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20 septembre 2020 7 20 /09 /septembre /2020 19:30
Le christianisme et l’animal

À l’occasion de la Journée de prière pour la sauvegarde de la Création, instituée en 1989 par le patriarche œcuménique Dimitrios, ce 1er septembre, également le premier jour de l’année ecclésiale, nous vous proposons un entretien avec Christophe Levalois, rédacteur en chef d’Orthodoxie.com, qui vient de publier aux éditions Le Courrier du livre un essai intitulé Le loup et son mystère. Histoire d’une fascination (198 pages, 18 euros). Dans celui-ci, il explore les relations entre les êtres humains et cet animal de la préhistoire à nos jours. L’influence du christianisme est l’une des questions évoquées dans l’ouvrage, elle sera abordée lors de cet entretien et plus généralement la place de l’animal au sein du christianisme.

Illustration ci-dessus : enluminures de la Bible de Souvigny (XIIe s., source : Wikipédia).

Le loup, ancêtre du chien, fut le premier animal à être domestiqué

Orthodoxie.com : Le loup, comme vous le montrez dans votre livre, a une très grande importance dans de nombreuses traditions. À quand cela remonte-t-il ?

Christophe Levalois : À la préhistoire, il y a au moins plusieurs dizaines de milliers d’années. On a retrouvé des restes d’un loup domestiqué, c’est-à-dire d’un chien, vieux de 33 000 ans dans les grottes de Goyet en Belgique. C’est le plus ancien connu. On sait aujourd’hui que tous les chiens descendent du loup et que cet animal fut le premier à être domestiqué, très longtemps avant tous les autres. Cette question passionnante occupe toute une partie de mon livre. Bien des choses se sont nouées en cette période. C’est l’époque de l’art pariétal qui représente bien plus des animaux que des êtres humains lesquels étaient alors complètement immergés dans le milieu naturel.

Orthodoxie.com : Quelle fut l’évolution de cette relation au cours de l’histoire ?

Christophe Levalois : Elle fut longue et complexe. Tout dépend des types de sociétés. Les chasseurs-cueilleurs, nomades ou semi-nomades, eurent cet animal en très haute estime. Il est une figure positive dans de nombreuses traditions, notamment en Europe, en Asie, en Amérique du Nord ou encore en Afrique du Nord. Par contre, pour les sédentaires le loup est devenu plus que le concurrent, l’adversaire et même l’ennemi. Dans la Grèce classique, à l’époque de Platon et d’Aristote, différente en cela de la Grèce d’Homère, il est considéré comme la figure de l’ennemi de la cité et de son ordre politique, à l’inverse du chien. Cette représentation s’est installée durablement, notamment en Europe. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’on commence à observer un changement qui s’amplifie nettement au XXe siècle. Aujourd’hui, la question de la condition animale et celle de notre relation avec les animaux font partie des sujets sensibles et débattus avec des conséquences législatives et politiques.  

La diabolisation du loup est plus liée à l’évolution de la société qu’au christianisme

Orthodoxie.com : On accuse souvent le christianisme d’avoir diabolisé le loup. Dans votre livre, vous nuancez beaucoup cette affirmation.

Christophe Levalois : Oui, parce que l’hostilité à l’égard du loup est antérieure au christianisme et la diabolisation du loup est bien postérieure à la christianisation de l’Europe. En effet, si dans un nombre important de traditions le loup a une bonne image, on observe aussi que celle-ci évolue avec le temps notamment dans certaines sociétés. C’est le cas dans la Grèce antique, à l’époque classique il devient une image de l’ennemi de la cité, de celui qui ne respecte pas l’ordre de la cité en train de s’édifier. Dans l’Ancien Testament, il est aussi un animal menaçant. Le Christ reprend cette image biblique, assez typique d’un milieu pastoral finalement, en disant : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups » (Matthieu 10, 16). Le christianisme hérite à la fois de la tradition hébraïque et de la tradition gréco-latine. Dans les deux, le loup est déjà un animal représentant un principe en dehors de la société que l’on souhaite construire, voire opposé et dangereux pour celle-ci. La diabolisation proprement dite de l’animal est plus récente, elle date de la fin du Moyen-Âge. Elle est le résultat de toute une évolution de la société qui a aussi entraîné, les deux phénomènes sont liés, la vague des grands, et nombreux, procès en sorcellerie. Aussi, ce n’est pas tant le christianisme qui a diabolisé le loup, même s’il y a participé, et que bien sûr des chrétiens y ont contribué activement, que la société occidentale à un moment de son histoire pour des raisons qui concernent sa propre évolution sociale et politique. D’ailleurs, l’extermination du loup en France et dans d’autres pays, au XIXe et au début du XXe siècle, a lieu dans une société en partie déchristianisée et pour des motifs qui ne sont pas religieux. Pareillement, le retour du loup que l’on observe dans de nombreuses contrées, ne se fait pas en raison de motivations religieuses, mais suite à l’évolution de la société, de sa relation avec la nature et les animaux ainsi que d’un recul des terres mises en culture qui laisse plus de place à l’animal sauvage. Les prémices de ce mouvement se situent au XIXe siècle. Il ne cesse de s’amplifier depuis.

Le christianisme n’est pas responsable de la crise écologique

Orthodoxie.com : Quelle est la place de l’animal dans le christianisme ? On entend souvent dire que le christianisme est responsable de la situation de domination prédatrice et sans partage de l’homme sur la nature et les animaux ainsi que leur dévalorisation.

