« Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous », dit saint Paul (1 Co 3,16).
Chaque homme est appelé à devenir ce temple. C’est la vocation fondamentale du chrétien. Pour devenir cette maison du Dieu Vivant, il doit toujours porter en lui le Nom de Dieu : « Je consacre cette maison que tu as bâtie, en y plaçant mon Nom à jamais ; mes yeux et mon cœur y seront toujours » (1 Ro 9,3).
A travers la Bible, l’invocation du Nom de Dieu est source de salut ( Jl 3,5). Dans le Nouveau Testament, les choses sont encore plus concrètes, tangibles : le Nom salvateur par excellence qui nous a été donné et révélé est celui de notre Seigneur Jésus-Christ (Ac 4,12).
Au début, durant les temps apostoliques, les chrétiens étaient appelés « ceux qui invoquent le Nom de Jésus » (Ac 9,21), en tout lieu et en tout temps (1 Co 1,2). Cela, afin de cultiver leur paradis intérieur, de garder le feu reçu à la Pentecôte.
Mais, comme le précise saint Paul, pour être agréable à Dieu et porter du fruit, cette invocation du Nom doit être faite d’un cœur pur (2 Tm 2,22).
L’Eglise orthodoxe est restée fidèle à cette tradition. Dans la filiation des premiers moines – les Pères du désert –, des saints ascètes et des auteurs de la Philocalie, elle invite les disciples du Christ à cette invocation continuelle du Nom de Jésus-Christ
Cette prière peut sembler extrêmement simple.
Théoriquement, elle l’est. Mais pratiquement, elle est difficile.
Car nous sommes divisés intérieurement : la tête et le cœur, l’âme et le corps, la pensée et la vision ne sont pas unifiés.
Nous vivons avec notre tête séparée du cœur. Notre esprit est comme une girouette agitée par le vent. Nous ne sommes jamais en paix.
L’invocation du Nom est un remède contre cette division de l’être et cette agitation mentale. C’est une grande science que nous devons apprendre toute notre vie. Imprimer le Nom du Christ dans notre cœur et le faire résonner sans arrêt dans notre poitrine est à la fois une grande prouesse et un don de la grâce.
Le but de la prière est de rendre l’homme capable de vivre dans la présence du Dieu Vivant. Car cette présence est extrêmement bénéfique. Elle est thérapeutique. Elle nous purifie. Elle nous sauve.
Son pouvoir consume l’esprit de méchanceté en nous. Il guérit l’intellect et le cœur de l’homme. Il unifie l’être.
Dans cette unité, le désir de Dieu possède la personne dans toutes les dimensions de son être et de son existence. L’homme n’a plus qu’un seule pensée, un seul désir, une seule aspiration : vénérer Dieu en esprit et en vérité comme l’Un de la Sainte Trinité.
Il poursuit, atteint cet état surtout à travers la prière de repentir, la prière dite « de Jésus » ou « prière du cœur »: « Seigneur JésusChrist, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. »
Là où est le Nom de Dieu, là est sa présence.
Ce Nom, pour nous chrétiens, est inséparable de la personne de Jésus-Christ.
Le secret qui rend la prière de Jésus efficace et féconde est l’attention et l’humilité.
Dite ainsi, elle attire la puissance de l’Esprit saint. Dans la pratique de cette prière, deux parts doivent être unies, harmonisées.
L’une de ces parts est petite, l’autre est grande. La petite part, c’est l’effort de l’homme pour rendre le cœur prêt à recevoir la grande part qui est la grâce de l’Esprit saint, grâce sans laquelle l’homme ne peut rien.
Il y a là toute une synergie. Jésus-Christ justifie le Créateur par son amour infini. Il justifie également l’homme, car Il a montré et réalisé l’image de l’homme parfait qui plaît au Père.
Dieu nous donne sa grâce à la mesure de notre reconnaissance envers Lui. Autrement dit, nous ne possédons que ce que nous reconnaissons avoir reçu de Lui.
