Chers Amis,
Dans l’épaisse grisaille de ce mois de février, n’oublions pas sa pointe d’humour et d’amour : la fête de la saint Valentin ! Une ombre forte cache toujours un soleil brûlant… C’est celui de l’Amour partout présent et qui remplit tout ! L’occasion est unique pour publier notre livre : « La mystique du couple », en germination depuis que Rachel et Alphonse s’aiment…cela fait quarante ans ! Il vient de paraître aux éditions Lethielleux (Paris).
Nous vous en offrons en prémices ces quelques lignes :
Ce qu’est l’amour au sein d’un couple, personne ne l’a encore dit et sans doute ne le fera-t-on jamais… Ce n’est pas un objet sur lequel on disserte, mais une expérience dans laquelle on entre. Seul celui qui en prend le Chemin peut descendre dans l’abîme de son mystère, mais celui-là se taira. S’il risque une parole, même s’il la porte à la limite de l’indicible, par exemple par le chant ou le poème, jamais il ne lui sera possible de dévoiler l’essence de l’amour mais seulement son rayonnement.
Ce rayonnement lui-même est d’étrange sorte, il n’a pas les caractéristiques de la lumière d’ici-bas. La mystique juive dit que l’autre, dans le couple, c’est la Shekhina, la gloire de Dieu. Le regard contemplatif voit alors au-delà des apparences de l’autre, toujours passible de nos jugements, la présence du Tout-Autre. L’amour illumine le cœur de l’être aimé et cette révélation ouvre à une connaissance jamais achevée. « Connaître », au sens biblique, est en effet synonyme de naître à l’autre, lui devenir intérieur, l’épouser et tirer de son innocence originelle l’inédit et le jamais vu, la Beauté inaccessible à la concupiscence de l’éros ou au romantisme si éphémère. Là est le vrai visage de l’autre, son visage d’éternité. Devenir assez transparent pour communier à cette profondeur où on découvre la secrète convivialité de l’autre avec Dieu, sa source la plus intérieure, c’est le tout de l’ascèse au sein d’un couple.
Si la reconnaissance (connaître et jubiler) du vrai visage de l’être aimé a une répercussion aussi inouïe sur celui qui le contemple, on ne parle pas pour rien d’un coup de foudre, c’est parce qu’il provoque soudain un face-à-face où chacun est révélé à lui-même au cœur de la Source commune. Cela personne d’autre ne peut le voir, c’est précisément le poids de gloire que portent en eux les initiés de l’amour.
Mais s’il n’y a pas, sous-jacent, le dur labeur de l’ascèse, la vision s’efface, engloutie par l’usure du temps, l’ennemi mortel du quotidien, le rejet à la surface de la face des profondeurs profanées par la banalisation. Celle-ci n’a pas de limites et le risque du mariage sans chemin spirituel, c’est d’ouvrir le gouffre infernal de la destruction réciproque. A regarder les couples, on n’a pas de mal à s’accorder rapidement sur ce point… L’enfer est devenu leur pain quotidien, un « sérieux déplorable » les a définitivement castrés. Soren Kierkegaard, ce grand philosophe du siècle dernier, pensait que le mariage était un assoupissement de mort. Par l’amour d’une jeune fille, dit-il, on devient génie, héros, poète ou saint, mais par le mariage d’une femme on devient conseiller de commerce, général, père de famille… Le roi de Mésopotamie s’est marié et maintenant il est épicier à Copenhague.
La grâce du sacrement de mariage relève justement ce défi-là : par elle l’épicier de Copenhague garde non seulement sa royauté, mais il en découvre son infinie majesté. La femme, elle, ne garde pas une beauté de jeune fille, très vite flétrie, mais s’achemine vers la virginisation de son être et naît à l’éternelle jeunesse, lieu de toute fécondité, que l’on soit poète ou conseiller de commerce !
Le but de l’homme n’est pas de devenir génie ou héros « par la grâce d’une jeune fille », mais de devenir dieu par un co-être avec la femme. Dès l’origine, Dieu crée l’Homme dans une consubstantialité conjugale, homme et femme, une seule chair, pour être à Son image. C’est la tentation démoniaque qui a introduit la scission. Maintenant, depuis la chute, le sens du couple c’est de redevenir une seule chair, une nature en deux personnes, comme Dieu est une nature en trois personnes. Cette union des deux époux jusqu’à la ressemblance avec Dieu fait que leur chemin est un témoignage vivant de la gloire divine. Leur amour est un rayonnement de cette gloire (Jn 17,22-23), une théophanie, manifestation de Dieu, car que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux (Mt 18,20).
Le « milieu », c’est la relation des amoureux, dans l’intimité des deux la présence du grand Troisième. Quand le couple est sans amour et sans chemin spirituel, la relation est un vide dans lequel la chute originelle se réitère sans cesse, géhenne de leurs défaillances, chambre des tortures réciproques. Mais dès que, par la prière et l’amour, la Grâce s’active, la relation c’est Quelqu’un au « milieu » des deux, mais aussi au « milieu » du cœur de chacun. Aimer, c’est donner son cœur, mais c’est donc aussi en même temps donner Dieu l’un à l’autre. Ce n’est qu’à ce contact brûlant que les poisons et le fiel de la condition infrahumaine et si souvent bestiale du vieil homme sont progressivement évacués.
L’amour devient alors un chant secret qui liturgise toute la vie des amants : tout dans leur vie est sacrement, cela veut dire que le Christ est présent et s’exprime dans tout geste, dans le regard de l’un vers l’autre, le sourire, la parole, une caresse…
En somme le couple, puisqu’il est à l’image de Dieu, apprend à tout homme, qu’il soit célibataire ou marié, la seule manière de vivre en plénitude : découvrir et épouser le Féminin de son être intérieur. Le mariage en est un Chemin, le célibat en est un autre. A chacun sa vocation pour exprimer sa vérité la plus profonde : les épousailles mystiques.
Avec toute notre affection, à bientôt !
Père Alphonse et Rachel