Le cinquième roman de Denis Marquet, "Le testament du Roc" (Flammarion, Mai 2016) vient de paraître. A travers l’histoire de Pierre, notamment son amitié pour Judas, l’auteur nous offre une lecture inédite et richement documentée de la vie de Jésus. Certes, ce livre peut se lire comme un "roman historique", mais l’ambition de Denis Marquet dépasse largement cela : il se propose d’interroger, et de mettre en valeur, les raisons et fondamentaux de l’essor de la civilisation chrétienne. Au-delà du consensus "traduire, c’est trahir", derrière lequel tout le monde se range et auquel aucun texte sacré ne fait exception, Denis Marquet va ici se questionner : quelle sorte de patine deux mille ans de christianisme ont-ils laissé sur sa force et son invitation ?
Selon l’auteur, cette patine a fragilisé la force de transmission du christianisme et détourné le sens originel de ses textes. Cet adjectif "originel" ne doit pas, lui non plus, ne se lire que sur un plan historique : il s’agit plutôt de sonder les Origines, intérieures et surnaturelles, de ces textes....
Contre toute attente, Denis Marquet réhabilite avec force et arguments la place du Corps dans la réalisation spirituelle chrétienne. Une idée phare de cet échange, et qui peut légitimement sembler paradoxale à plus d’un titre. Explications bienvenues.
Accepterez-vous de vous laisser imprégner par ce nouvel "Evangile de Pierre" ?
La "Bonne Nouvelle", c’est aussi de constater que la chrétienté comporte, encore, dans ses rangs - après deux mille ans de "chahutage" - des hommes incarnés, charismatiques et qui donnent envie de les suivre !
Extrait d'une interview de l'auteur
Extrait du livre
Yeshoua nous fit asseoir autour de lui. Son regard était sévère.
« Je suis avec vous, nous apostropha-t-il, et vous craignez pour votre vie ! Etes-vous donc semblables aux foules qui ne viennent à moi que pour obtenir des bienfaits mais n'accueillent pas mon être et ne me reçoivent pas ? Etes-vous donc aveugles à ce que montrent vos yeux, sourds à ce qu'entendent vos oreilles ? »
Tête basse, nous n'osions lever le regard sur Yeshoua ; seul Judas lui répliqua :
« Moi, je n'ai pas craint pour ma vie. »
Je l'observai à la dérobée. Fier, il se dressait face à Yeshoua comme pour le défier.
« N'as-tu donc pas eu peur ? lui demanda ce dernier.
J'ai eu peur, en effet, et du pire qui puisse m'arriver : mourir stupidement.
Crois-tu connaître le pire qui puisse t'arriver ?
Je suis prêt à donner ma vie sur-le-champ pour le règne de Dieu ! Et je mourrai pour toi, si tu es l'élu de Dieu ! Mais je refuse de perdre ma vie d'une manière inutile. »
Il désigna d'un geste méprisant le paysage qui nous entourait.
« Que faisons-nous sur ces terres d'obscurité quand, en Judée, des milliers n'attendent qu'un mot de toi pour monter à Jérusa-lem et te proclamer roi ?
Judas, lui dit Yeshoua comme une mère reprendrait tendre-ment son enfant, quel serviteur tu feras si tu sais te vider de toi... Ne vois-tu pas que le règne de Dieu est là ? Tu l'as devant les yeux, et il a été semé dans ta terre. Le laisseras-tu germer et porter du fruit ?
Maître, maugréa Judas, tu parles en énigmes, comme si tu voulais que l'on ne te comprenne pas...
- Tu n'as donc pas compris cette parabole du semeur ? »
Judas eut un ricanement de dédain.
« Qui d'entre nous l'a comprise ? »
Yeshoua promena son regard sur nous tous. Je baissai les yeux. « À vous, pourtant, martela-t-il, le mystère du règne de Dieu a été confié ! Je vous le dis en vérité, bien des prophètes et bien des justes ont désiré voir ce que vous regardez, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont ni vu ni entendu.
Alors, si vous fermez vos yeux et rendez sourdes vos oreilles, qui verra et qui entendra ? Si vous, vous ne voulez pas comprendre cette parabole, qui la comprendra ? Ouvrez donc vos cœurs et écoutez ! La parole de vie a été semée en vous.
À présent, il vous appartient qu'en vous elle fructifie ou non. Malheur à vous si vous ne lui permettez pas de donner du fruit !
Car alors, cette parole portera la mort. Laissez-la faire son œuvre et n'intervenez pas ! Laissez Dieu régner en vous, et Dieu fécondera tout ce que vos yeux voient, tout ce que touchent vos doigts. Alors le monde autour de vous changera ; il exprimera la royauté de Dieu que vous aurez libre-ment accueillie à l'intérieur de vous !
