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14 novembre 2015 6 14 /11 /novembre /2015 23:40
Saints Simon et Jude, apôtres

L’Église associe les apôtres Simon et Jude dans la liturgie, car ils apparaissent toujours ensemble dans la liste des Douze et nous avons très peu de renseignements les concernant.

« En ces jours-là, Jésus s’en alla dans la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. Le jour venu, il appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres : Simon, auquel il donna le nom de Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Simon appelé le Zélote, Jude fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui devint un traître » (Luc 6, 12-16).

Simon et Jude sont les moins connus des apôtres, même s’ils ont accompagné Jésus pendant sa vie publique. Je les fais parler dans mon livre Jésus raconté par ses proches. Selon la tradition, ils auraient évangélisé ensemble la Perse et y seraient morts martyrs. Jude est plus populaire que Simon auprès des fidèles puisqu’il est considéré comme le saint protecteur des causes difficiles ou désespérées.

Simon le Zélote

Simon est un Judéen. Matthieu et Marc le surnomment « le cananéen » (Mt 10, 4; Mc 3, 18). Luc l’appelle « le Zélote », non seulement parce qu’il est vaillant, mais parce qu’il a probablement fréquenté le groupe des zélotes qui luttait contre l’envahisseur romain. Benoît XVI apporte une nuance : « En réalité, les deux qualificatifs sont équivalents, car ils signifient la même chose. En hébreu, en effet, le verbe « kana » veut dire « être jaloux, passionné ». Il est donc bien possible que ce Simon, s’il n’appartient pas proprement au mouvement nationaliste des zélotes, ait été au moins caractérisé par un zèle ardent pour l’identité juive, donc pour Dieu, pour son peuple et pour la loi divine » (Audience du 11 octobre 2006). Et le pape émérite de conclure que Simon se situe aux antipodes du publicain Matthieu, qui était impur selon la loi juive. Jésus appelle qui il veut et il soude dans un même groupe des hommes très différents pour travailler ensemble à son royaume d’amour qui n’est pas terrestre mais spirituel.

Comme les autres apôtres, Simon a suivi Jésus dans son ministère de prédication. Plus que des idées, le Galiléen rendait libre par ce qu’il était. Il faisait vivre de la vie même de Dieu. Simon a vu ses miracles qui témoignaient de la présence de Dieu, au-delà de tout mérite et de tout légalisme. Ils suscitaient l’enthousiasme et cachaient une autre puissance, celle de l’amour. Le Zélote en aura été témoin jusqu’à la fin de sa vie, devenant un écho vibrant au cœur doux et humble de Jésus.

Simon a posé sa pierre à sa manière pour bâtir le royaume de Dieu. Avec le Maître, il a appris à prier, non pas à la hauteur de sa suffisance, mais dans les profondeurs de son cœur. Il a renoncé à ses propres sécurités pour suivre Jésus jusqu’à sa croix. Il a délaissé la violence pour vivre l’aventure du pardon et l’abandon confiant à la miséricorde divine.

Jude le Thaddée

Matthieu et Marc appellent Jude, « le Thaddée », ce qui signifie courageux. Au Cénacle, il est présenté par Luc comme le « fils de Jacques » (Ac 1, 13). Plusieurs auteurs ont vu en lui le frère de Jacques d’Alphée, dit le mineur, donc le cousin de Jésus (Cf. Mt 13, 55). Je penche également vers cette hypothèse. Jacques dirigea la communauté de Jérusalem et mourut en 62 sur ordre du grand-prêtre.

Jésus vint plusieurs fois à Nazareth, où il avait grandi avec ses cousins. Un jour de sabbat, le chef de la synagogue l’invita à prendre la parole. Il se leva pour faire la lecture, ouvrit le rouleau sacré, et lu Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » (Lc 4, 18-19)

De nombreux auditeurs étaient frappés d’étonnement : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Lc 4, 22). Ils étaient profondément choqués à son sujet, car ils ne le comprenaient pas. Ils s’étaient fait une image si familière de lui, qu’on ne voyait pas que le fils de Joseph et de Marie puisse parler avec une telle autorité. Ils connaissaient sa famille, comment pouvait-il accomplir des miracles ? Leur réaction était tout à fait naturelle. Jude savait que sans la foi, nul ne pouvait reconnaître que Jésus était le Messie.

