Le père Ange Rodriguez (son prénom ne lui va-t-il pas comme un gant?) est exorciste. D’origine espagnole, ce Frère dominicain exerce son ministère à Lyon, en France.
Mais peut-on encore parler du démon dans le contexte d’une société qui ne croit ni à Dieu ni à diable, lui ai-je demandé? Bien que je me demande parfois, me suis-je empressé de corriger, s’il n’y aurait pas chez nous plus de foi dans le démon que de foi en Dieu…!
«Vous n’êtes pas loin de ce que je vis. Je reçois environ 500 personnes par an. Ce n’est pas rien.» En neuf ans, précise-t-il, plus de 4000 personnes ont sollicité un exorcisme dans le seul archidiocèse lyonnais. «Je pense que c’est un nombre considérable, si en plus l’on tient compte du fait qu’en France, on est 130 exorcistes. Quand vous demandez s’il y a encore des gens qui croient au démon, je réponds qu’apparemment, il y en a beaucoup.»
Ils y croient forcément puisqu’ils en sont victimes, pourrait-on ajouter. Et pourtant dans l’Église, nombre de théologiens mettent ouvertement en doute la personnification du mal sous les traits de Satan, Lucifer, Béelzéboul, etc. On explique plus volontiers par la psychiatrie certains phénomènes étranges, jadis associés aux possessions démoniaques.
«Dans l’Église après les années 70, ça été le “black out” pour ce qui est de parler du démon et des anges. Le dernier livre intéressant sur le sujet a été écrit par la cardinal Daniélou» (Les anges et leur mission, d’après les Pères de l’Église, Desclée, Paris 1952).
Les causes
Paradoxalement et parallèlement à ce silence de l’Église, le “New Age” a ramené les esprits angéliques sur la place publique. Des doctrines de moutures ésotériques et occultes également en ont profité pour s’engouffrer dans le vide creusé par le délaissement de l’Église et l’ignorance faisant suite au relâchement de la pratique religieuse.
«Les gens (qui demandent un exorcisme) sont loin de l’Église. Je ne reçois pas des catholiques pratiquants. Ils sont loin de cette problématique-là.» La grande majorité de ceux qui consultent l’exorciste, souligne-t-il, ont trempé dans des pratiques occultes ou spirites. Ce sont des gens qui souffrent et cherchent une libération. Ils sont convaincus d’être tourmentés par un démon. Ils voient l’exorciste un peu comme un shaman ou un sorcier qui peut les délivrer.
«Pour ces gens, l’exorciste c’est l’homme qui a le pouvoir sur les forces du mal. Ils ne savent pas autre chose. Si vous demandez aux gens ce que c’est un exorciste, même les plus ignares répondront, parce qu’ils ont vu le film L’exorciste, que c’est un curé qui se bat contre le démon.»
Mais est-ce bien du démon dont il s’agit, ai-je objecté? Des maladies comme l’épilepsie, la schizophrénie, les psychoses ont jadis été attribuées aux forces démoniaques. Elles sont aujourd’hui considérées comme des maladies mentales traitables, parfois dues à un débalancement des médiateurs chimiques du cerveau.
«Je pense aux gens qui viennent me voir et si vous leur disiez qu’ils sont malades, ils vous regarderaient en vous disant: “Vous-même, vous n’êtes pas bien!” Ce sont des gens qui ont une vie normale, souvent des professionnels: chirurgiens, avocats, PDG d’entreprise, psychiatres. Ils viennent me voir parce qu’ils sont tourmentés. Leur problème n’est pas psychique mais spirituel. Le plus grand respect que l’on puisse témoigner à ces gens-là, c’est de ne pas les prendre pour des idiots ou des malades. Ils sont confrontés à des choses dans leur vie qui leur échappent, qu’ils n’arrivent pas à expliquer et qu’ils relient à des pratiques qu’ils considèrent néfastes par la suite.»
Ceci dit, le père insiste sur l’importance dans son travail de toujours discerner s’il s’agit de maladie ou non. Pour y parvenir, il a formé une équipe médicale de trois psychiatres, un psychologue et une psychanalyste. «Je peux vous dire, assure-t-il, que les connaissances scientifiques ne sont pas du tout incompatibles avec l’enseignement de l’Église».