La prière de Jésus est une prière d’une seule pensée. Sa simplicité est justement ce qui la rend si exigeante.
En enfermant l’esprit dans les mots de la prière ou plutôt dans la partie supérieure du cœur, nous évitons l’action dissipante de l’imagination et l’attachement aux réalités éphémères de ce monde.
Nous contraignons le cœur et l’esprit à vivre avec la seule pensée de Dieu, accompagnée de repentir.
Cet effort ascétique a pour vertu de rendre le cœur contrit, sensible, plein d’une douleur spirituelle.
Cette souffrance, à son tour, attire l’intellect, le fait descendre dans le cœur.
L’intellect et le cœur sont alors unis, renforcés par la grâce ; notre cœur devient véritablement le centre de notre être. « D’un cœur brisé, Dieu n’a point de mépris » (Ps 50,19). Et un cœur contrit est sans pensées.
Par ses efforts et la grâce de Dieu, la synergie entre sa volonté et celle de Dieu, l’homme est ainsi guéri, restauré dans son intégrité première.
Par ce processus de guérison, qui passe par l’unification de l’esprit et du cœur, il revient à un état « normal », naturel : celui d’Adam au paradis, de l’homme avant la chute. Détaché des biens matériels, il devient capable d’accomplir le grand commandement évangélique : aimer Dieu de tout son cœur, de tout son esprit et de tout son être, et son prochain comme soi-même.
Pour arriver à l’état d’unification intérieure, pour mettre le cœur dans une juste disposition, il n’y a qu’un moyen : le repentir, la métanoïa.
Par le repentir, nous nous voyons tels que nous sommes. Si nous étions capables de voir toutes les impuretés de notre cœur, tout ce qui en nous nous sépare de Dieu, nous rend opaques à l’action de l’Esprit saint, notre zèle spirituel et notre désir de purification intérieure exploseraient.
Ici aussi, l’humilité est la clé. Elle nous préserve de la tentation du désespoir quand nous voyons notre néant et notre état misérable.
Elle nous permet d’éviter de nous enorgueillir quand nous sentons la force du Nom et l’action de l’Esprit saint en nous.
Dans ce processus, qui est une lutte, nous sommes « initiés » à la vie mystique en Christ. Nous voyons tout ce qui existe à travers cette Présence, dans la lumière de l’Esprit.
Nous apprenons à discerner, de plus en plus finement, aussi bien les mouvements de notre cœur qui nous ouvrent à l’amour que les passions et les pensées étrangères à l’esprit du Christ qui nous séparent de Dieu.
Notre capacité de vigilance augmente. Le mal, les pensées passionnées continuent certes de nous environner, de nous attaquer, mais elles ne peuvent plus pénétrer dans notre cœur.
Ainsi, la prière et toute notre vie – intérieure et extérieure – qui en découle, concourt à notre sanctification par l’amour dans l’Esprit.
La sobriété de l’esprit redevient naturelle en nous, car Celui qui trône dans le cœur, qui est en nous, est
« plus grand que celui qui est dans le monde » (1
Jn 4,4).
La prière, par l’action de la grâce, nous aide, nous apprend à transformer nos états psychiques en états spirituels.
Imaginez qu’un ami vous trompe, vous frappe ou répande des calomnies sur vous.
Vous êtes profondément blessé, triste, déçu. Vous souffrez. Qu’allez-vous faire de cet état émotionnel, de ces énergies psychiques négatives qui travaillent en vous ?
Si vous en restez-là, à les ressasser, cela ne sert à rien ; vous vous ferez souffrir encore davantage, inutilement.
Vous resterez dans la logique du vieil homme, qui conduit à la mort.
Par la puissance du Nom, vous pouvez réorienter ces énergies, les retourner du bas vers le haut, les transformer.
Certes, la blessure que l’autre vous a infligée ne disparaît pas ; elle demeure, mais vous en oubliez le comment.
