; le corps est une partie de l’être humain; comme le dit saint Irénée, l’homme sans son corps n’est plus vraiment homme.

Les Pères soulignent que pour le christianisme, l’homme tout entier, corps et âme, est appelé à être sauvé et déifié, que le corps et la matière en général ne sont pas mauvais, mais que ce qui est mauvais c’est l’attachement passionnel à la matérialité et à l’apparence sensible des choses.

Les Pères, à la suite de saint Paul n’opposent pas l’âme au corps, mais ce qui est spirituel à ce qui est charnel, or le corps et l’âme sont tous deux susceptibles d’être spirituels ou charnels, selon qu’ils sont unis à Dieu ou à ce monde.

C’est dans la théologie de saint Grégoire Palamas que le corps a été le plus fortement valorisé dans sa fonction et son destin spirituels: le docteur hésychaste souligne la forte implication du corps dans la prière et dans la vie ascétique en général, mais aussi dans la vision de Dieu et la participation à la vie bienheureuse en Dieu.

Mais évidemment il n’a pas été le premier à le faire. Saint Maxime le Confesseur par exemple évoque «l’homme tout entier divinisé par la grâce du Dieu fait homme qui l’a créé, qui tout en restant homme tout entier, âme et corps, à cause de la nature, devient dieu tout entier, âme et corps, à cause de la grâce et de la divine splendeur qui lui convient entièrement, de la gloire bienheureuses au-dessus de laquelle on ne peut rien concevoir de plus sublime» (Ambigua à Jean, 7, PG 91, 1088C).

 

Interview de Jean-Claude Larchet dans «Lumina de Duminică» , version hebdomadaire du quotidien de l'Église roumaine «Ziarul Lumina» sur le sens de la Résurrection
parue dans  Orthodoxie.com le 17 avril 2017  

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