Jésus ne voulait pas qu’un seul des enfants de son Père ne se perde. À son dernier repas, Jude lui posa une question pour qu’il précise un peu mieux sa venue avec le Père : « Seigneur, que se passe-t-il? Est-ce à nous que tu vas te manifester, et non pas au monde ? » (Jn 14, 22)

Il lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14, 23-26)

Le don de l’Esprit leur sera d’un grand secours après sa résurrection. Mais au moment de la Passion, ils s’enfuiront, sauf Jean. Après la Pentecôte, Jude et les apôtres prendront la route pour annoncer la bonne nouvelle du salut. L’Esprit insufflera en eux une force pour qu’ils soient au milieu du monde les témoins de la résurrection du Christ.

Origène et Tertullien attribuent à Jude la courte lettre adressée aux fidèles de la communauté chrétienne. Thomas d’Aquin se réfère à Bède le vénérable pour affirmer que Jude et Thaddée sont la même personne, qu’il est le frère de Jacques le mineur, cousin germain de Jésus, et l’auteur de l’épitre qui se termine par cette louange à Dieu : « À Celui qui peut vous préserver de la chute et vous faire tenir debout, irréprochables et pleins d’allégresse, en présence de sa gloire, au Dieu unique, notre Sauveur, par notre Seigneur Jésus Christ, gloire, majesté, souveraineté, pouvoir, avant tous les siècles, maintenant et pour tous les siècles. Amen. »

Jacques Gauthier
http://www.jacquesgauthier.com/blog/entry/28-octobre-saints-simon-et-jude-apotres.html


 

 
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7 novembre 2015 6 07 /11 /novembre /2015 23:57
René Girard et le christianisme

Né en 1923, ancien élève de l'École des chartes, sa première grande étude concernait le mimétisme et la violence du désir chez les plus fameux romanciers européens, de Cervantès à Dostoïevski (Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961).

Une dizaine d'années plus tard, Girard livrait une étude sur la tragédie grecque, et formulait pour la première fois l'hypothèse que l'origine des religions se trouvait dans le phénomène du bouc émissaire (la Violence et le Sacré, 1972). C'est cette hypothèse que Girard n'a cessé d'affiner dans trois ouvrages où apparaît la véritable originalité de la révélation biblique : le mécanisme du bouc émissaire est mis en lumière et par là-même rendu inefficace ; les ordres culturels fondés sur le principe du meurtre fondateur ne résistent pas au jour que jette sur eux le christianisme quand ils entrent en contact avec lui (Des choses cachées depuis la fondation du monde, (1978), le Bouc émissaire (1983), la Route antique des hommes pervers (1985)).

En 2000, René Girard publie ce qu'il assure être son dernier ouvrage, une véritable apologie du christianisme pour notre temps, Je vois Satan tomber du ciel comme l'éclair (Grasset).

L'anthropologue René Girard est mort mercredi 4 novembre, à Stanford, aux Etats-Unis. Il avait 91 ans.

Ecouter un commentaire de quelques minutes sur l'inspiration chrétienne de René Girard sur France Culture le 6 novembre 2015

Écouter en ligne

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Invité de Face aux Chrétiens sur Radio Notre Dame en décembre 2005, le philosophe et Académicien René Girard revenait sur la notion de "violence mimétique".

Il rappelait également la différence entre les trois monothéismes, annonçant la renaissance du christianisme.

Écouter en ligne

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LIBERTE POLITIQUE. - Dans Je vois Satan tomber comme l'éclair, vous récapitulez toute votre œuvre et montrez que même les plus anti-chrétiens des Occidentaux ne cessent d'être déterminés par le souci biblique par excellence, le souci des victimes innocentes de la violence collective. Si la révélation biblique en sait long sur le désir mimétique, elle nous dit beaucoup aussi sur le phénomène du bouc émissaire.

RENE GIRARD. - J'ai travaillé sur la tragédie grecque, en particulier sur le mythe d'Œdipe avant de m'intéresser aux textes bibliques. Il s'est passé là quelque chose d'extraordinaire. Parallèlement à mes propres recherches et sans que nous nous soyons consultés, un jésuite autrichien, le père Schwager, a commencé à travailler sur les Psaumes.

