Existe-t-il une morale en dehors des conventions sociales inventées par l’Homme ?
Dans sa démonstration magistrale de l’existence d’une Loi naturelle, l’écrivain C.S. Lewis interpelle le lecteur : « Vous est-il arrivé d’entendre des gens se quereller ? »[1]
Après cette simple question, tout le monde répond « bien sûr » par l’affirmative et se retrouve pris dans le raisonnement de l’auteur : Nous pouvons apprendre une leçon importante en écoutant ce que les gens disent quand ils s’insurgent : « Tu aimerais qu’on te fasse la même chose ? C’est ma chaise, j’y étais avant toi ! Allez, tu l’as promis !” ».[2]
Dans la citation ci-dessus, on remarque immédiatement que le plaignant (et nous le faisons tous) fait toujours appel à quelque chose qui est extérieur à la dispute. *
Il ne fait pas que dire « ton comportement me déplaît ». Non, c’est comme si l’attitude de la personne que l’on a en face de soi contrevenait à une conduite implicite que le vis-à-vis n’est pas censé ignorer.
Et celui qui est accusé se justifie à son tour par rapport à cette règle implicite : « Il prétend que dans ce cas particulier la personne n’avait pas à garder son siège ou qu’un événement fortuit l’a empêché de tenir sa promesse… Manifestement, les deux parties ont à l’esprit une sorte de loi ou règle de franc-jeu ou de bonne conduite sur laquelle ils se basent. »[3]
Agir selon des règles implicites
Lewis en vient à la conclusion que le monde entier agit tout le temps comme si des règles du jeu universelles existaient de manière implicite.
À moins de souffrir d’un dérèglement pathologique grave, personne ne va jamais vouloir faire le mal sciemment.
Tout le monde va toujours essayer de mettre la « règle de franc-jeu » de son côté.
En général personne ne saute à la gorge de son voisin ou de son collègue de manière instinctive, comme un animal dont l’instinct dicte le comportement.
La plupart des gens vont plutôt essayer de montrer qu’ils ont droit à ce qu’ils demandent car l’autre a tort.
Et bien sûr comme la plupart des gens (sinon tous) sont à des degrés divers de mauvaise foi ou se trompent sur la règle, le mal arrive.
Cette règle implicite fut toujours appelée « Loi naturelle » et Lewis de mettre immédiatement en garde contre une fausse idée qu’on pourrait se faire de celle-ci.
Car bien sûr la plupart des gens lorsqu’ils entendent parler de « Loi naturelle » pensent immédiatement aux lois de la physique ou de la biologie.
La différence entre les deux relève du libre arbitre : « Quand les penseurs d’autrefois appelaient Loi naturelle la loi du Bien et du Mal, ils pensaient en fait à la Loi de la nature humaine. L’idée était la suivante : de même que tous les corps sont gouvernés par la loi de la gravitation et les organes par la loi de la biologie, la créature appelé Homme a aussi sa loi. Cette dernière est pourtant très différente : alors qu’un corps ne peut choisir s’il doit obéir ou non à la loi de la gravitation, un homme peut choisir d’obéir ou non à la Loi de la nature humaine. »[4]
D’où vient cette Loi naturelle ?
La question à se poser est bien sûr que s’il y a Loi naturelle, il faut que quelqu’un l’ait écrite.
Cet auteur est sans conteste, pour le chrétien, Dieu. Saint Paul ne disait pas autre chose « Quand des païens, sans avoir la loi, font naturellement ce qu’ordonne la loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes, eux qui n’ont pas de loi. Ils montrent que l’œuvre voulue par la loi est inscrite dans leur cœur : leur conscience en témoigne également ainsi que leurs jugements intérieurs qui tour à tour les accusent et les défendent. C’est ce qui paraîtra au jour où, selon mon Évangile, Dieu jugera par Jésus Christ le comportement caché des hommes. » (Romains 2, 14 -16).
Chacun, quelque soit sa foi ou qu’il soit croyant ou non est capable de faire le Bien puisque Dieu a placé en chacun la capacité à discerner le Bien du Mal.
La conscience est l’organe permettant de saisir cette Loi universelle et éternelle qui ne dépend ni du temps, ni du lieu.
L’Église Catholique, inspirée par l’Esprit, se fait l’écho au travers de ses prises de position morale de cette Loi naturelle universelle.
Le fidèle catholique fait exactement la même chose.
Ce n’est pas qu’il suit aveuglement et sans réflexion la direction donnée par l’Église mais c’est qu’il s’en nourrit, qu’il l’utilise pour stimuler sa conscience et opérer le discernement entre le Bien et le Mal.
Ce faisant, s’aidant par la prière, le croyant est ouvert au souffle de l’Esprit qui attise la Loi naturelle qui sommeille en son cœur.
Il peut alors porter un jugement moral personnel sur le monde.
Sébastien Morgan
[1]C.S.Lewis, Les fondements du christianisme, Ed. Aimé Viala, 2013, p. 19.
[2]ibidem p. 19.
[3]ibidem p. 19.
[4]ibidem p. 20.