Christophe Levalois : L’animal est présent quasiment dès le commencement dans la Genèse, plus précisément dès le cinquième jour pour les créatures aquatiques et les oiseaux, et le sixième jour pour les bêtes terrestres, dont la création, selon la Bible et c’est à noter, a lieu le même jour que l’homme. Les animaux sont donc des éléments constitutifs de notre monde, créés par la Parole divine, puisqu’ils sont expressément nommés lors de la Création. L’être humain est dans la Bible l’achèvement des six premiers jours de la Création et son couronnement. Il reçoit la lourde responsabilité d’être le gardien, le « jardinier » en quelque sorte (Genèse 2, 15) du Paradis, non son propriétaire, et de faire fructifier ce qu’il a reçu. Le passage souvent incriminé est Genèse 1, 28 dans lequel Dieu dit à l’être humain de dominer la terre et de soumettre les animaux. Pris au sens littéral, ce passage légitime et justifie une domination de l’être humain qui a pu conduire à bien des excès et à la crise écologique que l’on connaît. C’est toute la question de l’interprétation des textes qui est posée là, mais aussi celle de leur utilisation à des fins partisanes afin d’accroître un pouvoir qui n’est que terrestre et matériel, un détournement finalement.

En mars 1967, un article célèbre d’un historien américain, Lynn T. White, intitulé « Les racines historiques de notre crise écologique » (Science, vol. 155, no 3767), plaide la responsabilité du christianisme dans cette crise. Une thématique reprise par d’autres depuis. Le christianisme est notamment accusé d’anthropocentrisme, c’est-à-dire de mettre l’homme au centre de la Création, ce qui aurait dévalorisé le reste de la Création et ouvert la voie à une utilisation prédatrice de celle-ci. Cette position a été réfutée par différents auteurs dont Jean-Claude Larchet dans son ouvrage Les fondements spirituels de la crise écologique (Syrtes, 2018). En effet, la responsabilité de l’être humain doit s’exercer « à l’image et selon la ressemblance » de son Créateur, ce qui n’est pas rien ! Selon cette perspective, dont témoignent de très nombreux textes, la Création est infiniment respectable et même plus encore vénérable. Elle est essentielle pour la réalisation de l’accomplissement spirituel voulu par le Créateur. Jean-Claude Larchet emploie à ce propos l’expression « d’usage spirituel de la Création ». Le récit de la Genèse est à prendre dans un sens spirituel et non pas littéral. C’est ainsi qu’elle était comprise par les Pères de l’Église et durant des siècles. Ainsi, le pouvoir sur les animaux renvoie aux « animaux intérieurs », à savoir les pensées, passions, mouvements de l’âme, ils sont évoqués entre autres par Origène, Basile le Grand et Ambroise de Milan. Cela a souvent conduit à considérer les animaux comme des symboles, des signes de tel ou tel aspect de la Création et de la signification spirituelle attenante. Les associations sont nombreuses. Ainsi le Christ est entre autres l’agneau, le lion ou encore le phénix. Trois des quatre Évangélistes sont représentés par des animaux : Marc par le lion, Luc par le taureau, Jean par l’aigle. Parmi les ouvrages qui abordent cette question, je signale juste celui de saint Nicolas Vélimirovitch (de Jitcha et d’Ochrid), Les symboles et les signes, datant de 1932 et dont la traduction française a été publiée en 2010 par les éditions L’Âge d’Homme. En un mot, les réalités visibles sont les symboles et les signes des réalités invisibles. Saint Nicolas Vélimirovitch explique ainsi la différence entre les deux termes : « Le symbole est permanent, le signe éphémère ». Le visible conduit à l’invisible, c’est ainsi que les choses sont comprises. Par contre, on peut observer, me semble-t-il, qu’avec l’évolution qui a amené une accentuation de l’anthropomorphisme, en d’autres termes à tout ramener à l’homme et à ses réalités propres, les symboles, dont les significations, je le répète, sont d’ordre spirituel, sont devenus des allégories ou des images de comportements ou de caractères psychologiques, comme dans les Fables de La Fontaine. L’être humain s’est peu à peu enfermé sur lui-même, voyant tout selon sa mesure et son regard. Mais nous sommes là, avec La Fontaine, au XVIIe siècle, à l’époque de l’essor du rationalisme.

L’avènement du christianisme a entraîné la fin des sacrifices religieux d’animaux en Europe

Un autre argument de taille, qui pourtant n’est jamais avancé, et qui va contre les thèses qui avancent la responsabilité du christianisme dans la crise écologique actuelle, est que la domestication et l’aménagement de la nature par l’être humain, avec leurs conséquences sur la faune et la flore, ont débuté des milliers d’années avant l’émergence de la tradition biblique et du christianisme, au néolithique. Dans le même ordre d’idées, on peut remarquer que des modifications environnementales considérables causées par l’homme se sont déroulées bien avant l’avènement du christianisme, comme la déforestation autour de la Méditerranée au Ier millénaire avant J.-C., ou encore l’extinction du lion en Europe dans l’Antiquité. Les êtres humains n’ont pas eu besoin de la Bible et du christianisme pour cela ! C’est pourquoi les responsabilités doivent pour moi être cherchées dans l’évolution de la société, hier comme aujourd’hui. Au passage, je fais aussi observer qu’à la différence d’autres traditions religieuses, le christianisme ne pratique pas le sacrifice animal. Le sacrifice ultime du Christ sur la Croix a aussi entraîné la fin des sacrifices d’animaux.