Vous oubliez d’où est venue cette énergie négative, qui vous l’a donnée.
Votre cœur reste triste, contrit, vous continuez à souffrir, mais de psychique votre souffrance devient spirituelle ; d’humaine, elle devient divinohumaine, transfigurée par la grâce. Alors, vous pouvez dire, en vous adressant au Père :
« Tu as vu que j’étais dans un état de paresse spirituelle, d’autosatisfaction, de sommeil, et tu as envoyé mon frère comme un ange pour me réveiller. Je te rends grâce pour ta bienveillance. Par les prières de mon frère qui m’a blessé, Seigneur, aie pitié de moi et sauve-moi ! »
Nous devons apprendre à retrouver notre cœur profond, à vivre avec lui, en lui. C’est essentiel.
Car la parole de Dieu s’adresse d’abord au cœur, et si nous n’apprenons pas à vivre dans notre cœur, comment pourronsnous la comprendre ?
Sans la purification du cœur, l’Evangile reste un livre fermé. Vivre selon les commandements du Christ, c’est porter la parole de Dieu dans notre cœur pour qu’il s’enflamme.
Il en va de même pour la liturgie eucharistique. Pour célébrer ce grand mystère, il faut un cœur brûlant comme le Buisson ardent ; si nous ne vivons pas dans notre cœur, si notre cœur ne brûle pas pour le Christ, comment voulons-nous comprendre la fraction du pain ?
L’Archimandrite Sophrony définissait la prière comme une « création infinie ».
La prière pure est la prière qui est propre à celui qui a réalisé la ressemblance de Dieu. Par l’invocation du Nom, l’homme – créé originellement à l’image de Dieu – justifie son Créateur qui a déposé dans sa nature le germe d’une gloire et d’une paix, d’une beauté et d’un amour infinis.
Par cette prière, on peut devenir si proche du Seigneur, si plein de son Esprit, si enveloppé de son amour, qu’on entre dans la Lumière incréée, où l’on ne sait plus si l’on est hors ou dans son corps.
On commence par de petites choses, mais, à force d’attention, de persévérance et de patience, on peut devenir comme des anges devant le trône de Dieu qui glorifient le Seigneur jour et nuit, sans repos.
Les anges ont un tel désir de Dieu qu’ils n’ont qu’une pensée, qu’une volonté: s’unir à Lui et l’absorber de tout leur être.
Par l’invocation du Nom de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, un humble esprit est établi dans le cœur profond.
Alors est renouvelé en nous l’Esprit d’adoption qui crie dans notre cœur : « Abba, Père » (Rm 8,15).
Quand l’Esprit de Dieu prie en nous, quand Il « intercède pour nous en des gémissements ineffables » (Rm 8,26), nous devenons des enfants de Dieu. La vraie prière est engendrement, filiation.
Ainsi l’invocation du Nom, d’un cœur pur, devient le but de tout chrétien.
Par elle, la présence de Dieu règne dans l’homme.
Par cette présence, il devient la montagne ou le temple de Dieu. Et le temple de Dieu est saint, « et ce temple, c’est vous » (1 Co 3,17).
Quand le Nom est dans le cœur, on a tout, car Jésus-Christ est présent.
Hiéromoine Zacharie Reproduit de la revue Itinéraires : Recherches chrétiennes d'ouverture (Le MontsurLausanne, Suisse), No. 23, 1998.
Prêtre et moine d’origine chypriote, le père Zacharie vit au monastère Saint-Jean-Baptiste (Essex, Angleterre), fondé en 1959 par l’Archimandrite Sophrony (1896-1993) qui était lui-même le disciple du starets Silouane (1866-1938), canonisé en 1987 par le Patriarcat de Constantinople. Il vient de soutenir une thèse sur le Principe de l’Hypostase (la Personne) dans les écrits spirituels de l’Archimandrite Sophrony à la Faculté de théologie de Thessalonique (Grèce).
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