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6 octobre 2020 2 06 /10 /octobre /2020 19:30

L’Amour sans qualificatif

Dans les conversations de Bénarès, un nom revient sans cesse : celui de Kabir, saint qui vécut au XVe siècle dans la Ville sainte. Chaque année, des concerts interprètent ses compositions pour le plus grand plaisir des auditeurs.

Pour attirer l’attention des passants, les mendiants ont toujours en réserve quelques-uns de ses bons mots. Dans les écoles, on grandit avec ses poésies et, au soir de la vie, on meurt accompagné par sa sagesse inaltérable.

En un sens, Bénarès, c’est Kabir.

Si la mémoire de cet homme est restée très vivante, c’est parce qu’il est un pont jeté sur les fractures religieuses de l’Inde. Fils adultérin de brahmanes hindous, il fut recueilli par un couple musulman.

Étant ainsi à la fois enfant de Rama – l’avatar de Vishnu – et d’Allah, il pouvait interpeller avec une souveraine liberté les tenants de l’orthodoxie en dénonçant leur fanatique hypocrisie :

« Si Allah est uniquement dans la mosquée, à qui appartient le reste du monde ?

Si Rama est seulement dans la statue que tu découvres au terme du pèlerinage, alors qui adores-tu là où il n’y a pas d’effigies ?

Cherche-le dans ton cœur, cherche-le dans tous les cœurs :

là est sa demeure et sa résidence ! »

Kabir était tisserand, membre d’un groupe social qui reste l’un des plus défavorisés de Bénarès. Dans ses poèmes, il fut l’indomptable défenseur des pauvres qui le reconnaissent encore comme leur meilleur avocat.

Kabir était aussi convaincu du lien amical qu’il faut patiemment tisser entre les différentes communautés religieuses.

À l’image du va-et-vient de la navette sur l’écheveau, il savait que toute quête spirituelle nécessite du temps avant de plonger définitivement en Celui qui est l’Amour sans qualificatif car Dieu n’appartient à personne – ni aux hindous, ni aux musulmans. Au contraire, c’est à nous de lui appartenir tout entier !

« Nulle part on ne voit de plaie : d’où vient donc la douleur.

En vain on examine le corps : la blessure est invisible !

Celui-là seul comprend ce mal, qui l’a éprouvé :

L’amour de Rama est un dard acéré ! », chantait ce pèlerin de l’Absolu.

En Inde, la voix de Kabir ne s’est jamais tue. Elle résonne toujours dans la prière des Sikhs car nombre de ses vers furent incorporés au Guru Granth Sahib – le livre saint de la nouvelle tradition religieuse apparue à la même époque.

De plus, quelques-uns de ses disciples ont créé la lignée spirituelle des Kabir panthis afin de transmettre la sagesse inaltérable du Maître.

À Bénarès, on les rencontre au monastère de Kabir Chaura où j’ai eu le privilège de me lier d’amitié avec de talentueux jeunes moines d’une grande ouverture spirituelle.

L’un d’eux, Umesh Pratap Singh, a récemment créé un groupe de musique qui se produit sur les scènes fréquentées par la jeunesse.

Ainsi, grâce à son lointain héritier, le divin tisserand continue de former les cœurs d’une nouvelle génération en enseignant à dépasser les haines ancestrales qui font toujours rage entre l’hindouisme et l’islam.

Pour cela, il n’est pas d’autre chemin que de reconnaître en l’autre croyant son propre frère car

« il n’y a qu’un seul Nom, infini, insondable :

là se tient Kabir, inébranlablement ».

Par Yann VagneuxPrêtre des Missions étrangères de Paris vivant en Inde (1)

(1) Il a raconté son expérience dans Prêtre à Bénarès, Lessius, 304 p., 27 €.

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24 septembre 2020 4 24 /09 /septembre /2020 20:30

J'ai rencontré Irakli Gogoladzé au monastère de Samtavro. Tout à coup, ce jeune homme d'environ vingt-cinq ans s'est approché de moi et m'a dit : "Vous savez, le staretz Gabriel a fait un miracle pour moi... J'ai entendu dire qu'on faisait une collection de ces histoires. Pourriez-vous me dire à qui je pourrais l'envoyer ?" J'ai répondu avec révérence et joie : "Je suis le traducteur et le compilateur de la version russe du livre, Le diadème du staretz..."

Sans me laisser finir, rempli d'émotion, il a commencé à me raconter son histoire. J'ai allumé le dictaphone et... je l'ai écouté me raconter une guérison miraculeuse par le staretz Gabriel (Ourguébadzé). J'aimerais partager cette histoire avec vous, chers lecteurs. 