Résumé d'un travail collectif d'une commission théologique internationale :
La loi naturelle est la norme de l'éthique que tous les hommes peuvent découvrir en eux, au coeur irréductible de la personne humaine, que nous appelons sa nature.
Ce n'est donc pas seulement la constatation empirique de la convergence des éthiques qui peut motiver l'agir humain, mais la conscience que l'éthique a un fondement dans l'humanité même de l'homme, et qu'elle crée par là même des droits et des devoirs pour tous les hommes.
Puisque nous prétendons que cette loi existe dans l'humanité de l'homme, elle n'est pas à inventer, mais à découvrir, à déceler dans les différentes cultures humaines qui l'expriment chacune d'une manière singulière.
Notre travail tente de discerner dans les grandes traditions philosophiques et religieuses de l'humanité le surgissement de cet universel humain (...).
Nous avons fait le pari que la notion revisitée de loi naturelle n'effrayera pas le lecteur. Notre travail s'adresse en premier lieu aux acteurs de l'Eglise catholique qui pratiquent le dialogue avec la culture contemporaine, dans les domaines qui aujourd'hui demandent des réponses communes aux grands défis de la bioéthique, de l'économie, de l'environnement. Nous souhaitons ainsi contribuer au dialogue interculturel et interreligieux, en poursuivant la recherche éthique, et en invitant les grandes traditions religieuses et philosophiques à opérer cette même maïeutique qui permet de dégager l'universel humain sur lequel nous devons construire nos relations en ce monde.
Roland Minnerath, archevêque de Dijon
Conclusion de cette réflexion
Conclusion
[113] L’Église catholique, consciente de la nécessité pour les hommes de rechercher en commun les règles d’un vivre ensemble dans la justice et la paix, souhaite partager avec les religions, les sagesses et les philosophies de notre temps les ressources du concept de loi naturelle.
Nous appelons loi naturelle le fondement d’une éthique universelle que nous cherchons à dégager de l’observation et de la réflexion sur notre condition humaine commune.
Elle est la loi morale inscrite dans le cœur des hommes et dont l’humanité prend de mieux en mieux conscience au fur et à mesure qu’elle avance dans l’histoire.
Cette loi naturelle n’a rien de statique dans son expression. Elle ne consiste pas en une liste de préceptes définitifs et immuables. Elle est une source d’inspiration toujours jaillissante dans la recherche d’un fondement objectif à une éthique universelle.
[114] Notre conviction de foi est que le Christ révèle la plénitude de l’humain en l’accomplissant dans sa personne. Mais cette révélation, pour spécifique qu’elle soit, rejoint et confirme des éléments déjà présents dans la pensée rationnelle des sagesses de l’humanité.
Le concept de loi naturelle est donc d’abord philosophique et, comme tel, il permet un dialogue qui, dans le respect des convictions religieuses de chacun, fait appel à ce qu’il y a d’universellement humain dans chaque être humain.
Un échange sur le plan de la raison est possible lorsqu’il s’agit d’expérimenter et de dire ce qu’il y a de commun à tous les hommes doués de raison et de dégager les exigences de la vie en société.
[115] La découverte de la loi naturelle répond à la quête d’une humanité qui, depuis toujours, cherche à se donner des règles pour la vie morale et la vie en société.
Cette vie en société concerne tout un arc de relations qui va de la cellule familiale jusqu’aux relations internationales, en passant par la vie économique, la société civile, la communauté politique.
Pour pouvoir être reconnues par tous les hommes, dans toutes les cultures, les normes du comportement en société doivent avoir leur source dans la personne humaine elle-même, ses besoins, ses inclinations.
Ces normes, élaborées par la réflexion et soutenues par le droit, peuvent ainsi être intériorisées par tous.
Après la Seconde Guerre mondiale, les nations du monde entier ont su se doter d’une Déclaration universelle des droits de l’homme qui suggère implicitement que la source des droits humains inaliénables se situe dans la dignité de toute personne humaine. La présente contribution n’avait pas d’autre but que d’aider à réfléchir sur cette source de la moralité personnelle et collective.
[116] En apportant notre contribution propre à la recherche d’une éthique universelle, et en en proposant un fondement rationnellement justifiable, nous souhaitons inviter les experts et les porte-parole des grandes traditions religieuses, sapientielles et philosophiques de l’humanité à procéder à un travail analogue à partir de leurs propres sources afin d’aboutir à la reconnaissance commune de normes morales universelles fondées sur une approche rationnelle de la réalité.
Ce travail est nécessaire et urgent. Nous devons parvenir à nous dire, par-delà les divergences de nos convictions religieuses et la diversité de nos présupposés culturels, quelles sont les valeurs fondamentales pour notre commune humanité, de manière à travailler ensemble à promouvoir compréhension, reconnaissance mutuelle et coopération pacifique entre toutes les composantes de la famille humaine.
Le texte complet de ce travail est accessible en cliquant le lien ci-dessous
À la recherche d'une éthique universelle. Nouveau regard sur la loi naturelle (2009)
1] Y a-t-il des valeurs morales objectives capables d'unir les hommes et de leur procurer paix et bonheur ? Quelles sont-elles ? Comment les discerner ? Comment les mettre en œuvre dans la vie des...
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