Orthodoxie.com : Vous avez dit que l’être humain est le couronnement de la Création. Il a donc une place centrale.

C’est incontestable. Mais il s’agit plus en fait d’un théocentrisme que d’un anthropocentrisme, lequel a dominé bien plus tard, depuis les Temps modernes pour être plus précis. La perspective biblique est l’image et la ressemblance (Genèse 1, 26) de la source divine à l’origine de tout. C’est cette perspective, ce théocentrisme, qui légitime la place centrale de l’être humain avec la responsabilité devant le Créateur qui l’accompagne. Le Créateur s’adresse, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament, plus particulièrement à l’être humain, mais c’est un être qui fait pleinement partie de l’ensemble de la Création, qui en est solidaire. Ce qui lui est proposé n’est en rien un repli sur lui-même ! Bien au contraire, il est appelé à effectuer un chemin de transformation intérieure et ainsi à s’ouvrir à d’autres dimensions, à d’autres perceptions et à toutes les facettes de la Création qu’il rencontre. D’autre part, pour les sociétés anciennes comme dans le christianisme, la nature est signe du monde spirituel, ou multitude de signes si l’on veut. Ne serait-ce que pour cela, son importance est capitale. En outre, l’être humain est aussi consubstantiel au reste de la Création, on peut aussi parler de parenté, il est créé avec de la « poussière prise du sol » (Genèse 2, 7) avec en plus, ce qui est différent du reste de la Création, le souffle divin. Il est donc intimement lié à l’ensemble de la Création. Il y a même interaction. L’exil du Paradis d’Adam et Ève affecte la Création (Genèse 3, 17). À l’inverse de ce processus d’éloignement, les vies de saints témoignent que le rapprochement de la source divine se traduit entre autres par un rapprochement, une grande sollicitude et même une familiarité au quotidien avec les animaux sauvages. Un signe pour tous ! 

« Le christianisme et l’animal », entretien avec Christophe Levalois

Icône ci-contre : saint Mamas (ou Mammas, Mammès)(source).

« Le cœur qui a appris à aimer compatit à toute créature, même à une petite feuille »

Cependant, pour revenir sur la relation avec les animaux, on observe, au sein du christianisme, tout comme dans la tradition biblique, une diversité par-delà l’unité entre des auteurs, sans doute liée à la sensibilité propre à chacun et à ce qu’il leur a paru important de transmettre à un moment donné. Certains accentuent cette domination, qui est d’abord une responsabilité, de l’homme sur l’animal en créant une sorte de fossé entre l’être humain et le reste de la Création, c’est le cas de saint Augustin (De la grandeur de l’âme, chapitres 26 à 29). Dans cette optique, il est considéré que l’animal n’a qu’une âme sensitive alors que l’être humain a en plus une partie supérieure, le noûs en grec, traduit par esprit, intellect ou raison. Mais l’évêque d’Hippone rappelle aussi dans son Discours sur le psaume 35 (36) ce passage : « Seigneur, tu sauves hommes et bêtes » (35, 6). Trois siècles avant, Irénée de Lyon s’appuyant sur des textes bibliques et la transmission apostolique assure que les animaux seront aussi présents dans le Paradis à venir (Contre les hérésies, V, 33, 3-4). En effet, dans la Bible et dans toute la tradition chrétienne, on trouve des écrits et des personnages qui magnifient, souvent poétiquement, l’œuvre entière de la Création, que l’on songe au psaume 103 (104) ou à Isaïe (11, 6 et 65, 25) qui nous offre notamment comme image du Paradis retrouvé, le Royaume à venir : « Le loup habitera avec l’agneau ». Nombreuses sont les vies de saints et de saintes qui montrent une grande intimité avec des animaux et préfigurent sous cet aspect le Royaume à venir. Dans son beau livre intitulé Les animaux dans la spiritualité orthodoxe (Syrtes, 2018), Jean-Claude Larchet donne de nombreux exemples de ces relations de grande proximité et de grande affection réciproque de saints avec des animaux accompagnés de textes dans lesquels ceux-ci affirment notamment prier non seulement pour tous les êtres humains, mais également pour la totalité de la Création dont les animaux. Saint Silouane l’Athonite, dans la première moitié du XXe siècle, précise que cette relation s’étend également à la flore : « Le cœur qui a appris à aimer compatit à toute créature, même à une petite feuille » (dans l’ouvrage de l’archimandrite Sophrony, Saint Silouane, Cerf, 2016). D’autres établissent jusqu’à une fraternité entre l’homme et l’animal, la plus célèbre illustration, catholique cette fois-ci, est François d’Assise, aussi bien avec son Cantique des créatures qu’avec son exhortation à son « frère loup » (Fioretti, chapitre 21). En 2015, le pape François reprend cette idée de fraternité dans son encyclique Loué sois-tu (« Laudato si « ) (deuxième chapitre, « Une communion universelle »).