Et il a repéré un thème fondamental chez beaucoup d'entre eux : un individu assiégé par ses ennemis appelle Dieu à l'aide. Ou il proclame son innocence ou que seul Dieu est juge de ses péchés — et non la communauté composée de pécheurs comme lui.

Schwager, en prolongeant mes analyses de la Violence et le Sacré, mettait le doigt sur la différence fondamentale de la révélation biblique. L'individu des Psaumes ou Job refusent de donner leur approbation au lynchage dont ils sont menacés.

Lorsqu'on lit l'Œdipe roi de Sophocle, le poète tragique nous montre une parfaite symétrie de la violence et puis brusquement, Œdipe est chargé de toute la violence qui divise la communauté.

Comme les victimes émissaires du monde entier, il est soudain accusé des forfaits les plus terribles, ceux qui menacent de dissolution l'ordre social tout entier : le parricide et l'inceste et il ne s'y oppose pas.

Job se trouve dans la même situation qu'Œdipe : lui qui régnait sur les esprits et les cœurs, le voici accusé par ses " amis " des pires forfaits. Ses faux amis veulent en fait qu'il consente au lynchage qu'on lui réserve. Mais Job, à la différence d'Œdipe, ne rentre pas dans le jeu. Il invoque le Paraclet, l'avocat de la défense des victimes.

Les Évangiles achèvent la révélation biblique en ce qu'ils dévoilent définitivement les mécanismes de la violence individuelle et collective.

Le lynchage collectif est l'aboutissement du mécanisme par lequel nous pensons nous débarrasser de la violence en l'expulsant vers l'extérieur. Dans les constructions juridiques des " païens ", il est ritualisé.

Si la Loi d'Israël se différencie de celle des " païens ", c'est parce qu'elle doit mener à l'intériorisation de la conscience de la violence. À nos propres yeux, nous sommes toujours pacifiques et ce sont les autres qui sont violents.

C'est toujours l'autre qui a commencé. Dénoncer les fautes de l'autre est une des formes de la rivalité mimétique qui me permet d'affirmer ma supériorité sur l'autre et de justifier ma violence contre lui. La loi des nations païennes est toujours finalement inefficace parce que la violence expulsée finit par revenir.

Tout l'enseignement prophétique consiste à prêcher le renoncement individuel à la violence, seule garantie de son éradication.

Tel est le sens de l'épisode de la femme adultère.

Oui, Jésus s'appuie sur la Loi pour en transformer radicalement le sens. La femme adultère doit être lapidée : en cela la Loi d'Israël ne se distingue pas de celle des nations. La lapidation est à la fois une manière de reproduire et de contenir le processus de mise à mort de la victime dans des limites strictes.

Rien n'est plus contagieux que la violence et il ne faut pas se tromper de victime. Parce qu'elle redoute les fausses dénonciations, la Loi, pour les rendre plus difficiles, oblige les délateurs, qui doivent être deux au minimum, à jeter eux-mêmes les deux premières pierres. Jésus s'appuie sur ce qu'il y a de plus humain dans la Loi, l'obligation faite aux deux premiers accusateurs de jeter les deux premières pierres ; il s'agit pour lui de transformer le mimétisme ritualisé pour une violence limitée en un mimétisme inverse. Si ceux qui doivent jeter " la première pierre " renoncent à leur geste, alors une réaction mimétique inverse s'enclenche, pour le pardon, pour l'amour.

Jésus réussit à provoquer un bon mimétisme...

Jésus sauve la femme accusée d'adultère. Mais il est périlleux de priver la violence mimétique de tout exutoire. Jésus sait bien qu'à dénoncer radicalement le mauvais mimétisme, il s'expose à devenir lui-même la cible des violences collectives.