De plus, une équipe de trois dames fait un premier filtrage des demandes.
« Si quelqu’un se plaint de maux physiques divers, on lui conseille de voir un médecin. Si par contre on dit avoir eu des pratiques spirites, si on a cherché dans l’occultisme, si on consulte des médiums ou si on fait partie d’un groupe ésotérique, alors là on accorde une rencontre tout de suite. Parce que c’est par là qu’une personne a pu capter une infestation de l’esprit.»
Le prêtre de 75 ans, qui, entre autres activités pastorales, a enseigné l’histoire des religions, met en garde contre la tendance à mélanger le psychique et le spirituel. «La pratique religieuse affecte la structure profonde de l’être humain. Quelqu’un qui prie est touché profondément, il devient plus conscient et change. Celui qui pratique l’ésotérisme, c’est pareil. Il commence à voir la vie autrement, il réagit différemment aux événements et en vient à tout expliquer par les doctrines ésotériques. Et c’est là que le démon peut intervenir.»
La croyance
Théologiquement parlant, ai-je insisté, qu’est-ce qui prouve l’existence des anges et des démons.
«L’hypothèse de l’existence d’êtres spirituels en dehors des hommes ne relève pas directement de la théologie. C’est une problématique métaphysique. Avant l’ère chrétienne, Aristote parle d’intelligences pures. Ses arguments ont été repris par Denis l’Aréopagite, puis saint Thomas d’Aquin. Entre l’homme —qui est un être à la fois spirituel et charnel— et l’Essence divine, il y a un vide qui serait comblé, théoriquement, hypothétiquement, s’il existe des êtres uniquement spirituels. Aristote, dans sa fameuse échelle des êtres, estime que de tels êtres existent. Et Thomas d’Aquin confirme.»
«C’est pour ça que je vous dis que croire aux anges ou aux démons, non! Ce n’est pas le point! Nous croyons en Dieu. Ensuite, une hypothèse: est-il possible qu’il y ait des êtres spirituels? Qu’est-ce qui s’y oppose? Si vous n’êtes pas d’accord, argumentez. Nous sommes en métaphysique et non dans la foi.»
Il ne s’agit donc pas de croire ou non à l’existence des anges et des démons mais de tenir compte d’effets néfastes produit dans la vie humaine. «Si quelqu’un vient me consulter, je ne cherche pas à savoir s’il a derrière la tête un démon poilu avec des cornes. Je me demande quelle est cette dynamique qui est entrée dans la vie de cet homme et qui est en train de lui pourrir l’existence. Pour moi, cette dynamique-là, c’est quelqu’un, c’est un démon. Selon Thomas d’Aquin, les anges sont créés à l’image de l’Esprit Saint tandis que l’homme est créé à l’image du Verbe fait chair. Or, l’Esprit Saint est une dynamique, une force. Les Grecs n’y vont pas par quatre chemins et le nomme energaïa, c’est-à-dire énergie. C’est difficile pour nous d’imaginer une dynamique qui soit quelqu’un. La représentation de l’Esprit Saint est très difficile à cause de ça. Il est une dynamique et il est Quelqu’un, une Personne.
Avant l’incarnation du Verbe, les anges ont été les seuls intermédiaires entre Dieu et l’humanité. Une fois le Verbe incarné, ils renoncent à cette fonction pour devenir des intercesseurs. Parce que le seul et unique intermédiaire maintenant, c’est le Verbe incarné, Jésus Christ.»
Ce qui a pour conséquence, intervins-je, qu’en rejetant le Messie, le monde moderne régresse vers une spiritualité dépassée. Sur la route de l’apostasie, il se heurte conséquemment non pas aux anges bienveillants qui ont chanté la gloire à Dieu lors de l’incarnation du Verbe, mais plutôt à ceux qui se sont révoltés contre Lui.