Aussi, on peut dire que sur l’ensemble de cette question la réponse se doit d’apporter des nuances, en grand nombre ! En effet, la sensibilité écologique est aussi présente tant dans la tradition biblique que chrétienne, comme en-dehors du christianisme d’ailleurs, à des degrés différents selon les textes et les auteurs il est vrai. De même que cette sensibilité, qui existe depuis toujours, est devenue plus forte à l’époque contemporaine, elle l’est aussi chez les chrétiens, dont les orthodoxes, et est devenue, aussi chez eux, plus consciente, plus forte, plus partagée. Certains chrétiens figurent même parmi les précurseurs des mouvements écologistes actuels, je pense aux protestants Jacques Ellul et Denis de Rougemont, une génération plus tard aux catholiques Jean et Hélène Bastaire. On trouve aussi chez l’orthodoxe Nicolas Berdiaev, dans un texte de 1923 intitulé « Salut et création. Deux compréhensions du christianisme » (traduction française parue dans Pour un christianisme de création et de liberté, Cerf, 2009), cette affirmation remarquable et sans équivoque, après avoir abordé l’amour pour le prochain : « L’amour pour les animaux et les plantes, pour un brin d’herbe, pour les pierres, pour les fleuves et les mers, pour les champs et les montagnes, fait partie de la voie de mon salut. Ainsi suis-je sauvé ; ainsi le monde entier est sauvé ; ainsi l’éclairement est-il atteint. La morte indifférence à l’égard de l’homme et de la nature, à l’égard du vivant, au nom de la voie du salut personnel, est une manifestation répugnante de l’égoïsme religieux, un dessèchement de la nature humaine ».

Orthodoxie.com : Qu’en est-il de l’écologie au sein du christianisme orthodoxe aujourd’hui ?

Bien que toujours présente comme nous l’avons vu, la conscience écologique s’est développée ces dernières décennies, une évolution étudiée par l’historien Éric Baratay. À une époque où les considérations écologiques n’avaient pas la même vogue qu’aujourd’hui, cette conscience s’exprime souvent dans l’œuvre d’Olivier Clément ; en 1983, le regretté patriarche d’Antioche Ignace IV (Hazim) écrit trois textes regroupés sous le titre « Sauver la création » (publiés par Desclée de Brouwer en 1989). Plus récemment, parmi les auteurs qui ont abordé plus particulièrement cette problématique, nous pouvons citer, dans l’espace francophone, Michel Maxime Egger, le P. Philippe Dautais, le P. Alexandre Siniakov et Jean-Claude Larchet déjà mentionné, ces deux derniers ayant la particularité d’aborder de manière plus approfondie la question de la relation avec les animaux.

« Les racines de la crise écologique sont spirituelles et morales »

Du côté des Églises, la prise de conscience s’affirme aussi alors que les mouvements écologistes commencent tout juste à se faire connaître et obtiennent des résultats politiques encore très modestes. Ainsi, en 1989, le patriarche œcuménique Dimitrios institue une journée de prière pour la sauvegarde de la Création, le 1er septembre. Cette décision venait à la suite de trois conférences internationales sur l’environnement suscitées par le Patriarcat œcuménique qui se sont tenues de 1987 à 1989. En 2015, le pape François a pris une initiative similaire pour l’Église catholique. Le successeur du patriarche Dimitrios, le patriarche Bartholomée engage, dès 1991, une série d’actions, notamment des colloques internationaux comme les symposiums « Religion, Science Environnement », sur les questions écologiques et leur urgence. Cette importante activité au fil des années lui a valu, à partir de 1996, le surnom de « patriarche vert ». Dans les années 2000, l’agroécologiste Pierre Rabhi, qui a conseillé le monastère orthodoxe de Solan, situé dans le Gard, qui pratique l’agriculture biologique à partir des années 1990, est invité en Roumanie à l’invitation de l’actuel patriarche Daniel, alors métropolite de Moldavie et de Bucovine, pour apporter une expertise pour un projet, initié en 2006, d’agriculture biologique de terres de la métropole. En 2009, le Patriarcat de Roumanie publie la version roumaine, avec une préface du patriarche Daniel, d’un ouvrage de Pierre Rabhi, Manifeste pour une nouvelle relation de l’homme et de la terre. De son côté, l’Église orthodoxe russe a consacré un chapitre de ses Fondements de la doctrine sociale, dont l’ensemble a été finalisé et approuvé par son Saint-Synode en 2000, à l’Église et aux problèmes écologiques en soulignant d’emblée la gravité de ceux-ci. Le 4 février 2013, le conseil des évêques de l’Église orthodoxe russe publie un texte sur les questions environnementales dans lequel le clergé et les laïcs sont invités à participer à des actions environnementales. Le 26 juin 2016, l’encyclique du grand concile orthodoxe réuni en Crète assure que « les racines de la crise écologique sont spirituelles et morales » et exhorte à « changer radicalement de mentalité ».

Orthodoxie.com : Et plus précisément pour la place des animaux ?

Les animaux sont englobés dans l’ensemble des questions environnementales. Ils sont évoqués au passage, ils ne sont pas oubliés, mais il n’y a guère de développement. C’est vrai pour les orthodoxes et pour l’ensemble des chrétiens. Si l’on considère le Grand euchologe et Arkhiératikon (Diaconie apostolique, 1992), recueil d’offices religieux pour toutes les occasions, on trouve davantage de prières de bénédiction pour des objets ou des constructions que pour des animaux ! De plus, les seuls animaux évoqués le sont collectivement et ce sont seulement les animaux de rente, d’élevage : troupeau, rucher, essaim d’abeilles, élevage de vers à soie, étang et vivier. Bien sûr, il reste toujours la possibilité d’utiliser les prières adaptables à différentes circonstances et objets. Il faut y voir le reflet des préoccupations des sociétés où ces prières ont été composées. Une évolution est toujours possible, de nouvelles prières et de nouveaux offices peuvent être écrits. Par contre, nous l’avons vu, les animaux ont une place notable dans les hagiographies, les vies de saints, depuis le premier millénaire.