Nous voyons effectivement dans les Évangiles converger contre lui les ressentiments de ceux qu'ils privent de leur raison d'être, gardiens du Temple et de la Loi en particulier. " Les chefs des prêtres et les Pharisiens rassemblèrent donc le Sanhédrin et dirent : "Que ferons-nous ? Cet homme multiplie les signes. Si nous le laissons agir, tous croiront en lui". " Le grand prêtre Caïphe leur révèle alors le mécanisme qui permet d'immoler Jésus et qui est au cœur de toute culture païenne : " Ne comprenez-vous pas ? Il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour tout le peuple plutôt que la nation périsse " (Jean XI, 47-50).

Est-ce à cause de ce dévoilement de la " loi du monde " que l'évangéliste ajoute : " Ces mots, ce n'est pas de lui-même qu'il les prononça ; étant grand-prêtre cette année-là, il était inspiré " ?

Oui, livrée à elle-même, l'humanité ne peut pas sortir de la spirale infernale de la violence mimétique et des mythes qui en camouflent le dénouement sacrificiel. Pour rompre l'unanimité mimétique, il faut postuler une force supérieure à la contagion violente : l'Esprit de Dieu, que Jean appelle aussi le Paraclet, c'est-à-dire l'avocat de la défense des victimes. C'est aussi l'Esprit qui fait révéler aux persécuteurs la loi du meurtre réconciliateur dans toute sa nudité.

Les Évangiles sont donc le contraire des mythes, selon vous : ils disent le meurtre du bouc émissaire tel qu'il s'est réellement passé.

Ils utilisent une expression qui est l'équivalent de " bouc émissaire " mais qui fait mieux ressortir l'innocence foncière de celui contre qui tous se réconcilient : Jésus est désigné comme " Agneau de Dieu ". Cela veut dire qu'il est la victime émissaire par excellence, celle dont le sacrifice, parce qu'il est identifié comme le meurtre arbitraire d'un innocent — et parce que la victime n'a jamais succombé à aucune rivalité mimétique — rend inutile, comme le dit l'Épître aux Hébreux, tous les sacrifices sanglants, ritualisés ou non, sur lesquels est fondée la cohésion des communautés humaines.

La mort et la Résurrection du Christ substituent une communion de paix et d'amour à l'unité fondée sur la contrainte des communautés païennes. L'Eucharistie, commémoration régulière du " sacrifice parfait " remplace la répétition stérile des sacrifices sanglants.

Le christianisme ne dit pas qu'il faut renverser les frontières par la violence. Il respecte les ordres sociaux tels qu'ils sont.

En même temps, le devoir du chrétien est de dénoncer le péché là où il se trouve.

Le communisme a pu s'effondrer sans violence parce que le monde libre et le monde communiste avaient accepté de ne plus remettre en cause les frontières existantes ; à l'intérieur de ces frontières, des millions de chrétiens ont combattu sans violence pour la vérité, pour que la lumière soit faite sur le mensonge et la violence des régimes qui asservissaient leurs pays.

Encore une fois, face au danger de mimétisme universel de la violence, vous n'avez qu'une réponse possible : le christianisme.

> Propos recueillis par Edouard Husson. 

«La vraie mondialisation, c'est le christianisme»

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, fraîchement diplômé de l'Ecole des chartes, René Girard part en pionnier pour les Etats-Unis afin d'y enseigner le français.

Là, obligé de «publier pour ne pas périr», il se penche sur la littérature et le roman, mais, non formé à ces disciplines, il s'inscrit d'emblée hors du courant formaliste et sort des sentiers battus.

Il découvre, de fil en aiguille, des traits communs psychologiques, sociologiques, et développe la thèse du désir mimétique, c'est-à-dire une explication globale du conflit dans nos sociétés, fondée sur l'analyse du rôle central du bouc émissaire.

L'aura qu'il acquiert ainsi lui permet depuis de s'imposer comme l'un des rares «anthropologues de la religion». Il publie aujourd'hui une suite à son travail, Je vois Satan tomber comme l'éclair (Grasset), qui apporte une réflexion très originale sur le bilan de deux millénaires de christianisme.

Vous avez pratiquement inventé une curieuse discipline: l'anthropologie de la religion. Pouvez-vous nous en donner une définition simple?
 

L'anthropologie que je cherche à développer est spécifique à la religion. Elle est fondée sur le meurtre fondateur et tout ce qui s'ensuit.