«Si je maintiens ce langage, je dirai que notre monde serait maintenant secoué, géré et mené par une dynamique assez perverse qui serait pour moi démoniaque. Je pense qu’il suffit d’être lucide pour s’en rendre compte.»
Spiritualités orientales
Dans un tel contexte, que penser des spiritualités orientales, comme la méditation et le yoga? «Ça dépend comment on le fait. Il ne faut pas que l’âme reste sans protection. Il y a un passage dans la Bible qui fait dire à Dieu: “Je ne vous ai pas dit: cherchez-moi dans le vide”. Je suis un ancien professeur de l’histoire des religions. Je peux vous dire, par exemple, que le yoga ne fait de mal à personne en Inde. Ici oui! La raison en est que les Occidentaux ont vidé le yoga de son contenu. Ils n’ont gardé du yoga qu’une coquille vide. En Inde, l’hindouiste, avec la pratique du yoga, cherche à s’unir à Dieu. Les gens qui font du yoga ici n’ont rien à cirer de Dieu. Donc, ils utilisent un moyen détourné de sa finalité. S’il y avait seulement un yoga du corps, c’est-à-dire une sorte de gymnastique qui peut très bien vous redresser les cervicales, il n’y aurait rien à craindre. Mais il y a le yoga de l’esprit où il faut immobiliser les facultés, la mémoire, l’imagination, faire le vide. Ça, à mon avis, c’est un grand danger. Parce que l’âme reste sans défense quand elle est dans ce vide-là.»
Elle se trouve ainsi ouverte aux esprits malveillants?
«Il ne faut pas prendre à la légère le fait que, de temps immémoriaux, les humains sont conscients d’être entourés de dynamiques mauvaises, rétorque l’exorciste. Les anciennes sagesses d’Égypte, de l’Orient et toutes les religions sont unanimes. Les démons dans l’hindouisme, dans le shintoïsme, sont terrifiants, terribles. De qualifier ça de fables, ça devient ridicule. Il n’y a que l’homme de notre époque qui se croit je ne sais quoi pour dire ça.»
Un bon conseil
Le constat peut faire peur. N’y a-t-il pas de quoi paniquer? Comment se prémunir contre les assauts des mauvais esprits?
«Le conseil que je donnerais aux gens, c’est de ne pas toucher aux pratiques ésotériques ou occultes. Parce qu’elles ouvrent la porte aux esprits. Il faut savoir que le démon n’a pas la possibilité de s’attaquer à l’homme en dehors de la tentation. La tentation est permise par Dieu parce que l’amour implique la liberté et la liberté constitue un risque de transgression.
Par contre les pratiques ésotériques, la magie, le spiritisme, la voyance, la cartomancie donnent la permission aux esprits de se manifester. Si vous n’ouvrez pas la porte, le démon ne peut rien vous faire. Il se nourrit de votre peur mais il ne peut pas faire quoi que ce soit à part de vous tenter. Et encore là, il n’a pas le dernier mot. C’est vous qui l’avez. Par contre, si vous touchez aux choses ésotériques, vous devez craindre le pire. Ça peut aller jusqu’à la destruction de la personne. C’est ça qu’il faut éviter.
Il y a un petit exorcisme que je donne aux gens pour qu’il le récite dans le combat spirituel.
Chaque fois qu’on est troublé, qu’on est perturbé, qu’on est obsédé par des idées morbides ou des pensées mauvaises, chaque fois qu’on est dans l’amertume, qu’on est dans le passé à ressasser des souffrances, ce petit exorcisme nivelle les choses. Tout exorcisme a la forme d’un ordre. Dites: “Que tout esprit loue le Seigneur!” C’est tout.
On peut le répéter cinquante fois, s’il le faut. La paix va descendre. C’est simple! Les choses de Dieu sont simples. Ce sont les choses de la magie qui sont compliquées. Cet exorcisme est d’une efficacité extraordinaire pour la vie de tous les jours, pour le combat spirituel de tous les jours. Il a pour effet de réconcilier les âmes avec Dieu…»
Et de faire s’évanouir comme brume au soleil les grimaces grinçantes du Tordu, devrait-on conclure!
Par Paul Bouchard
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