Maître, soupira Judas en secouant la tête, je ne crois pas que le monde changera si nous n'agissons pas. Il te manque encore la foi.
La foi suffira-t-elle, intervint Shiméon, pour chasser les Romains ? »
Yeshoua embrassa du regard notre groupe rassemblé à ses pieds, puis porta les yeux sur l'horizon. Au-dessus du lac, la nuée se dissipait et laissait apercevoir des fragments de ciel bleu.
« Ignorez-vous donc, articula-t-il, que la foi ouvre le monde à l'action de Dieu ? C'est pourquoi rien n'est impossible à la foi ; et rien n'est possible sans elle.
Ne faut-il pas agir ? insista Shiméon.
Si vous avez la foi, Dieu vous met en acte et agit par vous. Sans la foi, vous êtes pareils au barreur d'une barque ballottée par la tempête ; il croit que c'est lui qui dirige ses mouvements, mais, en vérité, il est proche de sombrer.
- Augmente en nous la foi », supplia alors Shiméon. Yeshoua le couvrit d'un regard de tendresse.
« La foi... Si vous en aviez seulement gros comme une graine de sénevé, vous diriez à cet arbre, là-bas : déracine-toi et va te planter au milieu du lac ; et il vous obéirait ! Alors, rien ne vous serait impossible.
Dieu nous commande-t-il de planter des arbres dans l'eau ? grommela Judas.
Lequel d'entre vous, rétorqua Yeshoua, s'il a un esclave qui laboure ou garde ses bêtes, lui dira à son retour des champs : viens vite te mettre à table ? Ne lui ordonnera-t-il pas plutôt : prépare-moi de quoi dîner, et habille-toi pour me servir ; lorsque j'aurai mangé et bu, tu pourras en faire autant ? Et ressentira-t-il de la gratitude pour cet esclave, d'avoir fait ce qui lui était ordonné ? Vous, de même, lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous est prescrit, dites : nous sommes des esclaves inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. »
Judas s'énerva soudain :
« A quoi rime ton histoire ? Si c'est Dieu notre maître, prétends-tu que celui qui obéit à ses commandements ne sert à rien ?
Qui d'entre vous a compris ? » demanda Yeshoua.
Je me tassai, observant notre cercle à la dérobée ; chacun gar-dait la tête basse, à l'exception de Judas qui, sombre, regardait ailleurs. C'est alors qu'une main timide se leva. Elle venait de là où s'étaient regroupées les femmes ; c'était celle de Mariam de Magdala. Yeshoua lui fit signe de parler. Elle le fit d'un ton assuré qui contrastait avec sa faible voix :
« Tu nous annonces un monde nouveau, dans lequel Dieu ne veut plus régner sur l'homme, mais en l'homme. Dans ce monde nouveau, celui qui ne fait qu'observer les prescriptions ne sert plus à rien ; le véritable serviteur est celui qui laisse le Souffle de Dieu agir en lui et à travers lui. Et, pour lui, tout est possible. »
Le visage de Yeshoua s'éclaira.
« Tu es bénie Mariam, s'exclama-t-il. Car tes mots ne sont pas les tiens, ils sont la vérité de Dieu. Je vous le dis, si la foi avait accueilli mes paroles et mes œuvres dès lors qu'elles ont été mani-festées, tout serait déjà transformé. Ne manquez plus de foi !
Que devons-nous faire pour avoir la foi ? demandai-je soudain.
La foi ne se commande pas, me répondit Yeshoua, elle se reçoit. Mais recevoir se commande. Osez donc recevoir ! Cessez de nourrir vos anciennes pensées et ouvrez-vous à l'inconnu. Ayez, à l'instar de Shiméon, juste assez de foi pour en demander davantage. Car à celui qui a, il sera donné ; mais à celui qui n'a pas, il sera enlevé même ce qu'il a. »
Frappé par la violente énigme de ces derniers mots, je fermai les yeux ; lorsque je les ouvris, Yeshoua me fixait.
« En vérité, proféra-t-il comme s'il ne parlait qu'à moi, il faut que le Fils de l'homme soit élevé. Mais le sera-t-il dans la gloire ou dans l'opprobre ? Cela dépend de vous tous. Cela dépend des mouvements de votre cœur. »
Un souffle glacé, comme né de la pierre qui me servait d'assise, traversa mon échine. Une peur sans image et sans nom me serrait la poitrine. Yeshoua nous tourna le dos.
« Suivez-moi », ordonna-t-il.