Un miracle s'est produit dans ma famille grâce au staretz Gabriel.

Il n'était pas encore canonisé lorsque j'ai entendu parler de lui pour la première fois. Notre première "rencontre" a eu lieu lorsque j'étais, je pense, en septième année et que j'ai visité le monastère de Samtavro avec mes amis. N'étant encore qu'un enfant, j'ai été étonné par tout ce que j'ai vu sur la tombe du staretz - et tout d'abord par le nombre incroyable de personnes qui sont venues le vénérer.

Sans avoir vraiment conscience de ce que je faisais, je me suis également approché de la tombe, et c'est alors que mon amitié avec l'e staretz Gabriel a commencé. En m'inclinant devant la tombe, j'ai ressenti une immense grâce. Mon cœur était rempli d'amour. Sentant cette joie intérieure, j'ai voulu crier aussi fort que possible : "Je vous aime tous !"

La moniale Parasceva nous a donné de l'huile de la lampade sur la tombe du staretz Gabriel et nous a expliqué comment nous faire l'onction. J'avais l'impression d'avoir obtenu un pouvoir invincible. Et c'est ce qui s'est passé !

Quelques mois ont passé, et le désastre a frappé notre maison. Mon père est tombé malade du psoriasis. Nous avons fait le circuit de tous les hôpitaux, mais sa forme était si grave et son stade si avancé qu'aucun d'entre eux ne voulait nous recevoir. 

Après quelque temps, grâce aux intercessions de nos proches, mon père a été reçu à l'hôpital de Tbilissi pour des maladies de peau et vénériennes. Le traitement s'est déroulé très lentement. Les médecins ont dit qu'il lui faudrait au moins quatre mois pour se rétablir complètement. 

Une nuit, mon père a eu une crise cardiaque, et ils ont à peine pu lui sauver la vie. Alors je me suis souvenu du staretz, sur la tombe duquel des guérisons miraculeuses ont lieu. J'ai couru à la maison, j'ai pris l'huile de la lampade de la tombe du staretz Gabriel, et je suis venu à l'hôpital. Les médecins ne laissaient entrer personne dans sa chambre, mais lorsque j'ai expliqué la situation, ils ont accepté et m'ont laissé entrer en secret. Je suis allé voir mon père, et il dormait. Avec mon petit doigt, je l'ai oint trois fois en forme de croix avec l'huile, j'ai lu le "Notre Père" et j'ai demandé de tout mon cœur au staretz de guérir mon père. Puis je suis parti sans un mot.

Le matin, ma mère et moi sommes allés à l'hôpital avec un ami. Nous sommes allés dans la chambre de mon père... pour être plus précis, nous avons couru avec horreur quand nous avons entendu le cri de l'infirmière : "C'est pas possible ! 

Nous avons pensé, eh bien, c'est la fin ! Ma mère s'est évanouie. J'ai été saisi de tremblements que je n'avais pas la force de contrôler. Je suis entré dans la chambre et j'ai vu mon père assis sur le lit. J'étais stupéfaite. Il n'avait plus d'éruption sur le corps ni sur le visage, sa peau était comme celle d'un nouveau-né. 

Bientôt, le médecin-chef est entré dans la chambre, celui-là même qui m'avait permis de rendre visite à mon père. Je n'oublierai jamais l'expression de son visage à ce moment où il a vu son patient avec une peau absolument claire ! Le médecin s'est mis à pleurer et à se signer, en disant : "Gloire à Dieu... Gloire à ce statetz..." 

Alors mon père nous a arrêtés et nous a demandé de quel staretz nous parlions. Je n'ai même pas pu commencer à lui parler du staretz Gabriel avant que mon père ne nous parle du rêve qu'il a fait cette nuit-là. 

C'était comme si un prêtre à la barbe grise entrait dans la pièce et lui disait : "Eh, mon frère... Eh bien, jusqu'à présent, tu n'as pas reçu la communion ni eu de confession, mais tu as un fils et une femme croyants qui m'ont appelé ici. Je ne supporte pas de voir comment ils pleurent... Laisse-moi te guérir, et tu commenceras à vivre une vie religieuse. Va souvent à l'église, confesse-toi et reçois la communion. Alors nous serons amis... Sinon, je ne suis pas ton ami. Compris ?" 

Il a fait un clin d'oeil à mon père, a fait le signe de croix sur lui et est parti...

