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16 mai 2023 2 16 /05 /mai /2023 19:30

Le mois dernier, nous prétendions que la seule invocation du « sacré » ne saurait nous sauver, qu’au contraire mal comprendre ce que désigne ce terme serait ajouter à la violence du monde.

Le centenaire de la naissance de René Girard, anniversaire qu’illustre notamment un livre de Bernard Perret, nous permettra d’approfondir cette intuition.

Pour qui l’ignore, René Girard est ce critique littéraire qui, mettant au jour dans la littérature mondiale le principe de « réalité mimétique » qui veut qu’on se prenne inconsciemment à désirer son rival en tant qu’on veut lui ressembler pour acquérir l’objet qu’il désire aussi – le triangle du désir –, a ensuite compris que ce principe se retrouvait dans toutes les sociétés archaïques où c’est sur le « bouc émissaire » que se reportait la violence mimétique de la foule, créant ainsi la notion de sacrifice qui servirait à apaiser les guerres intestines d’une collectivité.

Ainsi, écrivait-il, le sacré est « l’ensemble des postulats auxquels l’esprit humain est amené par les transferts collectifs sur les victimes réconciliatrices, au terme des crises mimétiques ».

Mais cela ne sont que les deux premiers pas de sa pensée qui culmine dans sa conversion au christianisme lorsqu’il se rend compte, dans le courant des années 70, que cette pratique du bouc émissaire se retrouve partout sauf dans les Évangiles où Jésus « dévoile » cette pratique de la violence commune, en s’offrant lui-même comme victime.

Ainsi, son sacrifice a-t-il définitivement rompu cette antique conséquence du péché, précédé évidemment en cela par les prophètes : toute la révélation divine contenue dans les Ancien et Nouveau Testaments constituerait donc une « démystification du sacré ».

Comme le dit justement Bernard Perret, à défaut de la faire disparaître, il s’agit surtout de « stériliser la violence », en refusant de continuer à croire qu’elle puisse être productrice de quelque ordre désirable que ce soit.

Mais ce faisant, la mort et la résurrection du Christ ont des résonances inouïes, évidemment pour le salut mais même, en l’occurrence, pour l’anthropologie : « Allez donc apprendre le sens de cette parole : c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice », dit Jésus (dans Mt, 9, 13), citant le prophète Osée.

Ainsi, la pratique du sacrifice doit disparaître, tout entière absorbée dans celui du Christ, que nos prêtres réactualisent, de manière non sanglante, chaque fois qu’ils célèbrent la messe.

C’est le même, le seul, le paradoxal Sacrifice, celui qui renverse et annule tous les autres en montrant leur inanité, c’est, ainsi que le veut notre foi, un « faux » sacrifice pour le monde parce que le seul vrai dans l’économie du Salut. Scandale pour les juifs, folie pour les païens, etc.

Conséquences pour nos vies

Et de cela, les conséquences sur nos vies sont innombrables, à tel point que l’on risque d’être noyé sous ces effets, et que c’est le rôle de la barque de Pierre que de nous guider : cela suppose que plus jamais l’on puisse prononcer les paroles de Caïphe, « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple », cela implique que nos bâtiments religieux, églises, cathédrales, ne soient plus conçus comme le lieu sacré au sens de l’ancien Temple, où l’on n’entre pas sans certain effroi, mais qu’au contraire elles soient le lieu de tous, où nul n’ait besoin de se couvrir la tête ni de se déchausser, sinon devant le pauvre qui est l’image vivante du Dieu partout crucifié sur les murs.

Cela implique qu’il ne faille plus, plus jamais, rivaliser avec le vrai-faux sacré du voisin et que peu nous chaulent les incitations de certains identitaires qui n’ont rien compris à notre foi d’en faire la démonstration ostentatoire tel le premier musulman venu.

Cela implique qu’on ne puisse plus jamais supposer que la mort de quelques centaines de milliers de vieux soit le dommage collatéral de la continuation de nos vies en cas de crise sanitaire, comme si de rien n’était.

Cela rejoignant évidemment cette culture de vie que nous a apprise Jean-Paul II, dans laquelle aucun innocent, ni même aucun coupable (car qui est coupable ?

Sinon nous tous, qui sommes aussi tous sauvés) ne peut être « sacrifié ».

Parce que tout a déjà été accompli, il n’y a plus de sacré antique.

Seulement de la sainteté, cette grande aventure.

Jacques de Guillebon

Bernard Perret, Violence des dieux, violence des hommes. René Girard, notre contemporain, Seuil, 2023, 380 pages, 25 €.

LA NEF n° 358 Mai 2023
 

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