A partir de là, je m'intéresse aux règles originelles de notre culture, qui essentiellement repose sur les rites et les interdits, ainsi qu'à nos institutions, qui sont le produit indirect du religieux.

Mais si ma démarche traite des religions, elle n'a cependant rien de religieux dans son essence. Au contraire, puisque je fais du religieux archaïque le résultat d'une erreur d'interprétation de ce que j'appelle le «phénomène victimaire».

Mon point de départ est le suivant: l'acte fondamental de la société primitive, à l'origine de la nôtre, c'est de désigner une victime, un bouc émissaire, et de cultiver l'illusion de sa culpabilité afin de permettre d'évacuer toutes sortes de tensions collectives.

Cette illusion est ensuite fondatrice de rites, lesquels la perpétuent dans le temps et entretiennent des formes culturelles qui aboutissent à des institutions. 

Comment cette théorie vous est-elle venue?
 

Certains de mes amis américains disent que je suis influencé par le contact personnel que j'ai eu dans ma jeunesse avec la violence raciale aux Etats-Unis.

Toujours est-il qu'en établissant des rapprochements entre les mythes australiens, amérindiens, africains, européens, américains, j'ai découvert que le lynchage, c'est-à-dire la mise à mort d'une victime désignée, n'était pas un phénomène textuel ou légendaire.

C'est une vraie entreprise de pacification par l'intermédiaire d'une victime qui, lorsqu'elle réunit contre elle un groupe tout entier, produit mimétiquement un apaisement, voire une réconciliation. Pour des raisons mystérieuses, les sociétés ont reproduit ce geste réconciliateur, sous forme de sacrifices ou de rites sacrés, et cette répétition est devenue en elle-même une institution.

C'est le cas, typique, de la lapidation codifiée par le livre du Lévitique. De même, les ethnologues ont démontré, il y a longtemps déjà, qu'il existait une forme primitive de justice grecque à travers le meurtre collectif. Après quoi se livre une lutte pour le contrôle et la domination de ce rite essentiel. Vous voyez, en reliant victimes, rites et institutions, nous assistons à la naissance du pouvoir politique. 

Cette théorie victimaire vous a tout naturellement conduit à vous intéresser au Christ, victime parmi les victimes puisqu'il donne sa vie pour l'ensemble du genre humain...
 

Effectivement, mais mes conclusions vont à l'inverse de celles habituellement retenues à ce sujet. Jusqu'ici, la plupart des anthropologues - et même un théologien comme Rudolf Bultmann - avaient insisté sur la ressemblance entre les Evangiles et d'autres récits pour démontrer que la mort et la résurrection de Jésus n'étaient qu'un mythe parmi d'autres.

Tant et si bien que la cause est pour ainsi dire entendue. Aujourd'hui comme hier, la majorité de nos contemporains perçoit l'assimilation du christianisme à un mythe comme une évolution irrésistible et irrévocable, car elle se réclame du seul type de savoir que notre monde respecte encore, la science.

Même si la nature mythique des Evangiles n'est pas démontrée scientifiquement, un jour ou l'autre, elle le sera. Tout cela est-il vraiment certain?

Eh bien! je pense que non seulement cela n'est pas certain, mais qu'il est certain que cela ne l'est pas. L'assimilation des textes bibliques et chrétiens à des mythes est une erreur facile à réfuter. 

Comment?

Dans les mythes, les victimes sont toujours coupables, car le récit est toujours écrit du point de vue de la tromperie, de l'illusion créée par le phénomène victimaire. C'est parce qu'elle est coupable que la victime éponge la violence et accède au statut mythique.

Dans le judaïque et le chrétien, c'est l'inverse: la victime est innocente!

Notez la différence entre Caïn et Abel d'un côté, et Romulus et Remus de l'autre. Remus est coupable, puisque Romulus est fondateur glorifié de Rome. Tandis que Dieu demande à Caïn: «Où est ton frère Abel? Qu'as-tu fait?»

Certes, Dieu accepte de fonder le genre humain sur cette base du meurtre, mais, en même temps, il s'inquiète du sort d'Abel, victime innocente. C'est cela qui est unique.

Pour «déviolentiser» le sacré, il n'y a que la Bible! Le christianisme contredit d'emblée les mythes. 