La réflexion sur l’animal et sa place restent marginales, alors que la question de la condition animale ne cesse de prendre de l’ampleur dans la société. Toutefois, pour ce qui est de l’orthodoxie, outre l’ouvrage de Jean-Claude Larchet et celui du P. Alexandre Siniakov déjà indiqués, on peut noter le colloque œcuménique qui s’est tenu à Paris à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge le 21 mars 2009 sur le thème « Les animaux dans l’économie du salut ». Les actes ont été publiés dans le no231 (juillet-septembre 2010) de la revue orthodoxe Contacts.

 

« Il y a dans la tradition chrétienne largement de quoi répondre aux attentes et aux espoirs de nos contemporains »

Orthodoxie.com : Comment voyez-vous l’évolution de cette question ?

Je pense que la réflexion sur celui qui est « le plus autrui des autrui », selon l’heureuse expression de Claude Lévi-Strauss en 1962, à savoir l’animal, tout comme notre relation avec celui-ci, va prendre plus de place dans le christianisme. Tout simplement, parce que c’est une forte demande actuelle et le rôle des chrétiens, comme à toutes les époques, est aussi de répondre aux préoccupations, qui sont également les leurs, et aux évolutions d’un temps. Pour cela, il faut ne pas hésiter à aborder des questions précises et à y répondre clairement, par exemple concernant la chasse en tant que loisir, l’élevage industriel, la vivisection, l’abandon et la maltraitance d’animaux.

Le christianisme a toujours privilégié, dès les premiers temps, la question de la dignité de chaque être humain et de sa destinée spirituelle, ce qui a toujours été une question cruciale et urgente dans l’histoire et au premier chef pour chacun d’entre nous. Elle l’est toujours aujourd’hui, comme hier, et le sera demain. Mais à notre époque d’autres impératifs sont aussi apparus avec force et une large majorité de la population y est très sensible, c’est le cas de la condition des animaux et de la façon dont nous les percevons et nous les traitons. Il y a dans la tradition chrétienne largement de quoi répondre aux attentes et aux espoirs de nos contemporains, sur ce sujet comme pour d’autres. À nous de savoir y puiser, d’en montrer les richesses et d’en assurer la fécondité. 

Propos recueillis par P. Jivko Panev

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19 septembre 2020 6 19 /09 /septembre /2020 19:30

LES PRIÈRES SUIVANTES PEUVENT ÊTRE UTILISÉES ENTRE LE 1er ET LE 29 SEPTEMBRE POUR INVOQUER L'ARCHANGE MICHEL :

Ô Marie, Mère de Miséricorde et Reine des Anges,
daignez envoyer le Saint Archange Michel pour me secourir et me défendre dans le cours de cette vie et pour m’assister à ma dernière heure!
Amîn.

* * * * * * * * *

Puissante et Miséricordieuse Mère, Ô Toute Pure et  immaculée Vierge-Marie, Reine du ciel et de la terre, nous vous en supplions très humblement:
intercédez en notre faveur :
demandez à Saint Michel et à ses saintes légions
de nous assister et de nous soutenir dans les combats de cette vie!
Qu’ils viennent fortifier nos cœurs et nos corps dans la lutte
pour écarter et pour vaincre tous les obstacles
au règne de votre Fils notre Saint Rédempteur,
dans nos âmes et dans la société tout entière!
Amîn.

* * * * * * * * *

Saint Michel Archange,
défendez-nous dans le combat ;
soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon.
Que Dieu exerce sur lui son empire,
nous vous en supplions !
Et vous, Prince de la milice céleste,
repoussez en enfer, par la force divine,
Satan et les autres esprit mauvais
qui rodent de par le monde en vue de perdre les âmes.
Amîn.

 * * * * * * * * *

Saint Michel, protecteur de la France (Les non Français peuvent mettre sous la protection de l'Archange leurs familles Nationales), intercédez pour elle!

En 1912 (le 19 mai pour être précis), année du cinquième centenaire de la naissance de Sainte Jeanne d’Arc, tous les évêques de France s’unirent pour consacrer la France à Saint Michel.

 Nous pouvons avec grand profit reprendre le texte de cette prière centenaire que nous redisons, chaque année, au Monastère Syriaque N-D de Miséricorde, lors du Grand Pèlerinage du 29 Septembre (Et dimanche le plus proche) à St Michel: 

Seigneur, daignez Vous souvenir que dans les circonstances douloureuses de notre histoire, Vous avez fait de l’Archange Saint Michel l’instrument de Votre Miséricorde à notre égard.
Nous ne saurions l’oublier, alors que notre pays traverse des moments particulièrement difficiles. C’est pourquoi nous Vous supplions de conserver à notre patrie, la France, la protection dont Vous l’avez jadis entourée par le ministère de cet Archange vainqueur.

Et vous, ô Saint Michel, Prince des Milices célestes, venez vers nous!
Tournez-vous vers nous, nous nous en supplions!

