Pour les prophètes, il est le Roi idéal qu’Israël attend, qui donnera à son peuple la domination universelle et au monde entier la justice et la paix. Aujourd’hui, les Juifs attendent toujours la délivrance promise et considèrent qu’ils doivent œuvrer pour qu’elle advienne
Que signifie le mot « messie » dans l’Ancien Testament ?
Le mot hébreu mashiah signifie littéralement « oint » avec l’huile de l’onction. Dans la Bible hébraïque où il n’apparaît que 38 fois il désigne celui qui a reçu l’onction. « Sur l’oint descend l’esprit de Dieu, écrit Armand Abécassis dans Judaïsmes, de l’hébraïsme aux messianités juives (Albin Michel). Il est saisi par lui pour devenir serviteur permanent en tant que prophète, prêtre, grand prêtre et roi. »
Le mot est d’abord associé aux prêtres, dans les passages sacerdotaux du Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible). Pendant la période royale, il désigne le roi, investi d’une consécration divine. Le terme s’applique aussi aux prophètes. Dans tous les cas, ce sont les prophètes qui se chargent de l’onction, ce qui signifie « qu’il n’y a pas de messie autoproclamé dans le judaïsme », explique David Banon, directeur du département d’études hébraïques et juives de l’université de Strasbourg, professeur invité à l’Université hébraïque de Jérusalem, et auteur de L’Attente messianique, une infinie patience (Cerf).
À quel moment apparaît cette idée ?
Elle ne se trouve pas dans le Pentateuque, même si, comme le précise David Banon, elle y est « sous-jacente ». Après la destruction du premier Temple (587 av. J.-C.) et l’exil à Babylone, les prophètes vont lui donner « une certaine substance » en offrant à Israël l’assurance d’un avenir, d’une restauration finale.
Quel messie le peuple juif va-t-il attendre ?
Les prophètes qui critiquent les infidélités des rois d’Israël et de Juda réorientent peu à peu l’espérance d’Israël. Le messie devient le Roi idéal qu’Israël attend, un descendant de David sur qui reposera l’Esprit du Seigneur, qui mettra un terme à la domination extérieure et fera advenir des temps nouveaux de justice et de paix (Isaïe 11 notamment). Ce messianisme prendra parfois une dimension eschatologique.
Au temps de Jésus, comment les Juifs vivent-ils cette attente du Messie ?
De manière diverse. Le livre I des Maccabées, vraisemblablement rédigé un peu avant l’an – 100, montre que les Juifs de Judée vivaient dans l’attente, sans doute, d’un nouvel Élie, afin que se réalise la prophétie de Malachie (Ma 3,23-24). Les documents découverts à Qumrân et attribués aux esséniens indiquent que ceux-ci attendaient deux « oints », l’un sacerdotal, l’autre royal et davidique, conformément à l’ordre ancien, bouleversé depuis l’exil de Babylone. Il existait aussi une attente messianique sans messie, où Dieu lui-même combattra pour son peuple et lui apportera le salut eschatologique comme l’annonçait Zacharie (Za 14).
La chute du second Temple va-t-elle modifier la pensée messianique ?
Isaïe prophétise sur l’horizon de la destruction du royaume d’Israël par les Assyriens, Jérémie et Ézéchiel à partir de l’écroulement du royaume de Juda et de l’exil babylonien. Après la destruction du second Temple par les Romains en 70, les rabbins vont chercher à comprendre comment le messianisme peut désormais s’inscrire dans l’histoire.
Le Talmud – la Loi orale, dont la rédaction s’achève vers l’an 500 – témoigne de la complexité de leur réflexion. Avec la catastrophe que constitue pour les Juifs leur expulsion d’Espagne en 1492, des penseurs juifs vont développer l’idée d’un messianisme sans messie. « La promesse annonce un accomplissement, mais en défait d’avance la figure », commente David Banon.
Comment définir le messianisme juif ?
Ce qui le caractérise, c’est sa conception de l’attente « vécue comme une tension entre l’accompli et l’inaccompli, entre le passé et l’à-venir », explique David Banon. Il y a dans le messianisme juif « une exigence d’absolu qu’aucune réalité historique ne pourra satisfaire ». Par essence, il est « aspiration à l’impossible », « espérance », et requiert « un perpétuel dépassement ».
Pour le judaïsme, l’homme doit parachever l’œuvre des six jours de la Création, la conduire « à la rédemption soudaine ou progressive de l’humanité », à la réconciliation ultime de Dieu et de son peuple. Les Juifs doivent œuvrer pour que celle-ci advienne, « que les exilés soient rassemblés, que les Juifs retrouvent leur souveraineté sur la terre d’Israël, que les nations tournent leurs yeux vers Sion afin que la justice règne sur le monde, cette justice formant ultimement le contenu le plus propre du messianisme ».
Les courants actuels du judaïsme partagent-ils cette interprétation ?
Les Juifs ultraorthodoxes croient en la venue d’un messie. Une fraction d’entre eux considère que seul celui-ci sera en droit de récréer Israël et s’opposent au sionisme. Les orthodoxes ont une conception du messianisme qui s’inscrit dans l’étirement du temps et s’efforcent de créer les conditions morales de la rédemption du monde. Le judaïsme libéral ou réformé donne au messianisme une dimension universelle, chaque être humain devant vivre comme s’il ou elle avait individuellement la responsabilité d’amener les temps messianiques. L’attente messianique des Juifs trouve son expression dans la liturgie.
Pourquoi avoir refusé de reconnaître en Jésus-Christ le Messie ?
« On se méfie toujours de celui qui prêche l’accomplissement des temps promis et veut arrêter l’histoire, explique David Banon. C’est pourquoi les Juifs ont refusé d’accorder la dimension messianique à Jésus puisque la paix universelle et le Règne de Dieu ne sont pas réalisés sur la terre, ainsi qu’à une longue liste de messies personnels qui n’ont cessé de surgir dans l’histoire. On se méfie de la même manière de ceux qui cherchent à calculer la date de la venue du messie. “Que se brise le souffle de ceux qui calculent la fin des temps”, dit le Talmud. On ne doit pas précipiter le temps. »
La commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme, dans un texte titré « Pour une correcte présentation des Juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique » (1985), qui expose ce que Juifs et chrétiens ont en commun, souligne que l’attente active du Messie en fait partie.
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