Les femmes myrrhophores nous sont familières, à nous qui célébrons régulièrement la Vigile du dimanche (qui est un office pascal). Elles y sont très présentes dans l’hymnographie : généralement dans des stichères des Laudes, et il y a ce chant des myrrophores, les eulogétaires (ce qui signifie bénédictions à cause du refrain : Tu es béni, Seigneur) :
« Tu es béni, Seigneur. Enseigne-moi tes jugements. Pourquoi mêlez-vous à la myrrhe des larmes de compassion ? disait aux myrrhophores l'ange resplendissant dans le tombeau ; voyez le sépulcre et réjouissez-vous, car le Sauveur s'est relevé du tombeau… »
Les femmes myrophores apportent une sensibilité, une chaleur humaine qui nous touchent beaucoup dans l’accompagnement de la Passion du Seigneur, dans les soins donnés au corps et dans l’annonce de la Résurrection.
Nous connaissons les noms de plusieurs : Marie de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons et qui aimait particulièrement Jésus ; l’autre Marie, femme de Clopas ou d’Alphée et mère de Jacques le mineur et de Joset ; Salomé, parente de la Mère de Dieu, femme de Zébédée et mère des apôtres Jacques et Jean ; Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode Antipas, tétrarque de Galilée. (Il y a aussi une femme nommée Suzanne et d’autres dont les noms ne sont pas rapportés.)
Montrant un plus grand courage (une plus grande foi, un plus grand amour) que les disciples qui avaient abandonné le Seigneur (à l’exception de Jean), elles ont assisté à la crucifixion, se tenant près de la croix avec la mère de Dieu et l’Apôtre Jean (Jean 19, 25) ; elles ont observé Joseph et Nicodème descendre le corps de la Croix , l’envelopper d’un linceul, l’oindre en hâte d’aromates, car il fallait faire vite à l’approche du grand Sabbat, et le déposer dans le sépulcre, puis fermer le sépulcre avec une grande pierre.
Elles attendent avec impatience la fin du sabbat pour reprendre plus dignement la toilette. Dès l’aube du premier jour de la semaine, c’est-à-dire du dimanche, elles se rendent au sépulcre avec des aromates pour embaumer le corps de Jésus.
Nous les honorons en ce troisième dimanche de Pâques, avec Joseph d’Arimathie, car elles jouent un rôle de tout premier plan dans la foi et l’annonce de la Résurrection. Elles sont les premiers témoins, sans doute parce qu’elles ont une plus grande foi. Elles sont en quelque sorte les apôtres des apôtres.[1]
Mais qu’ont-elles vu exactement ? Ont-elles vu le moment de la Résurrection ? Non !
Les Évangélistes ne disent pas comment la Résurrection du Christ a eu lieu, de quelle façon le Sauveur a quitté le sépulcre scellé. Car les grands prêtres et les pharisiens avaient mis le sépulcre en sûreté en scellant la pierre et en mettant une garde pour empêcher que les disciples ne viennent dérober le corps et ne disent qu’il est ressuscité, ce qui aurait été une imposture pour eux. Les évangélistes parlent de l’ange ayant roulé la pierre de côté pour permettre aux saintes femmes d’entrer, alors que la Résurrection était déjà accomplie.
Et l’ange (ou deux anges, selon Luc et Jean) dit aux femmes : « Il n’est pas ici ; car Il est ressuscité, comme Il l’avait dit ; voyez l’endroit où on l’avait mis... ».
Ce qu’elles virent dans le sépulcre nous est précisé par l’évangéliste Jean, qui lui-même a été témoin, qui est entré et a vu : « les bandes ... et le linge qu’on avait mis sur la tête de Jésus, non pas avec les bandes, mais plié en un lieu à part » (Jean, XX, 7). Ce détail, insignifiant à première vue, souligne toute la transcendance de ce qui s'était accompli.
C’est précisément on regardant les bandes mortuaires que « L’autre disciple... vit et il crut » (Jean, XX, 8). Car le fait qu’elles étaient restées dans 1’état où elles entouraient le corps de 1’Enseveli, c’est-à-dire pliées, était un témoignage irréfutable que le corps qu'elles avaient contenu n'avait pas été emporté (Matth. XXVIII, 15), mais les avait quittées d’une façon inconcevable.