Vous êtes l’Ange gardien de l’Eglise et de la France ; c’est vous qui avez inspiré et soutenu Sainte Jeanne d’Arc dans sa mission libératrice. Venez encore à notre secours : sauvez-nous!
Nous mettons nos personnes, nos familles, nos paroisses, la France entière, sous votre spéciale protection.
Nous en avons la ferme espérance : vous ne laisserez pas périr le peuple qui vous a été confié et qui en tant d’endroits, vous honore depuis des siècles, comme au Mont-Saint-Michel.
Que Dieu suscite parmi nous des saints!
Par eux, ô Archange Saint Michel, faites triompher l’Eglise dans la lutte qu’elle soutient contre l’enfer déchaîné et, par la force du Saint Esprit, établissez le Règne du Christ sur nos coeurs, sur nos familles, sur l’Eglise et sur la France, afin que la Paix du Ciel y demeure à jamais. 

Amîn!

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18 septembre 2020 5 18 /09 /septembre /2020 19:30
Conférence du père Eugraph, du 1er décembre 1952, publiée « Présence Orthodoxe » n°52.

Les mots « mystère » et « mystique » ont perdu leur sens initial. Le terme «mystique» est, de nos jours, teinté d’une note d’émotion passionnelle, tout à fait inconnue dans son sens premier. Le mot «mystère», pour la tradition orthodoxe et pour les Pères de l’Église, signifiait « arcanes » ou « sacramentum », comme le dit saint Hilaire de Poitiers, géant de la pensée dans la tradition française. «Sacra­mentum» n’a rien à voir avec le terme «sacrement» tel qu’il est em­ployé aujourd’hui. Ce «mystère», ce «sacramentum», signifie les choses cachées aux yeux des profanes, des simples curieux, mais qui se dévoilent à ceux qui pénètrent dans les profondeurs, que l’on peut saisir en dépassant ce qu’on peut appeler la connaissance empirique. Le «mystère» est invisible, inexprimable, indéfinissable, pour les gens du dehors, pour les « exotériques » selon l’expression de René Guénon.

L’opposition de ces deux termes, «ésotérique» et «exotérique», montre immédiatement que certaines découvertes se font directe­ment, et d’autres indirectement ; ces dernières, ésotériques, portent un sens sacramentel, un arcane ; ce sont les rites de la messe ; ils ne se découvrent pas immédiatement.

Pour bien cerner la question et la situation de la messe dans le culte chrétien, il faut d’abord avoir une vue claire de certains aspects.

Religion et métaphysique

Pour René Guénon, la religion est exotérique et la métaphysique ésotérique. Ce n’est pas exact : autant la religion que la métaphysique sont exotériques. La messe n’est ni religion, ni métaphysique ; elle est théologie, qui dépasse les deux.

En effet, la religion formelle est une obéissance sans connaissance qui exige l’accomplissement de rites que l’on ne comprend pas. Que ce soit un mahométan, un hindou ou un chrétien, l’homme simple­ment religieux transmet sans les comprendre les influences spirituel­les ; cette pratique sauvegarde une forme toujours double, à la fois morale et rituelle, morale vis-à-vis de son prochain, rituelle vis-à-vis de Dieu.

La métaphysique est, de son côté, une connaissance sans obéis­sance, une richesse sans liberté et sans incarnation.

Les hommes religieux comme les métaphysiciens ont leur valeur ; les chrétiens « extérieurs » ont le mérite de garder et de transmettre la tradition. Les métaphysiciens acceptent la possession des connais­sances ; les uns et les autres ont leur mission à accomplir, mais ils ne pénètrent pas dans le centre de la question. Le métaphysicien possè­de la connaissance sans réalisation ; le religieux, la réalisation sans connaissance.

La connaissance ésotérique dépasse les deux et entre dans un plan nouveau, le plan théologique, où s’effectue l’union des deux, le contact direct et mystérieux avec Dieu personnel et la connaissance, l’union avec la divinité.

Avant d’aller plus loin, je vous dirai que je suis profondément troublé ; je crains fort que mes paroles ne soient pas entendues, car, soyons francs et reconnaissons que l’Occident est bien malade. Cer­tainement l’Orient souffre aussi, d’une autre maladie, mais je parle en Occident, et je dirai en quoi il est malade. D’un côté, l’Occident agit, s’agite même, et continue à se demander sans cesse comment agir, comment faire ; de l’autre côté, il veut connaître, et se précipite dans toutes les conférences. On consulte des mystiques de tous pays, on cherche.

Le rite

On a perdu la notion du rite ; et j’insiste sur ce point, l’Occident ne fera un pas en avant que lorsqu’il aura compris que le rite est le pivot du monde. Sans rite, l’homme n’est qu’un intellectuel qui emmagasine des richesses inutiles ; sans rites, on s’agite dans des œuvres, dans la propagande, et cette action n’est ni vraiment efficace, ni du­rable. Le swami Siddheswaranda m’a dit un jour : «Ma mission est ratée en Occident ! Ils m’écoutent, mais ils n’ont pas compris ! » On prend un peu ici, un peu là, on fait un «cocktail spirituel» agréable, on peut vivre moralement, intellectuellement. Nous sommes devenus très intelligents, mais monstrueusement intelligents, parce que nous n’avons pas de colonne vertébrale. L’homme sans rites et sans rythmes est un invertébré. Il y a les intellectuels qui vivent de conférences, et il y a les hommes religieux qui «jettent un os » à la divinité en allant une fois par semaine à la messe ; mais il n’y a pas ce rite qui informe notre rythme, notre vie. C’est la tête qui travaille sans cesse chez l’homme moderne qui parcourt livres, brochures et journaux. Autre­fois, les sages savaient que trois livres dans une vie suffisaient parfai­tement.