J'ai pleuré - tout le monde dans la pièce pleurait ! Bien que mon père n'ait jamais vu le staretz de son vivant, sa description du "prêtre" correspondait tout à fait à celle de saint Gabriel.

 

Gloire à toi, ô Dieu ! Gloire à toi, Père Gabriel !


Version française Claude Lopez-Ginisty
https://orthodoxologie.blogspot.com/2020/09/irakli-gogoladze-une-histoire.html

Gabriel, né Goderdzi Urgebadze était un moine orthodoxe géorgien vénéré pour sa vie monastique et sa piété. Avec de nombreux miracles qui lui sont attribués, la tombe de Gabriel à Mtskheta a attiré un nombre croissant de pèlerins.

Le père Gabriel Urgebadze, récemment glorifié, se vit demander comment prier pour les ennemis. Le staretz répondit : 

"D'abord, commencez par prier pour ceux que vous aimez le plus, par exemple pour vos enfants.

Ensuite priez pour les autres membres de votre famille. 

Ensuite pour tous ceux d'entre vos proches et vos voisins que vous n'avez pas eu comme ennemis.

Bénissez la ville dans laquelle vous vivez, mais pas seulement elle, bénissez tous les habitants du pays. 

Et votre pays n'est pas le seul, il est entouré d'autres pays - demandez à Dieu que les gens ne se querellent pas. 

Alors, lorsque vous aurez prié pour tout le monde, et que seul reste l'ennemi - ne l'abandonnez pas. 

Demandez à Dieu de remplir son coeur de bonté et de compréhension et de sagesse. 

Voilà comment vous saurez prier pour vos ennemis.


Saint Gabriel

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7 septembre 2020 1 07 /09 /septembre /2020 19:38

Alexandre Men, l’ouverture au Christ

Ce matin du 9 septembre 1990, il y a presque trente ans, le père Alexandre Men est en retard pour la messe qu’il doit célébrer dans sa petite paroisse de Novaïa Derevnia, à une trentaine de kilomètres au nord de Moscou. Son frère Pavel est inquiet. « Être en retard aux offices ne lui arrivait jamais dans la vie : je craignais que quelque chose de terrible se soit passé. » Au sortir de la messe, famille et paroissiens apprennent la terrible nouvelle : le père Men est mort, assassiné à coups de pelle de sapeur sur le petit chemin qui l’amenait vers la gare de Semkhoz où il allait prendre le train pour Novaïa Derevnia.

S’ils n’ont aucune preuve directe, les proches du père Men soupçonnent fortement le KGB

 
 d’être derrière cet assassinat destiné, en pleine perestroïka, à faire taire un homme charismatique, qui témoignait si bien de sa foi dans une société soviétique en pleine crise au moment où une partie de l’appareil communiste s’inquiète de la tournure des réformes.

Fils de juifs non pratiquants (sa mère s’est tournée vers le Christ sous l’influence d’un des héritiers des moines d’Optina, véritable centre spirituel de l’intelligentsia russe avant la révolution), le père Men a en effet un don pour parler du Christ à une société en crise spirituelle, profondément marquée par des décennies d’athéisme officiel.

« À partir de la fin des années 1960, il y a en URSS une certaine désaffection par rapport à l’idéologie officielle : la société aspire à autre chose auquel le parti est incapable de répondre, raconte Yves Hamant, professeur émérite d’études slaves à Nanterre et biographe d’Alexandre Men (1). Par sa formation intellectuelle de haut niveau, notamment scientifique, le père Men a su répondre à cette aspiration et s’adresser à la culture séculière de son temps. »

Peu à peu, sa paroisse des alentours de Moscou devient le rendez-vous de l’intelligentsia. Le père Men se lie avec Alexandre Soljenitsyne et accompagne sur le chemin de la foi la veuve du poète Ossip Mandelstam, la pianiste Maria Youdina ou encore le chanteur Alexandre Galitch. « Mais il était aussi à l’aise avec les babouchki (grands-mères) de son village », relève Yves Hamant.

Cette aura n’a pas échappé aux services soviétiques de sécurité qui s’inquiètent de retrouver ses livres tapés à la machine à travers toute l’Union soviétique. Jusqu’au milieu des années 1980, le KGB constituera sur lui un dossier en vue de l’emprisonner, mais son évêque lui évitera de justesse la prison.