Quelle est donc votre définition personnelle du christianisme?
 

La foi chrétienne consiste à penser qu'à la différence des fausses résurrections mythiques, qui sont réellement enracinées dans les meurtres collectifs, la résurrection du Christ ne doit rien à la violence des hommes.

Elle se produit après la mort du Christ, inévitablement, mais pas tout de suite, le troisième jour seulement, et elle trouve son origine en Dieu lui-même. 

En quoi est-ce que cela bouleverse l'ordre précédent?
 

Au commencement du christianisme se trouve un fait essentiel: les disciples trahissent tous. Ils sont entraînés dans l'emballement ordinaire qui se produit contre les victimes. Pierre représente le modèle de l'individu qui, dès lors qu'il est plongé dans une foule hostile à la victime, devient hostile lui-même... comme tout le monde.

Et puis, tout change, la logique archaïque est inversée et les disciples finissent par se retrouver non pas contre la victime, mais en sa faveur. A l'opposé de ce que dit Nietzsche - «Le christianisme, c'est la foule» - la foi chrétienne exalte l'individu qui résiste à la contagion victimaire. 

Pour ajouter encore à la différence entre mythe et christianisme, vous établissez un parallèle saisissant dans votre nouveau livre.

J'ai découvert un étonnant récit légendaire grec, qui met en scène Apollonius de Tyane, gourou célèbre du IIe siècle après J.-C. Pour mettre fin à une épidémie, Apollonius désigne à la vindicte populaire un mendiant repoussant, mais totalement innocent. Le malheureux est lapidé, et, une fois les pierres enlevées, on découvre à la place du miséreux un monstre effrayant qui représente le démon vaincu, la maladie éradiquée. 

La différence avec l'Evangile vient immédiatement à l'esprit. Certes, à l'inverse d'Apollonius, Jésus arrête net la lapidation de la femme adultère en disant: «Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre.»

Mais, selon moi, la leçon principale est ailleurs: l'entraînement mimétique, voilà ce que Jésus veut combattre. Il est évident que celui qui fait démarrer le meurtre collectif a une responsabilité plus grande que les autres.

C'est pourquoi le Lévitique obligeait deux témoins - ceux qui avaient précisément déposé à charge - à lancer les premières pierres afin de s'assurer qu'ils ne portaient pas de faux témoignage.

Le dessein de Jésus est de transcender cette loi, ce qui va engendrer la remise en question du phénomène victimaire, donc semer le désordre dans le peuple et entraîner sa propre mise à mort.

Pour finir de remettre le mythe à sa juste place, j'ajoute que Jésus ne se réclame là d'aucun pouvoir surnaturel: il ne fait pas de miracle, c'est le païen Apollonius qui en fait un! 

L'entraînement mimétique serait donc à l'origine de la violence. Par quels mécanismes?

L'entraînement mimétique, au stade collectif, est l'aboutissement du désir mimétique, qui naît au stade individuel. Il existe dans la Bible une conception méconnue du désir et des conflits.

Parmi les Dix Commandements («Tu ne tueras point, tu ne commettras point d'adultère, tu ne voleras point», etc.), le dixième tranche sur ceux qui le précèdent: «Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, rien de ce qui est à lui» (Exode, XX, 17).

Ce dernier commandement est souvent négligé, or il est extrêmement important dans la mesure où il vise justement le plus banal des désirs, le plus commun et, en apparence, le plus anodin.

Puisque ce désir-là est le plus commun de tous, que se passerait-il si, au lieu d'être interdit, il était toléré et même encouragé? La réponse va de soi: la guerre serait perpétuelle au sein de tous les groupes humains. La porte serait grande ouverte au fameux cauchemar de Hobbes, la lutte de tous contre tous. 

Donc, pour oser penser que les interdits culturels sont inutiles, comme le répètent sans trop réfléchir les démagogues de la «modernité», il faut adhérer à l'individualisme le plus outrancier, celui qui présuppose l'autonomie totale des individus, c'est-à-dire l'autonomie de leurs désirs.

Il faut penser, en d'autres termes, que les hommes sont naturellement enclins à ne pas désirer les biens du prochain. Or il suffit de regarder deux enfants ou deux adultes qui se disputent une babiole pour comprendre que ce postulat est faux et que c'est le postulat opposé, seul réaliste, qui sous-tend le dixième commandement.