Quand la France était vraiment enracinée dans le spirituel et le sacré — jusqu’à Charlemagne — les ministres suivaient tous les services de l’Église — nones, sextes — et passaient les vigiles des fêtes et des dimanches dans l’église.

Le rite, c’est la danse, c’est la respiration ; la nature chante sa liturgie, selon les saisons. Mais le rite n’a plus de place dans la cons­cience des hommes. Les villes ne connaissent plus que le rythme des devantures qui nous rappellent les fêtes : Noël : les jouets ; le prin­temps : exposition de blanc, etc. Les hommes n’ont plus qu’un énor­me scepticisme. En sortiront-ils lorsque l’humanité subira quelques secousses ?

Les Égyptiens disaient que le rite est la clef de voûte qui unit l’univers — le macrocosme — et l’homme — le microcosme. Toutes les traditions possèdent leurs rites. Pour passer dans le temple intérieur, nous devons passer par le temple extérieur. Même si elle est mal cons­truite, même si le prêtre est un mauvais prêtre, l’église est le temple ; son centre c’est le cœur qui bat, l’autel c’est le mental, etc. Chaque déformation de la liturgie déforme l’univers. C’est le nœud, c’est le mouvement cosmique et personnel entre l’initiation et la connais­sance du monde. Le père de Foucauld comprend en voyant les mu­sulmans en prière ! La religion n’est pas là pour nous donner des le­çons de socialisme!

Le prêtre est là pour célébrer quelque chose d’unique et d’irrem­plaçable : la liturgie, réunion de tous en face de Dieu, point de jonc­tion entre l’univers et le temple intérieur, logos exprimé dans l’univers et logos exprimé dans notre être personnel, anneau qui résume l’al­liance.

La liturgie

Que signifie le rite et la messe en particulier ? Elle nous découvre les choses invisibles, inexprimables, indéfinissables, à l’aide de moyens extérieurs ; nous saisissons là ce que notre raison, notre intellect, notre logique ne peuvent définir, grâce aux symboles, véhicules des choses indéfinissables. Par eux, nous recevons l’enseignement des choses supérieures.

Pouvons-nous définir notre amour pour quelqu’un ? La poésie donne une idée de l’amour, c’est le commencement du symbole. Pour l’homme spirituel, tout est symbole. Par les portes du symbole, nous entrons dans la connaissance. Les gestes, les danses, les lignes, les formes, sont les meilleurs symboles. Avec les mots, les difficultés commencent, parce que les mots sont ambigüs, touchant aux deux mondes — extérieur et intérieur — remplis de contenu psychique et non spirituel ; alors que le geste libère du psychisme. Plus les symboles sont nets, clairs, plus on pénètre. Ils sont les initiateurs qui nous gui­dent vers les choses cachées, réelles, invisibles. Chaque symbole est le véhicule d’une réalité spirituelle qui se présente à nous, que nous pouvons dominer, qui se communique à nous.

Le rite n’est pas seulement une image symbolique, une coupe, un calice qui porte la présence d’une réalité supérieure ; il agit. Il peut informer ou déformer. C’est pourquoi on doit garder la stricte tradi­tion des vraies formes authentiques ; les mots sont fragiles, ils se dé­forment vite et facilement. Mais la ligne reste, même si une mauvaise explication en est donnée. C’est pourquoi les gestes symboliques, dans les lieux prévus, sont si importants. Dans la messe, le sermon est secondaire. C’est une bonne instruction, nécessaire, mais son rôle est moindre que celui du rite.

La vraie spiritualité ne dédaigne pas le corps. Nous commençons par lui, passons par le psychisme pour aller vers le spirituel. Ce n’est pas seulement le mental qui communie. Dieu descend dans le corps, par les sacrements, par les gestes. Il est préférable que la conduite de l’homme soit bonne, parce qu’elle aussi, influence l’être, mais la mo­ralité n’est pas le seul facteur important.

Indiquer ici le sens de toute la messe est impossible, cela deman­derait, d’une part, de très longs développements et, d’autre part, ce n’est pas seulement une compréhension intellectuelle qui est exigée là, mais un véritable «ésotérisme» à réaliser en soi. Je ne vous donne­rai donc que deux exemples simples de symboles.

Le signe de la croix

En Occident, on fait maintenant le signe de la croix avec les cinq doigts, la main ouverte. Il ne s’agit pas d’une idée précise, mais d’un relâchement dans le cours de la pratique historique. En fait, autrefois dans tout le monde chrétien, et encore actuellement en Orient, on se signe en séparant deux doigts des trois autres. Ce simple geste expri­me la base de toute théologie trinitaire. Le chiffre cinq étant le nom­bre de l’équilibre de l’homme, le trois représente la Trinité, base onto­logique, et le deux représente la dualité du monde : l’univers entier est enfermé dans ce geste. Ainsi, avant d’expliquer à l’enfant que ce geste est le symbole, le véhicule de ces réalités, sans imposer rien au monde, on lui propose la plus profonde initiation : trois, toute l’onto­logie, deux, toute la sotériologie.