« L’activité missionnaire débordante de ce prêtre “hors norme” irritait ceux qui avaient promis “la mort de la religion”, raconte dans la revue œcuménique Irénikon (2) le père Serge Model. Outre les tracasseries administratives, des tentatives de discréditer le père Alexandre auprès des croyants furent entreprises : des pamphlets anonymes l’accusèrent de sionisme ou d’antisémitisme, de cryp­toca­tho­li­cisme ou de protestantisme, d’arianisme ou de nestorianisme, de monophysisme et d’autres hérésies. On le vilipendait comme orthodoxe obscurantiste ou dissident occidentalisé, voire comme collaborateur du KGB ou simplement comme “juif”. »

À partir de 1988, pourtant, la perestroïka portée par Gorbatchev permet au père Men de s’exprimer plus ouvertement. Le 9 octobre, il est le premier prêtre à parler dans une école soviétique. Il sera invité ensuite dans des usines, des clubs, à la radio et à la télévision. À Pâques 1990, il participe même à un grand rassemblement religieux au stade olympique de Moscou. La télévision lui commande même une émission.

Alexandre Men multiplie aussi les conférences, comme ce soir du 8 septembre 1990, à la veille de sa mort, à la Maison de la technique de Moscou où il exprime ses grandes intuitions sur la foi, l’Église, le lien entre religion et culture. « Le Christ appelle l’homme à la réalisation de l’idéal divin, explique-t‑il ce soir-là. En réalité, le christianisme n’a fait que ses premiers pas, des pas timides dans l’histoire du genre humain (…) L’histoire du christianisme ne fait que commencer. Tout ce qui a été fait dans le passé, tout ce que nous appelons maintenant l’histoire du christianisme, n’est que la somme des tentatives – les unes habiles, les autres manquées – de le réaliser. »

« L’enseignement du père Men était fondé sur une dynamique de la Bonne Nouvelle, de l’annonce de l’Évangile, dont il ne se faisait pas d’illusion sur le fait qu’elle ne s’était pas encore réalisée, et qui n’était pas obsédé par une nostalgie du passé figée dans le ritualisme », résume Yves Hamant, qui insiste aussi sur le « christocentrisme absolu vécu » du père Men.

« L’enseignement du père Alexandre est profondément christocentrique, confirme le père Model. Pour lui, “Jésus-Christ est le cœur de la foi. C’est par le Christ que le chrétien mesure et apprécie tout”. (…) Le christianisme, répétait-il, ce n’est pas d’abord un ensemble de dogmes et de préceptes moraux, c’est Jésus-Christ lui-même. » Une expérience du Christ « qui peut s’acquérir aussi bien dans la contemplation que l’action, dans la prière ou l’engagement dans la cité ».

« Celui qui a toujours transmis à ses disciples une grande liberté intérieure mettait aussi en garde contre ce qu’il appelait la “tentation essénienne”, c’est-à-dire le risque, notamment pour les nouveaux convertis, de se considérer comme des “immigrés de l’intérieur” vivant comme retranchés du monde extérieur », ajoute Yves Hamant qui souligne combien, aujourd’hui, ce clivage entre retrait du monde et engagement dans le monde surpasse les différences confessionnelles.

On le retrouve ainsi dans « le pari bénédictin » de l’Américain Rod Dreher, passé justement du méthodisme au catholicisme avant de se tourner vers l’orthodoxie et qui affiche désormais des positions très hostiles au pape François, qu’il accuse de ne pas être à la hauteur pour faire face à la crise que traverse l’Église. Estimant qu’il n’est plus possible de vivre en chrétien dans le monde, l’auteur américain prône un retrait, à rebours de l’ouverture et de la mission encouragée par François.

Yves Hamant trouve à l’inverse beaucoup de points communs entre le prêtre russe et le pape argentin, qui se sont tous deux donné comme tâche principale « d’amener les gens au Christ » en témoignant sans idéologie « de la présence vivante de Dieu en nous ».

« Il ne peut s’agir ici d’influence réciproque, concède-t‑il. On ne saurait suspecter le père Men de “cryptobergoglisme”, ni penser que François est familier de l’œuvre du père Alexandre. Il s’agit d’une coïncidence, qui n’est pas fortuite, entre deux pasteurs de milieux différents, mais confrontés aux mêmes défis de notre temps. »

Il relève néanmoins que « ce dont parle François, le père Alexandre l’a mis en œuvre voici plusieurs décennies. C’est pourquoi son expérience pastorale mérite d’être prise en compte et étudiée par les chrétiens de diverses confessions. Ne peut-on voir dans le père Men un modèle de pasteur pour notre temps ? »

Nicolas Senèze

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