On croit que le désir est objectif ou subjectif, mais, en fait, il repose sur un autrui qui valorise les objets, le tiers le plus proche, le prochain. Pour maintenir la paix entre les hommes, il faut définir l'interdit en fonction de cette redoutable constatation: le prochain est le modèle de nos désirs. C'est ce que j'appelle le désir mimétique. 

Explication implacable et terriblement sévère pour nous, pauvres humains...

Le christianisme n'a jamais prévu de réussir. C'est sa grande force!

Les premiers chrétiens avaient même envisagé un échec très rapide, sinon ils n'auraient pas écrit l'Apocalypse ni cru fermement à la fin de ce monde.

En relisant certaines paroles de Jésus, on s'aperçoit même que ce sont les rapports les plus intimes qui sont les plus menacés: «Je suis venu séparer le père du fils»; «Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix, je suis venu apporter le glaive»; «Je suis venu apporter le feu sur la Terre, et comme je voudrais qu'il fût déjà allumé», etc.

Le christianisme opère une révolution unique dans l'histoire universelle de l'humanité. En supprimant le rôle du bouc émissaire, en sauvant les lapidés, en proclamant la valeur de l'innocence, en tendant l'autre joue, la foi chrétienne prive brusquement les sociétés antiques de leurs victimes sacrificielles habituelles.

On n'évacue plus le mal en se ruant sur un coupable désigné dont la mort ne procure qu'une paix fausse. Au contraire, on prend le parti de la victime en refusant la vengeance, en acceptant le pardon des offenses. Ce qui suppose que chacun surveille l'autre par rapport à des principes fondamentaux, et que chacun se surveille lui-même. 

Pourtant, dans un premier temps, c'est un grand désordre. Comment expliquer que le système des valeurs chrétiennes ait pu triompher

L'exigence chrétienne a produit une machine qui va fonctionner en dépit des hommes et de leurs désirs. Si aujourd'hui encore, après deux mille ans de christianisme, on reproche toujours, et à juste titre, à certains chrétiens de ne pas vivre selon les principes dont ils se réclament, c'est que le christianisme s'est universellement imposé, même parmi ceux qui se disent athées.

Le système qui s'est enclenché il y a deux millénaires ne va pas s'arrêter, car les hommes s'en chargent eux-mêmes en dehors de toute adhésion au christianisme.

Le tiers-monde non chrétien reproche aux pays riches d'être leur victime, car les Occidentaux ne suivent pas leurs propres principes. Chacun de par le vaste monde se réclame du système de valeurs chrétien, et, finalement, il n'y en a plus d'autres.

Que signifient les droits de l'homme si ce n'est la défense de la victime innocente? Le christianisme, dans sa forme laïcisée, est devenu tellement dominant qu'on ne le voit plus en tant que tel.

La vraie mondialisation, c'est le christianisme! 

Intervierw de Makarian Christian pour L'Express 14/10/1999

Ce qui était intuition chez Blaise Pascal devient explication avec René Girard, à condition de comprendre par clarté évangélique l'anthropologie du désir mimétique.

C'est parce que la Bible et les Evangiles disent la vérité sur les hommes et sur leurs sociétés qu'il faut les prendre au sérieux quant à ce qu'ils disent de Dieu.

En ces temps où nombre d'organes de presse confient leurs tribunes de réflexion sur les questions religieuses aux Bouvard et Pécuchet de l'exégèse télévisée, le nouveau livre de René Girard - Je vois Satan tomber comme l'éclair - est une bouffée d'oxygène salvatrice, un sursaut d'intelligence inespéré. 

Et cette oeuvre essentielle s'adresse à tous car elle ne suppose pas pour être comprise l'expérience préalable de la foi.
 

Joseph Bosshard

Extrait de http://home.nordnet.fr/~jpkornobis/Textes/Bosshard.htm

 
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31 octobre 2015 6 31 /10 /octobre /2015 23:58
Saints et saintes de tous les temps

Le Seigneur Jésus est glorifié dans ses saints et saintes. Il est le Premier-né d’entre les morts, entraînant à sa suite une foule innombrable de témoins de l’Évangile. On fait mémoire d’eux le 1er novembre, fête de Tous les saints, immense réseau de foi, « foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Apocalypse 7, 9).