En Occident, l’on fait actuellement le signe de la croix en partant de l’épaule gauche pour finir sur l’épaule droite. Autrefois, et chez les orthodoxes encore maintenant, on se signe en partant de l’épaule droite pour finir par l’épaule gauche. Saint Innocent III, pape de Rome, conseillait encore de faire le geste dans ce sens. C’est seulement au moment des Croisades, et pour prendre le contre-pied des Grecs, que les occidentaux changèrent le signe de la croix. Que signifie notre façon de faire ?

On touche d’abord le front puis le cœur, formant une ligne de haut en bas, qui, si on la prolonge, symbolise les rapports entre le di­vin et l’homme, entre l’intelligence et le cœur. Cette ligne est à la base de l’enseignement orthodoxe dans l’«hésychasme» : placer l’homme devant Dieu. Ensuite, on forme la ligne horizontale, entre les épaules : toute notre vie. La première ligne, c’est le premier com­mandement : «Aime ton Dieu» ; la seconde ligne, c’est le deuxième commandement : «Aime ton prochain comme toi-même».

Justice et miséricorde

Pourquoi est-il préférable de commencer le signe horizontal par l’épaule droite ? La droite signifie la justice, l’équilibre, la rectitude (assez méprisé dans le monde, union de la main gauche...), elle a aussi le sens positif de la miséricorde et du pardon. Sur certaines croix orthodoxes, la troisième barre du bas, placée en biais (un côté mon­tant à droite, descendant à gauche), signifie, comme dans notre signe de croix : la droite, le salut parce que l’on est juste ; la gauche, le salut parce que nous ne sommes pas justes, mais que Dieu donne son pardon. Nous laissons la main droite aux bourreaux et aux philoso­phes, car celui qui n’a pas dépassé la justice ne connait pas la miséri­corde de Dieu, folie pour les hommes «justes». Si nous commençons le signe de la croix par la gauche, par la miséricorde, nous arrivons dans la religion de la justice. Par contre, si nous commençons parla droite, la justice (innée dans l’homme), nous avons le dernier mot dans le pardon et la miséricorde, qui amène Dieu sur terre, alors que la justice y amène l’enfer. Mais n’oublions pas non plus que l’on n’arrive pas à la miséricorde si l’on n’est pas passé par la justice. Celui qui l’oublie est le sentimental et l’idéaliste qui se lassent, découragés de faire le bien, parce que le bien n’est pas récompensé. On doit savoir commencer par la justice pour arriver à la miséricorde, coupe royale qui déborde.

Triades

La croix a elle-même trois sens : sens religieux ; «je prends ma croix», souffrance, expiation, résignation ; sens métaphysique, équi­libre du monde, balance ; sens théologique, source de vie, force vivi­fiante, élément dynamique au-dessus des souffrances.

À ces trois sens correspondent trois types d’êtres que nous connais­sons bien : les premiers acceptent dans la résignation, «que voulez- vous, c’est la vie »... (alors que c’est plutôt la mort qu’il faudrait dire !) pour les seconds, ils ne voient que l’harmonie du monde. Mais les troisièmes voient le véritable sens de la croix, source de vie qui trans­forme le monde, qui donne la vie aux mortels et transforme les stati­ques. L’harmonie en elle-même est statique et sans vie, comme une belle statue classique. La souffrance en elle-même est un chemin, mais qui n’a pas la beauté de l’harmonie. La croix est le vrai symbole du dépassement de la souffrance dynamique et du statique de l’har­monie, sens nouveau et éternel tout à la fois.

Le geste

Dans le signe de la croix, nous touchons d’abord la tête, notre connaissance, puis notre poitrine, notre cœur, enfin les épaules, notre volonté. Ce mouvement symbolise les trois étapes de l’évolution du monde.

On commence par la connaissance mentale, intellectuelle, celle des catéchumènes ; on prononce, on construit, on est ravi d’une joie ineffable par cette connaissance ; on a presque l’impression d’une toute-possibilité si la pensée pense bien. Mais cette connaissance doit descendre dans le cœur. Sinon, elle nous reste, en fait, extérieure, elle ne nous transforme pas. La connaissance doit devenir «kenosis», dépouillement, dans une charité silencieuse, descente du grain qui meurt... Si le grain ne meurt pas, il ne porte pas de fruits et reste soli­taire... Mais quand le grain est mort en nous, quand il a été broyé dans notre cœur, comme le Christ est mort sur la Croix, comme Il a été descendu dans le tombeau, alors seulement nous ressuscitons et nous pouvons agir. Mais il est vain d’agir avant !

Ainsi, les uns restent dans la connaissance, ils ne veulent pas lais­ser mourir le grain dans leur cœur, et les autres veulent agir sans connaissance.

La parole

Quand nous disons : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit», «Père» est appliqué à l’intellect dans notre progression spirituelle, ensuite seulement nous pouvons comprendre le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, accepter le mystère de la kenosis du di­vin, sa descente vers nous. C’est alors que l’on connait l’union avec Dieu, cette union inexprimable, où l’on est, où l’on n’est pas, peu importe, où il n’y a plus ni «moi», ni «toi», ni Dieu, ni moi... Une seconde de cet état est plus grande que l’éternité ; cette troisième étape où nous ne désirons plus ni plaisir, ni connaissance, c’est se donner aux autres, poussé par les langues de feu, par l’Esprit-Saint, couronné par la miséricorde absolue...

 

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