Comme l’explique L. Ouspensky, c’est très précisément ce que montre l’une des icônes de Pâques : les Saintes Femmes auprès du tombeau vide, avec l’ange, les bandes mortuaires et le linge plié à part. Elle montre les témoins mêmes et ce qu’ils voyaient, elle nous présente tout ce dont parle l’Évangile, afin que nous aussi, nous voyions et nous croyions.
L’Église nous explique la raison du silence des Évangélistes sur le moment même de la Résurrection dans l’Ode 6 du Canon Pascal de Saint Jean Damascène :
« Tout en gardant intacts les scellés, Tu es ressuscité du tombeau, ô Christ, Toi qui lors de ta naissance n'as pas porté atteinte au sceau de la Vierge (ou : Tu n’as pas violé le sein virginal), et Tu nous as ouvert les portes du paradis. »
Lors de la Résurrection du Christ non seulement la pierre ne fut pas déplacée (elle a été roulée de côté par l’ange pour permettre aux saintes femmes d’entrer, alors que la Résurrectionétait déjà accomplie), mais même les scellés (posés par les grands prêtres pour qu’on ne puisse pas dérober le corps de Jésus, cf. Matth. 27, 66) demeurèrent intacts.
Et la Vie resplendit du sépulcre, tandis que le sépulcre était encore scellé. Le Ressuscité sortit du sépulcre tout comme Il devait plus tard entrer chez Ses disciples, les portes demeurant closes. Il sortit du sépulcre sans qu’aucun indice extérieur put frapper 1’œil d’un témoin. De même que la nativité virginale, la Résurrection du Christ demeure un mystère insondable, inaccessible à aucune investigation humaine. Le silence des Évangélistes témoigne non seulement de leur sincérité totale, mais encore de ce que le mystère de la Résurrection exige de nous un effort, de la foi : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jean 20, 29).
Et nous, après la lecture de l’évangile de la Résurrection aux Matines, nous osons chanter : « Ayant contemplé la résurrection du Christ, adorons le saint Seigneur Jésus… ». Alors, Saint Syméon le Nouveau Théologien (XIe siècle) pose la question :
« Que chantons-nous : ayant cru à la Résurrection du Christ ? Non, nous chantons : Ayant contemplé la Résurrection du Christ... Comment donc l'Esprit Saint nous incite-t-Il à chanter que nous avons contemplé la Résurrection du Christ, alors que nous ne l'avons pas vue puisque le Christ est ressuscité il y à plus de 1000 ans et même alors personne ne l'avait vu ressusciter ? Le chant de l'Église ne veut-il pas nous enseigner à proférer un mensonge ?
Certes non. Au contraire, il nous enseigne à dire par ces paroles une entière vérité, en nous rappelant cette résurrection du Christ qui s'opère non pas simplement, mais de façon éclatante de lumière et du rayonnement de Sa Divinité et Son incorruptibilité en chacun de nous fidèles... En ceux donc, dans lesquels le Christ est apparu ressuscité, Il est aussi visible spirituellement, on peut Le contempler par les yeux de l’esprit. »
C'est pourquoi 1’Église commence le Canon Pascal par l’appel que voici (1er tropaire de la 1ère ode) : « Purifions nos sentiments (de tout péché, de tout ce qui est vain, corruptible) et contemplons le Christ resplendissant d'une manière inaccessible (pour la chair et le sang) et entendons Sa parole : « Réjouissez-vous ! »
Grâce aux Saintes Femmes, et grâce aux évangélistes qui nous ont rapporté ce qu’elles ont fait, vu et entendu, à notre tour, nous sommes des témoins de la Résurrection , dans la mesure de notre purification, et dans la meure de notre foi. Soyons des témoins de la Résurrection , d’abord pour nous-mêmes, et pour notre entourage.
Amen. Le Christ est ressuscité !
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[1] On raconte que, par la suite, Marie Madeleine s’est rendue à Rome et, se présentant devant l’empereur avec un œuf en main, elle lui déclara qu’après avoir souffert la Passion , le Christ était ressuscité, apportant à tous les hommes la promesse de la résurrection, et que l’œuf s’est alors teint en rouge.