Il y a d’abord ceux et celles qui sont béatifiés et canonisés officiellement par l’Église. Il y a aussi les autres qui ne sont pas élevés sur les autels. Ces saints et saintes anonymes, membres du Corps du Christ, sont des phares dans notre nuit. Ils ne brillent pas comme des stars, mais éclairent humblement de la lumière même du Christ.

Toussaint

Les saints et saintes anonymes

Les saints et saintes connus de Dieu seul ne sont d’aucun calendrier. Ils appartiennent au réel quotidien; on les retrouve souvent dans nos propres familles : ces ancêtres qui nous ont précédés dans le Royaume; ces pères et mères de famille qui, en se donnant à leurs enfants jour et nuit, ont bâti l’Église; ces jeunes de nos villes qui n’ont souvent que leurs blessures pour y faire jaillir l’eau vive de l’Esprit. Ce sont aussi ces prêtres, religieux et religieuses, laïcs et missionnaires, qui ont enfanté les autres à la foi au Christ ressuscité. Le souvenir de leur témoignage nous inspire la route à prendre pour arriver à bon port.

Cette liste de saints et saintes anonymes de tous les temps, jeunes et vieux, blessés et aimés, faibles et vulnérables, est dressée au carrefour des chemins du monde. Ce sont des icônes du Royaume qui nous révèlent la beauté du Dieu fait homme. Ils sont les plus heureux des hommes et des femmes, parce qu’ils ont su accorder librement leurs corps à la danse de l’Évangile et à la musique des Béatitudes, jouissant ainsi de la félicité éternelle que donne la vision de Dieu.

Les saints et saintes ordinaires

L’Église a choisi le texte des béatitudes pour l’évangile de la Toussaint afin de nous montrer que cette sainteté est accessible à chaque personne. C’est d’abord un portrait de lui-même que Jésus dresse : heureux les pauvres en esprit, les affligés, les doux, les cœurs purs, les miséricordieux, les artisans de paix, ceux qui ont faim et soif de justice, car le royaume de Dieu est à eux (Cf. Matthieu 5, 1-12).

Ce ne sont pas nos œuvres que Dieu désire, mais l’amour qui fait les œuvres. La vie ordinaire et les réalités conjugales et familiales (conjoint, enfant, sexualité, métier, maison, quartier, école, repas, loisir, etc.) deviennent alors le lieu de la sainteté, c’est-à-dire le lieu de l’accueil et de l’amour. Depuis l’incarnation du Christ, il ne peut pas y avoir d’opposition entre amour de Dieu et amour du prochain, spiritualité et sexualité, prière et travail, sainteté et vie ordinaire. « Tout est grâce », disait Thérèse de Lisieux, qui passe son ciel à faire du bien sur la terre. Ses parents, Louis et Zélie Martin, ont d’ailleurs été canonisés en couple à Rome le 18 octobre 2015 par le pape François.

La sainteté n’est pas réservée aux papes, évêques, prêtres, religieux et religieuses. Elle ne se limite pas à un état de vie particulier et ne porte pas toujours des habits à la mode. Elle déborde des cloîtres et des églises. Nous la retrouvons assise dans nos maisons. Elle prend spécialement sa joie chez les exclus de la société, les blessés de la vie, les petits de vertus, les souffrants de partout. La sainteté est essentiellement une expérience de la miséricorde. Qui pense la posséder l’échappe. On ne peut la saisir qu’avec des mains vides. La sainteté est comme l'amour du Père, elle s’accueille, tout simplement, avec un cœur d’enfant.

Jacques Gauthier

« Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes » (1 Jean 3, 1).

Des extraits de ce texte sont parus dans Prions en Église Canada, 1er novembre 2015, p. 35-36.
Pour aller plus loin : Tous appelés à la sainteté (Parole et Silence) ; Les maîtres spirituels chrétiens (Novalis).

Extrait de : http://www.jacquesgauthier.com/blog/entry/saints-et-saintes-de-tous-les-temps.html

 
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